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d'être battue auprès d'Éphèse, dont les habitants | Voyant d'un côté qu'en les attendant il n'avait auavaient érigé un trophée de bronze à la honte des cun moyen d'échapper, ne pouvant d'un autre Athéniens (72). Les soldats d'Alcibiade le repro- côté se résoudre à fuir après avoir été jusqu'alors chaient à ceux de Thrasyllus ; ils se vantaient eux-invincible dans tous les combats où il avait commêmes, relevaient la gloire de leur général, et ne mandé, il s'opiniâtra plus qu'il ne devait; et orvoulaient ni camper ni se trouver avec les autres donnant aux trompettes de sonner le silence (75), dans les mêmes lieux d'exercice. Mais Pharnabaze il fait crier à haute voix, par un de ceux qui étaient étant tombé sur eux avec un corps nombreux de auprès de lui: « Que les Selybriens ne prennent cavalerie et d'infanterie pendant qu'ils fourra- >> pas les armes contre les Athéniens! » Cette progeaient les terres d'Abyde, Alcibiade vint promp-clamation refroidit l'ardeur des uns pour le comtement à leur secours avec Thrasyllus, mit en fuite les ennemis, et les poursuivit jusqu'a la nuit. Alors les deux armées se réunirent; et s'étant donné réciproquement des témoignages d'amitié et de satisfaction, elles rentrèrent ensemble dans le camp. Le lendemain, Alcibiade, après avoir dressé un trophée, alla ravager le pays de Pharnabaze, sans que personne osât l'en empêcher. On avait pris un grand nombre de prêtres et de prêtresses, qu'il renvoya sans rançon. Il alla ensuite assiéger Chalcédoine (75), qui s'était révoltée contre les Athéniens, et avait reçu garnison lacédémonienne avec son commandant. Cependant ayant su que les habitants avaient ramassé et envoyé chez les Bithyniens, leurs alliés, tous les fruits de leurs terres, il va avec un détachement vers leurs frontières, envoie un héraut porter ses plaintes aux Bithyniens, qui, redoutant sa vengeance, lui rendent tout ce qu'ils avaient, et font alliance avec lui.

XXXVIII. Après cette expédition, il revint de"vant Chalcédoine, et l'enferma d'une muraille depuis une mer jusqu'à l'autre (74). Pharnabaze s'approcha pour faire lever le siége; et Hippocrate, qui commandait la garnison, fit de son côté, avec toutes ses troupes, une sortie contre les Athéniens. Alcibiade ayant disposé les siennes de manière à faire tête en même temps aux deux armées, obligea bientôt Pharnabaze à prendre honteusement la fuite, et tua Hippocrate avec un grand nombre des siens. Il s'embarqua ensuite, et alla dans l'Hellespont pour y lever des contributions. Il prit la ville de Selybrie, où il s'exposa mal-à-propos au plus grand danger. Des habitants qui devaient lui livrer la ville étaient convenus, pour signal, d'élever à minuit un flambeau allumé: mais craignant d'être découverts, parcequ'un de leurs complices avait tout-à-coup changé, ils furent obligés de prévenir l'heure donnée, et levèrent le flambeau avant que l'armée fût prête. Alcibiade, prenant avec lui environ trente hommes, et ordonnant aux autres de le suivre le plus promptement possible, court de toutes ses forces vers la ville. La porte s'ouvre; et vingt soldats, armés à la légère, s'étant joints aux trente qu'il avait, il s'avance à grands pas; mais bientôt il entend les Selybriens qui viennent armés à sa rencontre.

bat, parcequ'ils crurent que toute l'armée des ennemis était dans la ville; et les autres en espérèrent un accommodement plus favorable. Pendant qu'on s'abouche de part et d'autre, l'armée arrive. Alcibiade, conjecturant avec raison que les Selybriens étaient entièrement disposés à la paix, craignit que la ville ne fût pillée par les Thraces, qui étaient nombreux, et qui, par attachement pour lui, le servaient avec le plus grand zèle. Il les fit donc tous sortir de la ville; et, touché des prières des Selybriens, il ne leur imposa d'autre peine que de payer quelques contributions et de recevoir garnison ; après quoi il se retira.

XXXIX. Cependant les généraux qui faisaient le siége de Chalcédoine conclurent un traité avec Pharnabaze aux conditions suivantes : qu'il paierait une somme d'argent convenue (76); que les Chalcédoniens rentreraient sous l'obéissance des Athéniens, qui, de leur côté, ne commettraient aucun acte d'hostilité sur les terres de Pharnabaze; et que ce satrape ferait conduire au roi en toute sûreté les ambassadeurs athéniens. Alcibiade étant arrivé, Pharnabaze exigea qu'il jurât aussi l'exécution du traité; mais Alcibiade ne voulut jurer qu'après lui. Les serments ayant été prêtés de part et d'autre, Alcibiade marcha contre les Byzantins qui s'étaient révoltés, et enferma leur ville d'une muraille. Anaxilaüs, Lycurgue et quelques autres (77) ayant offert de lui livrer la ville s'il voulait la garantir du pillage, il fit courir le bruit que de nouvelles affaires le rappelaient en Ionie. En effet, il mit à la voile en plein jour avec toute sa flotte; et, revenant la nuit suivante, il débarqua avec ses meilleures troupes, s'approcha des murailles, et se tint tranquille. Cependant ses vaisseaux étant entrés dans le port, et en ayant forcé les gardes en jetant de grands cris et en faisant un tumulte affreux, cette attaque imprévue étonna les Byzantins, en même temps qu'elle donna aux partisans des Athéniens la facilité de livrer la ville à Alcibiade, parceque tout le monde s'était porté vers le port pour s'opposer à la flotte. L'affaire cependant ne se termina point sans combat; car les troupes du Péloponnèse, de la Béotie et de Mégare, qui étaient dans Byzance, mirent en fuite ceux qui avaient débarqué, et les obligèrent de remon

autres de ses parents et de ses amis, qui, étant venus au-devant de lui, le pressaient de descendre.

ter sur leurs vaisseaux ; après quoi, se retournant contre les Athéniens qu'ils savaient être entrés dans la ville, ils leur livrèrent un rude combat, dans lequel Alcibiade, qui commandait l'aile droite, XLI. A peine fut-il rendu à terre, que le peuet Théramène, qui était à l'aile gauche, rempor- ple, sans regarder seulement les autres généraux, tèrent la victoire: ceux qui échappèrent au car- courut en foule à lui, en poussant des cris de joie. nage, au nombre de trois cents, furent faits pri- Ils le saluaient tous, ils suivaient ses pas, et lui ofsonniers. Après le combat, il n'y eut pas un seul fraient à l'envi des couronnes. Ceux qui ne pouByzantin de tué ou de banni; car on n'avait livré vaient l'approcher le regardaient de loin; les vieilla ville qu'à la condition qu'on n'ôterait rien aux lards le montraient aux jeunes gens. Mais cette habitants, et que tous leurs biens leur seraient allégresse publique était mêlée des larmes que faiconservés. Aussi Anaxilaüs, accusé à Lacédémone sait couler le souvenir des malheurs passés, comd'avoir pris part à cette trahison, ne chercha pas parés à la félicité présente. On se disait mutuelleà s'en justifier par une honteuse apologie. Il dit ment que l'expédition de Sicile n'aurait pas été qu'étant Byzantin et non Spartiate, voyant en dan manquée, qu'on n'aurait pas vu s'évanouir de si ger, non Lacédémone mais Byzance, que les Athé- belles espérances, si on avait laissé à Alcibiade la niens avaient tellement investie que rien n'y pou- conduite des affaires et le commandement de l'arvait entrer, et où les troupes du Péloponnèse et de mée; lui qui, ayant trouvé Athènes privée de la Béotie consommaient le peu de vivres qui y l'empire de la mer, à peine pouvant sur terre conrestaient encore, tandis que les Byzantins mou- server ses faubourgs, déchirée au-dedans par des raient de faim avec leurs femmes et leurs enfants; séditions, l'avait relevée de ses ruines, et, non conil avait moins livré la ville qu'il ne l'avait déli- tent de lui rendre sa prépondérance maritime, vrée des malheurs de la guerre; suivant en cela l'avait fait triompher par terre de tous ses ennemis. les maximes des hommes les plus recommanda- Le décret de son rappel avait été porté par le bles de Lacédémone, qui ne trouvaient qu'une seule peuple, sur la proposition de Critias, fils de Calchose belle et juste, c'était de faire du bien à sa leschrus (84), comme il le dit lui-même dans ses patrie. Les Lacédémoniens applaudirent à cette jus-Élégies, en rappelant à Alcibiade le service qu'il tification, et le renvoyèrent absous avec ses coaccusés.

XL. Alcibiade, qui desirait vivement de revoir sa patrie, ou plutôt de se faire voir à ses concitoyens après avoir tant de fois vaincu les ennemis, fit voile vers Athènes (78). Tous ses vaisseaux étaient garnis d'une grande quantité de boucliers et de dépouilles; ils traînaient à leur suite plusieurs galères ennemies, et portaient les enseignes d'un plus grand nombre d'autres qui avaient été détruites; les unes et les autres ne montaient pas à moins de deux cents. Duris de Samos, qui se disait descendant d'Alcibiade, ajoute que Chrysogonus, le vainqueur aux jeux olympiques, dirigeait au son de la flûte les mouvements des rameurs; que Callipide, acteur tragique, vêtu d'une robe magnifique, et paré de tous ses ornements de théâtre, faisait l'office de comite (79), et que le vaisseau amiral était entré dans le port avec une voile de pourpre mais rien de tout cela ne se trouve ni dans Théopompe, ni dans Éphore, ni dans Xénophon. Est-il vraisemblable en effet qu'Alcibiade, après un si long exil, après tant de traverses, eût voulu insulter ainsi aux Athéniens, en se présentant à eux comme au sortir d'une partie de débauche? Au contraire, il n'approcha du port qu'avec crainte; et lorsqu'il y fut entré, il ne voulut descendre de sa galère qu'après avoir vu de dessus le tillac son parent Euryptolème (80) et plusieurs

lui avait rendu :

Je fis lever l'arrêt de ton bannissement; C'est à moi que tu dois ce service important: En scellant ton retour au sein de ta patrie, Ma main a relevé ta dignité flétrie (82). Le peuple s'étant assemblé, Alcibiade comparut devant lui; et après avoir déploré ses malheurs, après s'être plaint légèrement et avec modestie des Athéniens, il rejeta tout sur sa mauvaise fortune, sur un démon jaloux de sa gloire. Il parla ensuite avec assez d'étendue des espérances des ennemis, et exhorta le peuple à reprendre courage. Les Athéniens lui décernèrent des couronnes d'or, le déclarèrent généralissime sur terre et sur mer, le rétablirent dans tous ses biens, et ordonnèrent aux eumolpides et aux hérauts de rétracter les malédictions qu'ils avaient prononcées contre lui par ordre du peuple. Ils les révoquèrent tous, excepté l'hierophante Théodore, qui dit : « Pour » moi, je ne l'ai point maudit, s'il n'a fait aucun » mal à la ville (85). »

XLII. Cependant, tandis qu'Alcibiade jouissait de cette brillante prospérité, quelques Athéniens n'étaient pas sans inquiétude en considérant l'époque de son retour. Il était entré dans le port le 24 du mois de Thargélion', jour où l'on célébrait, en l'honneur de Minerve, la fête Plunteria (84),

. Mai.

abolir les décrets et les lois, écarter tous les hommes frivoles qui troublaient l'état par leur babil, et disposer de tout à son gré, sans s'embarrasser des calomniateurs. On ne sait pas quelles pensées il avait sur la tyrannie; mais les plus puissants d'entre les citoyens, craignant les suites de cette faveur populaire, pressèrent extrêmement son départ, en lui accordant tout ce qu'il voulut, et lui donnant les collègues qu'il demanda (88).

XLIII. Il mit à la voile avec cent vaisseaux; et ayant débarqué à l'île d'Andros, il battit les troupes du pays et celles des Lacédémoniens; mais il ne prit pas la ville; et ce fut la première des accu

dans laquelle les prêtres nommés Praxiergides | lui dire qu'il devait se mettre au-dessus de l'envie, font des mystères secrets, et voilent la statue de la déesse, après l'avoir dépouillée de tous ses ornements. De là vient que ce jour est mis au nombre des plus malheureux, et que, pendant sa durée, les Athéniens s'abstiennent de se livrer à toute affaire de quelque importance. Il semblait donc que la déesse ne reçût pas favorablement et avec plaisir Alcibiade, puisqu'elle se cachait comme pour l'éloigner d'elle. Cependant tout lui ayant réussi au gré de ses desirs, et les cent galères qu'il devait commander étant prêtes, il fut seulement retenu par la louable ambition de célébrer les grands mystères (85). Depuis que les Lacédémoniens avaient fortifié Décélie, et qu'ils étaient maitres des che-sations que ses ennemis intentèrent dans la suite mins qui conduisaient à Éleusis, la procession solennelle, qu'on avait été obligé de conduire par mer, n'avait pu être faite avec la pompe ordinaire, et l'on avait été forcé d'omettre les sacrifices, les danses, et plusieurs autres cérémonies qu'on a coutume de faire dans la voie Sacrée (86), lorsqu'on porte à Éleusis la statue d'Iacchus. Alcibiade crut donc qu'il ferait une chose aussi pieuse envers les dieux qu'honorable aux yeux des hommes (87), s'il rendait aux mystères leur solennité accoutumée, en conduisant la procession par terre, et l'accompagnant avec ses troupes pour la défendre contre les ennemis. Il pensait qu'Agis ferait un grand tort à sa réputation et à sa gloire, s'il la laissait passer tranquillement; ou que lui-même, en cas qu'il éprouvât de sa part quelque opposition, trouverait une occasion de signaler sa valeur à la vue de sa patrie, en présence de tous ses concitoyens, en soutenant contre lui un combat qu'un motif si noble et si saint rendrait agréable aux dieux. Cette résolution prise, il en fit part aux eumolpides et aux hérauts, plaça des sentinelles sur les hauteurs, et, dès la pointe du jour, envoya des coureurs à la découverte. Ensuite prenant avec lui les prêtres, les initiés et ceux qui les initient, et les couvrant de ses troupes en armes, il les conduisit en bon ordre et dans un grand silence. C'était le spectacle le plus auguste et le plus digne des dieux que cette expédition religieuse, qui fit dire à tous ceux qui ne portaient pas envie à Alcibiade qu'il remplissait, dans cette occasion, le ministère de grand-prêtre autant que celui de général. Aucun des ennemis n'osa remuer, et il ramena toute la procession en sûreté dans la ville. Ce succès lui enfla le courage, et donna tant de confiance à ses troupes, qu'elles se crurent invincibles tant qu'elles l'auraient pour chef. Alcibiade gagna tellement par cette conduite l'affection des pauvres et des dernières classes du peuple, qu'ils concurent le plus violent desir de l'avoir pour roi, et que quelques uns même allèrent jusqu'à

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contre lui. S'il y eut jamais un homme victime de sa gloire, ce fut Alcibiade. La grande opinion que ses exploits précédents donnaient de sa hardiesse et de sa prudence le fit soupçonner d'avoir manqué par négligence ce qu'il n'avait pas exécuté, parcequ'on était persuadé que rien de ce qu'il voulait faire ne lui était impossible. Ils espéraient aussi, de jour en jour, apprendre la réduction de Chio et du reste de l'Ionie; et, indignés que ces nouvelles n'arrivassent pas aussitôt qu'ils l'avaient espéré, ils ne voulaient pas réfléchir qu'il faisait la guerre contre des peuples à qui le grand roi fournissait tout l'argent dont ils avaient besoin, tandis qu'il était lui-même souvent obligé de quitter son camp pour aller chercher de quoi payer et faire subsister ses troupes. Ce fut là le prétexte de la dernière inculpation qu'on lui fit. Lysandre, que les Lacédémoniens avaient envoyé prendre le commandement de la flotte, donnait à ses matelots, sur l'argent que Cyrus lui fournissait, quatre oboles au lieu de trois. Alcidiade, qui avait bien de la peine à en payer trois aux siens, alla dans la Carie pour y ramasser quelque argent. Antiochus (89), à qui il avait laissé le commandement de la flotte, était un bon pilote, mais un homme étourdi et entreprenant. Alcibiade lui avait défendu de combattre, quand même il serait provoqué par les ennemis. Mais il eut si peu d'égard à cette défense, et porta si loin la témérité, qu'ayant rempli son vaisseau de soldats, et en prenant un autre de la flotte, il cingla vers Ephèse, et passa le long des proues des vaisseaux ennemis, provoquant par des outrages et des injures ceux qui les montaient. Lysandre se contenta de détacher quelques galères pour lui donner la chasse. Mais les Athéniens étant venus au secours de leur général, Lysandre fit avancer toute sa flotte, les battit, tua Antiochus, s'empara de plusieurs vaisseaux, fit un grand nombre de prisonniers, et dressa sur-le-champ un trophée. Alcibiade, informé de ce désastre, revint à Samos, et, s'étant

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mis à la tête de toute sa flotte, alla présenter la | ne voulurent pas l'écouter; Tydée même lui dit bataille à Lysandre, qui, content de sa victoire, avec fierté de se retirer; que ce n'était pas lui qui commandait la flotte '. ne sortit pas à sa rencontre.

1

XLIV. Il y avait dans le camp d'Alcibiade un de ses plus grands ennemis, nommé Thrasybule, fils de Thrason, qui partit sur-le-champ pour aller l'accuser à Athènes; et afin d'irriter ceux des Athéniens qui étaient déja mal disposés pour lui, il dit au peuple que c'était par un abus odieux de sa puissance qu'Alcibiade avait ruiné les affaires et perdu les vaisseaux ; que, livrant le commandement de la flotte à des hommes que leurs débauches et leurs plaisanteries grossières mettaient dans le plus grand crédit auprès de lui, il allait, sans aucun danger, s'enrichir dans les pays voisins, et s'abandonner aux excès les plus honteux au milieu des courtisanes d'Abyde et de l'lonie, pendant que l'armée ennemie était si près de celle des Athéniens. On lui reprochait aussi les forts qu'il avait bâtis en Thrace, près de la ville de Byzanthe, afin de s'y ménager une retraite, ne pouvant ou ne voulant pas vivre dans sa patrie. Les Athéniens ajoutèrent foi à ces accusations; et, n'écoutant que leur colère et leur animosité contre lui, ils nommèrent d'autres généraux (90). Alcibiade, informé de ce qui se passait, et craignant qu'on n'allât plus loin encore, quitta tout-à-fait le camp; et, rassemblant des troupes étrangères, il alla faire la guerre à des peuples de Thrace qui vivaient dans l'indépendance. Il tira de grandes sommes d'argent du butin qu'il y avait fait, et sa présence mit les Grecs de ces frontières à l'abri des incursions des Barbares. Quelque temps après, les généraux Tydée, Ménandre et Adimante, qui étaient à Égos-Potamos avec tout ce qu'il restait alors de vaisseaux aux Athéniens, avaient pris l'habitude d'aller tous les matins, à la pointe du jour, provoquer Lysandre, qui se tenait à Lampsaque; ils s'en retournaient ensuite, et passaient la journée négligemment et en désordre, en affectant un grand mépris pour les Lacédémoniens (94). Alcibiade, qui n'était pas éloigné d'eux, sentit le danger de leur position, et crut devoir les en avertir. Il monte à cheval, va trouver les généraux, et leur représente qu'ils occupent un poste désavantageux sur une côte qui n'a ni ports, ni villes, et où ils sont obligés de tirer leurs provisions de Seste, qui était fortéloignée; qu'ils souffrent imprudemment que leurs matelots, lorsqu'ils descendent à terre, se dispersent et se répandent en liberté partout où ils veulent, tandis qu'ils sont en présence d'une flotte ennemie, accoutumée à obéir sans réplique aux ordres absolus de son général. Il leur conseilla donc de se rapprocher de Seste: mais les généraux

Mot à mot, de matelot.

XLV. Alcibiade, qui soupçonna quelque trahison de la part des généraux, se retira; et quelques uns de ses amis l'ayant reconduit hors du camp, il leur dit que si les généraux ne l'avaient pas reçu avec tant d'insolence, il aurait en peu de jours forcé les Lacédémoniens ou de combattre malgré eux, ou d'abandonner leur flotte. Les uns regardèrent ce propos comme un effet de sa présomption; d'autres y trouvèrent de la vraisemblance: il n'aurait eu, pour cela, qu'à embarquer (92) un grand nombre de Thraces, tous bons hommes de cheval et de trait, faire une descente, et aller par terre charger les Lacédémoniens, que cette attaque aurait mis en désordre dans leur camp. Au reste, sa prévoyance sur les fautes que faisaient les généraux athéniens fut bientôt justifiée par l'événement. Lysandre ayant fondu sur eux lorsqu'ils s'y attendaient le moins, il ne se sauva de toute la flotte que buit vaisseaux, que Conon emmena (95); tous les autres, au nombre d'environ deux cents, furent pris et conduits à Lampsaque avec trois mille prisonniers, que Lysandre fit égorger. Peu de temps après, il se rendit maître d'Athènes, brûla tous les vaisseaux, et détruisit les longues murailles du Pirée (94).

XLVI. Alcibiade, à qui les exploits de Lysandre faisaient redouter les Lacédémoniens, qu'il voyait maîtres de la terre et de la mer, se retira en Bithynie, emportant avec lui de grandes richesses, et en laissant encore de plus considérables dans ses forteresses. Dépouillé par les Thraces de Bithynie d'une grande partie de sa fortune, il résolut d'aller à la cour d'Artaxerxe, persuadé que ce prince, dès qu'il l'aurait connu, ne le jugerait pas moins utile à son service que Thémistocle (95). Sa démarche avait d'ailleurs un motif plus honnête; il n'allait pas, comme celui-ci, offrir son bras au roi contre ses concitoyens, mais lui demander de secourir sa patrie contre ses ennemis. Il pensa que Pharnabaze lui donnerait les moyens d'aller trouver Artaxerxe en toute sûreté; et s'étant rendu auprès de lui en Phrygie, il lui fit assidument sa cour et en fut bien traité. Les Athéniens supportaient avec peine la perte de leur domination; mais quand Lysandre leur eut encore ôté la liberté, en mettant la ville sous le joug de trente tyrans, les réflexions core en état de se sauver, leur vinrent à l'esprit lorsqu'ils n'avaient pas faites pendant qu'ils étaient enqu'ils n'avaient plus de ressource. Ils déploraient leurs malheurs ; ils se rappelaient toutes les fautes qu'ils avaient commises, et dont la plus funeste était leur second emportement contre Alcibiade,

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qu'ils avaient chassé sans qu'il leur eût fait aucun tort. Pour punir un pilote qui avait perdu honteusement quelques vaisseaux, ils avaient eux-mêmes bien plus honteusement privé la ville du plus brave et du plus habile de ses généraux. Cependant, malgré ce qu'avait d'affreux leur situation présente, ils conservaient encore un rayon d'espérance, et ne croyaient pas tout perdu, tant qu'Alcibiade vivait. Si dans son premier exil il n'avait pu se résoudre à rester dans l'inaction, il devait encore moins alors, pour peu qu'il en eût le moyen, souffrir l'insolence des Lacédémoniens et les cruautés des tyrans.

res se furent retirés, Timandre enleva son corps ; et l'ayant enveloppé de ses plus belles robes, elle lui fit des funérailles aussi magnifiques que son état le lui permettait (98). On dit que Timandre eut pour fille Laïs, cette courtisane célèbre qu'on appelait la Corinthienne, mais qui avait été amenée captive d'Hyccara, petite ville de Sicile. Quelques historiens, en convenant de ce que je viens de rapporter sur la mort d'Alcibiade, prétendent que, ni Pharnabaze, ni Lysaudre, ni les Lacédémoniens, n'y curent part, et qu'Alcibiade lui-même en fut seul la cause. Il avait séduit une jeune femme d'une maison noble du pays, avec laquelle il vivait; les frères de cette femme, n'ayant pu supporter cette injure, mirent pendant la nuit le feu à la maison dans laquelle il était, et le tuèrent lorsqu'il se fut élancé, comme je l'ai déja dit, à travers les flammes.

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NOTES

SUR LA VIE D'ALCIBIADE.

XLVII. Ce n'était pas sans une apparence de raison que le peuple se berçait de ces idées, puisque les trente tyrans eux-mêmes mettaient un soin et une attention extrêmes à s'informer de ce que faisait et de ce que projetait Alcibiade. Enfin, Critias fit observer à Lysandre que les Lacédémoniens ne seraient jamais assurés de l'empire de la Grèce, si la démocratie subsistait à Athènes; que quand même les Athéniens se soumettraient avec douceur au gouvernement oligarchique, Alcibiade, tant qu'il (1) On a vu dans la Vie de Solon, c. xir, qu'Eurysacés vivrait, ne les laisserait pas s'accoutumer tranquil-et Philéus, fils d'Ajax, ayant reçu le droit de bourgeoisie lement à l'état présent des choses. Mais ces discours à Athènes, firent don aux Athéniens de l'ile de Salamine, auraient fait peu d'impression sur Lysandre, s'il et s'établirent l'un à Braurone, l'autre à Mélitte, deux n'eût enfin reçu de Sparte une scytale' qui lui or-bourgs de l'Attique. Pausanias, liv. I, c. xxxv, dit que les donnait de se défaire d'Alcibiade. Était-ce par la crainte qu'ils avaient de son habileté et de son grand courage? ou voulurent-ils seulement faire plaisir à Agis leur roi? Lysandre fit donc passer cet ordre à Pharnabaze, pour le faire exécuter; et ce satrape en chargea Magée son frère, et son oncle Sysamithrès.

XLVIII. Alcibiade vivait alors dans un bourg de Phrygie avec Timandre sa concubine (96). Il songea une nuit que, vêtu des habits de cette courtisane, il était couché sur son sein; qu'elle lui peignait et lui fardait le visage comme à une femme (97). D'autres disent qu'il vit en songe Magée qui lui coupait la tête, et faisait brûler son corps; mais tous conviennent qu'il eut ce songe peu de temps avant sa mort. Ceux qu'on avait envoyés pour le tuer n'oserent pas entrer; ils environnèrent la maison, et y mirent le feu. Alcibiade ne s'en fut pas plus tôt aperçu, que, ramassant tout ce qu'il put de hardes et de tapisseries, il les jeta dans le feu; et s'entourant le bras gauche de son manteau, il s'élança l'épée à la main à travers les flammes, et en sortit sans aucun mal, parceque le feu n'avait pas encore consumé les hardes qu'il y avait jetées. A sa vue tous les Barbares s'écartèrent; aucun d'eux n'osa ni l'attendre, ni en venir aux mains avec lui; ils l'accablèrent de loin sous une grêle de flèches et de traits, et le laissèrent mort sur la place. Quand les Barba

Voy. la Vie de Lycurgue, ch. XLIV, et la note (96).

Athéniens décernèrent à Eurysacès les honneurs divins, et que son autel subsistait encore de son temps. Isocrate, dans

son Discours sur le chariot, donne également à Alcibiade
Eurysacès pour son premier ancêtre paternel, et fait sa
roaison de Demosthène contre Midies: il dit que son père
mère Alcméonide. Cependant on lit tout le contraire dans
était Alcmeonide, et que sa mère descendait d'Hipponicus.
Il serait etonnant que ces deux orateurs, dont le premier
a été contemporain d'Alcibiade, et l'autre est venu au
nion différente sur une généalogie qui devait être très
monde vingt-quatre ans après sa mort, cussent eu une opi-
connue. L'opinion de Plutarque est celle de Lysias et d'An-
docides dans leurs raisons contre Alcibiade, de Diodore
de Sicile, liv. XII, c. xxxvIII, de Valère Maxime, I. III,

C. IV, d'Aulu-Gelle, liv. XV, c. vii, et d'Hérodote, liv. VI,
C. CXXXI, qui tous font Périclès oncle d'Alcibiade. Je crois
qu'il faut attribuer cette différence à une erreur de copiste ;
erreur facile, puisqu'il n'a fallu pour cela que la transpo-
sition de deux lettres. Hipponicus était fils de ce Clinias
qui, selon Hérodote, liv. VI, C. CXXI, acheta les biens des
Megacles, grand-père d'Alcibiade, avait épousé Agariste,
Pisistratides, lorsqu'ils eurent été bannis d'Athènes.
fille de listhene, tyran de Sicyone, comme on le voit
dans ce même historien, ibid., c. cxxx. Ce Mégacles
comptait parmi ses aïeux Alcmeon, dont les ancêtres,
selon Suidas, au mot Alcmeonides, vivaient du temps de
Thésée. Cette famille était, dès sa première origine, une
des plus anciennes et des plus illustres.

(2) Ce Clinias, fils d'un autre Alcibiade, fut, suivant Herodote, liv. VIII, c. xvп, un de ceux qui à la bataille niens, qui eux-mêmes effacerent, par leurs exploits, tous d'Artémisium se distinguèrent le plus parmi les Athéles autres Grecs. La bataille de Coronée, où il fut tué, se donna, selon Diodore de Sicile, liv. XII, c. vi, la deuxième année de la quatre-vingt-troisième olympiade. Les Atheniens y étaient commandés par Tolmidas, qui périt aussi en combattant avec beaucoup de valeur. Le plus grand

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