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acte est d'une exécution encore plus difficile; ainsi j'avoue avec mes anges qu'il n'y a que Mile Clairon qui puisse jouer Olympie1. Il me semble qu'elle a pour elle le premier acte, le quatre et le cinq; Statira n'en a que deux où elle efface sa fille. De plus, on peut donner à la pièce le nom d'Olympie, afin que Mile Clairon ait encore plus d'avantages, et paraisse jouer le premier rôle.

J'avouerai encore, après y avoir bien pensé, qu'il vaut mieux ne point donner la pièce au théâtre que de la hasarder entre des mains qui ne soient pas exercées et accoutumées à faire approcher celles du parterre l'une de l'autre.

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Mon cher et universel, vous avez le nez fin, et c'est pour cela que j'ai voulu que vous lussiez Olympie; mais, après avoir mandé à Me de Fontaine de vous donner cette corvée 2, je lui mandai de n'en rien faire, attendu que j'ai le nez fin aussi, et que je m'étais très-bien aperçu que Cassandre et Olympie ne remuaient pas comme ils doivent remuer. J'avais, Dieu et le duc de Villars m'en sont témoins, j'avais broché en six jours cette besogne. Il n'appartient qu'au dieu de Moïse de créer en six jours un monde. J'avais fait le chaos; j'ai débrouillé beaucoup, et voilà pourquoi je ne voulais plus que vous vissiez mon ours avant que je l'eusse léché. Toutes vos critiques me paraissent assez justes; ce n'est point peu pour un auteur d'en convenir : il n'y en a qu'une qui me paraît mauvaise. Vous voulez qu'un homme qui est à la porte d'une église interrompe une cérémonie qu'on fait dans le sanctuaire, et à laquelle il n'a nul droit, nul prétexte de s'opposer.

On voit bien que vous n'allez jamais à la messe. Je suppose que vous vissiez Fréron et Chaumeix, etc., communier à NotreDame iriez-vous leur donner des coups de bâton à l'autel? N'attendriez-vous pas qu'ils allassent de l'église au b.....? Vous ne savez pas combien les cérémonies de l'église sont respectables.

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Il y a encore d'autres remarques sur lesquelles je pourrais disputer; mais le grand point est d'intéresser, tout le reste vient ensuite. J'ai choisi ce sujet moins pour faire une tragédie que pour faire un livre de notes à la fin de la pièce, notes sur les

1. Voyez lettre 4715.

2. Voyez la lettre du 8 février, no 4833.

mystères, sur la conformité des expiations anciennes et des nôtres, sur les devoirs des prêtres, sur l'unité d'un dieu prêchée dans tous les mystères, sur Alexandre et ses consorts, sur le suicide, sur les bûchers où les femmes se jetaient dans la moitié de l'Asie; cela m'a paru curieux, et susceptible d'une hardiesse honnête Meslier est curieux aussi. Il part un exemplaire pour vous; le bon grain était étouffé dans l'ivraie de son in-folio. Un bon Suisse a fait l'extrait très-fidèlement, et cet extrait peut faire beaucoup de bien. Quelle réponse aux insolents fanatiques qui traitent les sages de libertins! Quelle réponse, misérables que Vous êtes, que le testament d'un prêtre qui demande pardon à Dieu d'avoir été chrétien! Le livre de Mords-les sur l'Inquisition 1 me met toujours en fureur. Si j'étais Candide, un inquisiteur ne mourrait que de ma main.

Mile Corneille est bien élevée; il faut remercier Dieu d'avoir arraché cette âme à l'horreur d'un couvent.

Je fais un peu de bien dans la mission que le ciel m'a confiée. O mes frères! travaillez sans relâche, semez le bon grain, profitez du temps pendant que nos ennemis s'égorgent. Mme Denis est très-contente de votre musique.

Quoi! Meslier, en mourant, aura dit ce qu'il pense de Jésus, et je ne dirai pas la vérité sur vingt détestables pièces de Pierre, et sur les défauts sensibles des bonnes? Oh! pardieu, je parlerai ; le bon goût est préférable au préjugé, salva reverentia. Écrasez Finf..., je vous en conjure.

4847.

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A M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.

25 février.

Non, cela n'est pas vrai, avec le respect que je vous dois : vous n'avez point lu Cassandre; vous avez lu, monsieur le marquis, une esquisse de Cassandre, à laquelle il manque cent coups de pinceau, et dont quelques figures sont estropiées. Dieu seul peut créer le monde en huit jours; mais moi, je n'ai pu créer que le chaos. Ce n'est pas sans peine que je crois enfin l'avoir débrouillé. Cassandre et Olympie n'intéressaient pas assez, el toutes les critiques qu'on peut faire n'approchent pas de celle-là. C'est l'intérêt de ces deux amants qui doit être le pivot de la pièce, sans préjudice de vingt autres détails. La première chose

1. Le Manuel des Inquisiteurs, par Morellet.

2. Voyez le chapitre 1x de Candide, tome XXI, page 153.

qu'il faut faire est donc que M. d'Argental ait la bonté de me renvoyer l'original, sur lequel on recollera proprement une soixantaine de vers absolument nécessaires; ensuite Mlle Clairon verra peut-être que le rôle d'Olympie est plus intéressant que celui d'Électre, qu'elle a joué quand Me Dumesnil a joué Cly

temnestre.

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Au reste, j'ai très-peu d'empressement pour donner cette pièce au théâtre nous allons la jouer à Ferney; il est juste que je travaille un peu pour mon plaisir et pour celui de Me Denis. Si je livrais cette pièce aux comédiens, je ne voudrais pas leur abandonner la part d'auteur, comme j'ai fait dans les pièces précédentes. Je voudrais que cette part fût pour Me Clairon, Mlle Dumesnil, et Lekain. Mais nous n'en sommes pas là. Il faudrait que je fusse à Paris pour diriger cette pièce, qui est toute d'appareil et de spectacle, et qui d'ailleurs n'est guère du ton ordinaire. Le ridicule est fort à craindre dans tout ce qui est hasardé. Mais il est impossible que j'aille à Paris : ni mon goût, ni mon âge, ni ma santé, ni Corneille, ne le permettent. Je me vois avec douleur privé de la consolation de vous revoir : car vous ne quitterez point le théâtre de Paris pour celui de Ferney. Conservez-moi vos bontés, et soyez sûr que j'en sens tout le prix.

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J'ai l'honneur de vous renvoyer, mon cher confrère, Cassandre, que le duc de Villars m'a adressé, ainsi que vos remarques sur Cinna. Je crois qu'en revoyant votre tragedie, vous ferez bien de fonder encore davantage l'amour d'Olympie pour Cassandre; il faut que cet amour soit d'une bonne constitution pour résister à la révélation de tant de crimes. Ainsi, je crois nécessaire d'établir que Cassandre a sauvé la vie à Olympie au péril de la sienne, dans un âge où elle ait pu en conserver la mémoire; qu'elle se rappelle cet événement avec reconnaissance, qu'elle le raconte à sa mère; que Cassandre insiste sur ce service, quand il n'a plus d'autres droits à faire valoir, et que tout cela soit peint avec les traits vifs et piquants dont vos poches sont pleines: on pardonnera à Olympie d'aimer un homme à qui elle doit la vie, et de se tuer quand l'honneur lui défend de l'épouser. En un mot, elle sera plus intéressante.

A l'égard de vos remarques sur Cinna, je les adopte toutes; vous pouviez même pousser la sévérité plus loin en disant que Cinna « est plutôt un bel ouvrage qu'une belle tragédie 1», vous avez tout dit. Qu'Auguste par

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1. Voltaire a dit que « plusieurs gens de lettres regardent Cinna plutôt comme

donne à Maxime par clémence ou par mépris, à la bonne heure; mais on est révolté qu'il le conserve au rang de ses amis. Je crois que cette observation mérite d'être faite.

Vous êtes en peine de mon âme, dans le vide de l'oisiveté à laquelle je suis condamné à l'avenir. Avouez que vous me croyez ambitieux comme tous mes pareils; si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que je suis arrivé en place philosophe, que j'en suis sorti plus philosophe encore, et que trois ans de retraite ont affermi cette façon de penser au point de la rendre inébranlable. Je sais m'occuper; mais je suis assez sage pour ne pas faire part au public de mes occupations; je n'avais besoin pour être heureux que de cette liberté dont parle Virgile, quæ sera tamen respexit inertem1. Je la possède en partie; avec le temps je la posséderai tout entière. Une main invisible m'a conduit des montagnes du Vivarais au faîte des honneurs; laissons-la faire, elle saura me conduire à un état honorable et tranquille; et puis, pour mes menus plaisirs, je dois, selon l'ordre de la nature, être l'électeur de trois ou quatre papes 2, et revoir souvent cette partie du monde qui a été le berceau de tous les arts. N'en voilà-t-il pas assez pour bercer cet enfant que vous appelez la vie? Ne me souhaitez que de la santé, mon cher confrère; j'ai ou j'aurai tout le reste. Quand je désire une longue vie, je suppose votre existence et celle de quelques amis car je suis comme Mile Scudéri, je ne voudrais pas vivre éternellement si mes amis n'étaient éternels comme moi. Adieu, mon cher confrère; je ris comme un fou quand je songe que vous êtes destiné à vivre en Suisse, et moi à habiter un village.

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O anges! vous connaissez les faibles mortels, ils se traînent à pas lents. Quatre vers le matin, six le soir, dix ou douze le lendemain, toujours rentrayant, toujours rapetassant, et ayant bien de la peine pour peu de chose. Fenvoyez-moi donc ma guenilie, afin que sur-le-champ elle reparte avec pièces et morceaux, et que la hideuse créature se présente devant votre face, toute recousue et toute recrépie.

Mais, ô mes divins anges! le drame de Cassandre est plus mystérieux que vous ne pensez. Vous ne songez qu'au brillant théâtre

un bel ouvrage que comme une tragédie intéressante ». Voyez tome XXXI, page 339.

1. Virgile, Bucol., 1, v. 8.

2. Bernis n'a participé qu'à deux élections de papes, Clément XIV en 1769, et Pie VI en 1775; mais ce dernier a régné vingt-cinq ans.

3. Cette lettre formait le commencement d'une autre qu'on a toujours imprimée sans nulle raison à la fin de 1762. (G. A.)

de la petite ville de Paris, et le grave auteur de Cassandre a de plus longues vues. Cet ouvrage est un emblème. Que veut-il dire? Que la confession, la communion, la profession de foi, etc., etc., sont visiblement prises des anciens. Un des plus profonds pédants de ce monde (et c'est moi) a fait une douzaine de commentaires par A et par B à la suite de cet ouvrage mystique, et je vous assure que cela est édifiant et curieux. Le tout ensemble fera un singulier recueil pour les âmes dévotes.

J'ai lu la belle lettre de Mme Scaliger à la nièce. Nous sommes dans un furieux embarras si Me Dumesnil est ivre, adieu le rôle de Statira. Si elle n'est pas ivre, elle sera sublime. Mademoiselle Clairon, vous refusez Olympie! mais vraiment vous n'êtes pas trop faite pour Olympie, et cependant il n'y a que vous, car on dit que cette Dubois est une grande marionnette, et que Mile Hus n'est qu'une grande catin. Tirez-vous de là, mes anges; vous serez bien habiles avec ces demoiselles de coulisses.

Et ma tracasserie avec cet animal de Gui Duchesne? Vous ne me l'avez jamais mise au net. Encore une fois, je ne crois pas avoir fait un don positif à Gui Duchesne; et je voudrais savoir précisément de quel degré est ma sottise. Sot homme est celui qui se laisse duper. Oh! oh! mes anges, mon cœur n'est accessible à l'amitié que pour vous seuls; il est dur comme le pot de fer pour tout le reste; il n'y a que pour vous qu'il sache s'attendrir.

Mon plus grand malheur, vous dis-je, est la mort d'Élisabeth. Je crois mon Schouvalow disgracié. On dit la paix faite entre Pierre III et Frédéric III. Ma chère Élisabeth détestait Luc, et je n'y avais pas peu contribué, et je riais dans ma barbe, car je suis un drôle de corps; mais je ne ris plus, Me Clairon m'embarrasse.

4850. A M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.

A Éphèse 1, 26 février.

Votre Excellence est bien persuadée de tous les sentiments que le roi mon maître a pour elle. Il s'intéresse à votre santé ; il m'en a parlé avec une sensibilité qui est bien rare dans les personnes occupées de grandes affaires. C'est un exemple que vous lui avez donné ; il sait que, dans la guerre et dans les négocia

1. C'est à Éphèse qu'est la scène dans Olympie.

2. Cassandre, roi de Macédoine.

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