La reine elle-même était dans le fecret de la confpiration; mais, n'étant point accufée, elle échappa aux mortifications qu'elle aurait effuyées. Pour Gafton, duc d'Orléans, il accufa fes complices, à fon ordinaire, s'humilia, confentit à refter à Blois, fans gardes, fans honneurs ; & fa deftinée fut toujours de traîner fes amis à la prison ou à l'échafaud.

Le cardinal déploya dans fa vengeance, autorisée de la juftice, toute fa rigueur hautaine. On le vit traîner le grand- écuyer à fa fuite, de Tarafcon à Lyon, fur le Rhône, dans un bateau attaché au fien, frappé lui-même à mort, & triomphant de celui qui allait mourir par le dernier fupplice. De-là le cardinal fe fit porter à Paris, fur les épaules de fes gardes, dans une chambre ornée, où il pouvait tenir deux hommes à côté de fon lit fes gardes fe relayaient; on abattait des pans de muraille pour le faire entrer plus commodément dans les villes; c'est ainfi qu'il alla mourir à Paris, à cinquante-huit ans, 4 décembre & qu'il laiffa le roi fatisfait de l'avoir perdu & embarraffé d'être le maître.

On dit que ce miniftre régna encore après fa mort, parce qu'on remplit quelques places vacantes de ceux qu'il avait nommés; mais les brevets étaient expédiés avant fa mort; & ce qui prouve fans réplique qu'il avait trop régné, & qu'il ne régnait

de Zuylichem, père du célèbre Huyghens, fit, fur la mort de M. de Thou, distique latin :

O legum fubtile nefas; quibus inter amicos

Nolle fidem fruftra prodere, proditio eft.

Le duc de Bouillon était neveu du Stathouder, allié de la France, & qui de plus avait fervi le cardinal auprès de Louis XIII.

1642.

plus, c'eft que tous ceux qu'il avait fait enfermer à la Baftille en fortirent, comme des victimes déliées Le cardinal qu'il ne fallut plus immoler à fa vengeance. Il légua jours de l'ar- au roi trois millions de notre monnaie d'aujourd'hui, gent comp- à cinquante livres le marc, fomme qu'il tenait toujours quoi.... en réserve. La dépense de fa maifon, depuis qu'il

avait tou

tant, fans

était premier miniftre, montait à mille écus par jour. Tout chez lui était fplendeur & fafte, tandis que chez le roi tout était fimplicité & négligence; fes gardes entraient jufqu'à la porte de la chambre, quand il allait chez fon maître; il précédait partout les princes du fang. Il ne lui manquait que la couronne ; & même, lorsqu'il était mourant, & qu'il se flattait encore de furvivre au roi, il prenait des mefures pour être régent du royaume. La veuve de 3 juillet Henri IV l'avait précédé de cinq mois, & Louis XIII le fuivit cinq mois après.

1642.

mai 1643.

ou du cardinal?

Il était difficile de dire lequel des trois fut le Qui était le plus malheureux. La reine-mère, long-temps errante, plus malheureux, du roi, mourut à Cologne, dans la pauvreté. Le fils, maître de la reine, d'un beau royaume, ne goûta jamais ni les plaifirs de la grandeur, s'il en eft, ni ceux de l'humanité ; toujours fous le joug, & toujours voulant le fecouer ; malade, trifte, fombre, infupportable à lui-même ; n'ayant pas un ferviteur dont il fût aimé ; fe défiant de fa femme; haï de fon frère; quitté par fes maîtreffes, fans avoir connu l'amour; trahi par fes favoris; abandonné sur le trône; presque feul au milieu d'une cour qui n'attendait que fa mort, qui la prédifait fans ceffe, qui le regardait comme incapable d'avoir des enfans le fort du moindre citoyen paifible dans fa famille était bien préférable au fien.

Le cardinal de Richelieu fut peut-être le plus malheureux des trois, parce qu'il était le plus haï, & qu'avec une mauvaise fanté, il avait à foutenir, de ses mains teintes de fang, un fardeau immenfe dont il fut fouvent près d'être écrafé.

Dans ce temps de conspirations & de fupplices, le royaume fleurit pourtant ; &, malgré tant d'afflictions, le fiècle de la politeffe & des arts s'annonçait. Louis XIII n'y contribua en rien; mais le cardinal de Richelieu fervit beaucoup à ce changement. La philofophie ne put, il est vrai, effacer la rouille Arts, mœurs scolastique; mais Corneille commença, en 1636, par & ufages. la tragédie du Cid, le fiècle qu'on appelle celui de Louis XIV. Le Pouffin égala Raphaël d'Urbin dans quelques parties de la peinture. La fculpture fut bientôt perfectionnée par Girardon, & le maufolée même du cardinal de Richelieu en eft une preuve. Les Français commencèrent à fe rendre recommandables, furtout par les graces & les politeffes de l'efprit : c'était l'aurore du bon goût.

La nation n'était pas encore ce qu'elle devint depuis; ni le commerce n'était bien cultivé, ni la police générale établie. L'intérieur du royaume était encore à régler; nulle belle ville, excepté Paris qui manquait encore de bien des chofes néceffaires, comme on peut le voir ci-après, dans le fiècle de Louis XIV. Tout était auffi différent, dans la manière de vivre que dans les habillemens, de tout ce qu'on voit aujourd'hui. Si les hommes de nos jours voyaient les hommes de ce temps-là, ils ne croiraient pas voir leurs pères. Les petites bottines, le pourpoint, le manteau, le grand collet de point, les mouftaches

Preuves que

cardinal.

& une petite barbe en pointe, les rendraient auffi méconnaiffables pour nous, que leurs paffions pour les complots, leur fureur des duels, leurs feftins au cabaret, leur ignorance générale, malgré leur efprit naturel.

La nation n'était pas auffi riche qu'elle l'eft devenue en espèces monnayées, & en argent travaillé : auffi le ministère, qui tirait ce qu'il pouvait du peuple, n'avait guère par année que la moitié du revenu de Louis XIV. On était encore moins riche en industrie. Les manufactures groffières de draps de Rouen & d'Elbeuf étaient les plus belles qu'on connût en France point de tapifferies, point de cryftaux, point de glaces. L'art de l'horlogerie était faible, & confiftait à mettre une corde à la fusée d'une montre; on n'avait point encore appliqué le pendule aux horloges le commerce maritime dans les Echelles du Levant était dix fois moins confidérable qu'aujourd'hui ; celui de l'Amérique fe bornait à quelques pelleteries du Canada : nul vaiffeau n'allait aux Indes orientales, tandis que la Hollande y avait des royaumes, & l'Angleterre de grands établiffemens.

Ainfi la France poffédait bien moins d'argent que le teftament fous Louis XIV; le gouvernement empruntait à un politique n'eft pointdu plus haut prix; les moindres intérêts qu'il donnait pour la conftitution des rentes, étaient de fept & demi pour cent, à la mort du cardinal de Richelieu. On peut tirer de-là une preuve invincible, parmi tant d'autres, que le teftament qu'on lui attribue ne peut être de lui. Le fauffaire ignorant & abfurde, qui à pris fon nom, dit, au chap. I de la seconde partie, que la jouiffance fait le remboursement entier de ces

rentes en sept années & demie : il a pris le denier fept & demi, pour la feptième & demi-partie de cent; & il n'a pas vu que le remboursement d'un capital fuppofé fans intérêt, en sept années & demie, ne donne pas fept & demi par année, mais près de quatorze. Tout ce qu'il dit dans ce chapitre eft d'un homme qui n'entend pas mieux les premiers élémens de l'arithmétique que ceux des affaires. J'entre ici dans ce petit détail, feulement pour faire voir combien les noms en imposent aux hommes: tant que cette œuvre de ténèbres a paffé pour être du cardinal de Richelieu, on l'a loué comme un chef-d'œuvre ; mais quand on a reconnu la foule des anachronismes, des erreurs fur les pays voifins, des fauffes évaluations, & l'ignorance abfurde avec laquelle il eft dit que la France avait plus de ports fur la Méditerranée que la monarchie efpagnole ; quand on a vu, enfin, que dans un prétendu teftament politique du cardinal de Richelieu, il n'était pas dit un feul mot de la manière dont il fallait fe conduire dans la guerre qu'on avait à foutenir; alors on a méprifé ce chefd'œuvre qu'on avait admiré fans examen.

CHAPITRE

CLXXVII.

Du gouvernement & des mœurs de l'Espagne, depuis Philippe II jufqu'à Charles II.

On voit depuis la mort de Philippe II les monarques

N

efpagnols affermir leur pouvoir abfolu dans leurs Etats, & perdre infenfiblement leur crédit dans l'Europe. Le commencement de la décadence fe fit