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il espère que, quand il s'agira d'imprimer, le texte sacré sera rétabli dans toute sa pureté.

Je suis enthousiasmé du petit livre de l'Inquisition; jamais l'abbé Mords-les n'a mieux mordu, et la préface est un des meilleurs coups de dent qu'ait jamais donnés Protagoras1.

Je suis d'ailleurs très-mécontent de frère Thieriot, dont les lettres sont toujours instructives, et qui écrit une fois en six mois. Ce frère aura pourtant, dans six mois, un ouvrage d'un de nos frères de la propagande qui pourra lui être utile, et faire prospérer la vigne du Seigneur.

Allons donc, paresseux, écrivez-moi donc comment on a reçu la réplique foudroyante de l'abbé de Chauvelin aux jésuites 3.

Quelles nouvelles du tripot de la Comédie? quelle tragédie jouera-t-on? quelles sottises fait-on? Envoyez-moi donc celles de Piron, puisque j'ai lu celles de Gresset.

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Mes chers frères, je vous remercie, au nom de l'humanité, du Manuel de l'Inquisition. C'est bien dommage que les philosophes ne soient encore ni assez nombreux, ni assez zélés, ni assez riches, pour aller détruire, par le fer et par la flamme, ces ennemis du genre humain, et la secte abominable qui a produit tant d'horreurs.

M. Picardin me mande qu'il est assez content du succès du Droit du Seigneur : on dit qu'on l'a gàté encore après la première représentation. Il faudrait avoir un peu plus de fermeté, et savoir résister à la première fougue des critiques, qui fait du bruit les premiers jours, et qui se tait à la longue. On ne peut que corriger très-mal quand on corrige sur-le-champ, et sans consulter l'esprit de l'auteur: cela même enhardit les censeurs; ils critiquent ces corrections faites à la hâte, et la pièce n'en va pas mieux.

1. On pourrait croire, d'après cette phrase, que d'Alembert, auquel Voltaire donnait le nom de Protagoras, est auteur de la Préface du Manuel des Inquisiteurs, qu'on doit à Morellet. Voyez tome XXV, page 105.

2. Voltaire se proposait sans doute d'abandonner le produit d'un de ses ouvrages sur le chantier à Thieriot. (B.)

3. Répliques aux Apologies des jésuites. Voyez tome XXIV, page 341.

4. Le Salon, poëme, 1762, in-4°.

5. Lettre à M. le duc de Choiseul sur le Mémoire historique de la négociation entre la France et l'Angleterre, Amiens, 1762, in-4°.

Je vais écrire aux frères Cramer, et j'enverrai, par la poste suivante, les deux exemplaires qu'on demande concernant le Despotisme oriental 1. Ce livre, très-médiocre, n'est point fait pour notre heureux gouvernement occidental. Il prend très-mal son temps, lorsque la nation bénit son roi et applaudit au ministère. Nous n'avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

M. Picardin demande absolument la préface du Droit du Seigneur cela est de la dernière conséquence; il y a quelque chose d'essentiel à y changer. Je supplie donc qu'on me l'envoie par la première poste, et M. Picardin la renverra incontinent.

On n'a point reçu de lettre de frère Thieriot; cela n'a pas trop bon air; il devait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

J'embrasse tendrement tous les frères. S'ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant Dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du Seigneur n'a été plus propice. Nos infàmes ennemis se déchirent les uns les autres; c'est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu'elles se mordent, et que nous pouvons les mirer à notre aise.

Soyez persévérants, mes chers frères, et priez Dieu pour moi, qui ne me porte pas trop bien.

Élevons nos cœurs à l'Éternel. Amen.

4810. - A M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.

Aux Délices, 26 janvier.

Je vous jure, mon cher marquis, que le Droit du Seigneur, qu'on intitule sottement l'Ecueil du Sage, est une pièce meilleure sur le papier qu'au théâtre de Paris: car, à ce théâtre, on a retranché et mutilé les meilleures plaisanteries. Votre nation est légère et gaie, je l'avoue; mais pour plaisante, elle ne l'est point du tout. Vous n'avez pas, depuis le Grondeur, un seul auteur qui ait su seulement faire parler un valet de comédie. Je conviens. que l'intérêt et le pathétique ne gâtent rien; mais sans comique. point de salut. Une comédie où il n'y a rien de plaisant n'est qu'un sot monstre. J'aime cent fois mieux un opéra-comique que toutes vos fades pièces de La Chaussée. J'étranglerais Me Dufresne pour avoir introduit ce misérable go ût des tragédies bourgeoises,

1. Voyez la note, page 25.

2. Cette préface ne nous est pas parvenue.

qui est le recours des auteurs sans génie. C'est à ce pitoyable goût qu'on doit le retranchement des plaisanteries du Droit du Seigneur. Je m'intéresse fort à cette pièce; je sais qu'on me l'attribue, mais je vous jure qu'elle est d'un académicien de Dijon. Regardez-moi comme un malhonnête homme si je vous mens1. Je vous prie, vous et vos amis, de le dire à tout le monde: nous jouerons incessamment cette pièce sur un théâtre charmant, que vous devriez bien venir embellir de vos talents admirables.

On dit que Mile Dubois n'a pas joué Atide en fille d'esprit, et que Brizard est à la glace: ce n'est pas ainsi que nous jouons la comédie chez nous. Comptez qu'à tout prendre notre tripot vaut bien le vôtre. Mile Corneille joue Colette comme si elle était l'élève de Me Dangeville: c'est une laideron très-jolie et très-bonne enfant ; j'ai fait en elle la meilleure acquisition du monde. Monsieur son oncle me fatigue un peu : il est bien bavard, bien rhéteur, bien entortillé, et vous présente toujours sa pensée comme une tarte des quatre façons; cependant il faut le commenter. Vous êtes sans doute sur la liste; ce sont les Cramer qui sont chargés des détails. Pour moi, je ne me mêle que d'être un très-petit commentateur, beaucoup moins pour le service de l'oncle que pour celui de la nièce. Entre nous, vive Racine! malgré sa faiblesse.

4811.

A M. LE CARDINAL DE BERNIS.

Aux Délices, 26 janvier.

Avez-vous, monseigneur, daigné recommencer Rodogune, que j'eus l'honneur d'envoyer à Votre Éminence il y a un mois? Vous avez pu faire lire les Commentaires en tenant la pièce, c'est un amusement; dites-moi donc quand j'ai raison et quand j'ai tort: c'est encore un amusement.

En voici un autre : c'est mon œuvre de six jours, qui est devenu un œuvre de six semaines. Vous verrez que j'ai profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n'y a que ce poignard qu'on jette toujours au nez; mais je vous promets de vous le sacrifier. J'aime passionnément à consulter; et à qui puis-je mieux m'adresser qu'à vous? Aimez toujours les belleslettres, je vous en conjure: c'est un plaisir de tous les temps, et, per Deos immortales, il n'y a de bon que le plaisir, le reste est

1. Voltaire était membre honoraire non résident de l'Académie de Dijon, depuis le 3 avril 1761.

42.

CORRESPONDANCE. X.

2

fumée; vanitas vanitatum 1, et afflictio spiritus. Quand vous aurez lu ma drogue, Votre Éminence veut-elle avoir la bonté de l'envoyer à M. le duc de Villars, à Aix? Il a vu naître l'enfant; il est juste qu'il le voie sevré, en attendant qu'il devienne adulte.

Je fus tout ébahi, ces jours passés, quand le roi m'envoya la pancarte du rétablissement d'une pension que j'avais autrefois, avec une belle ordonnance. Cela est fort plaisant, car il y aura des gens qui en seront fàchés. Ce ne sera pas vous, monseigneur, qui daignez m'aimer un peu, et à qui je suis bien tendrement attaché avec bien du respect.

P. S. Je me flatte que votre santé est bonne; il n'en est pas de même de celle du roi de Prusse, ni même de la mienne; je m'affaiblis beaucoup.

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O mes anges! je vous remercie d'abord, vous et M. le comte de Choiseul, de l'éclaircissement que je reçois sur les propositions de mariage faites, en 1725, entre deux têtes couronnées 3. Je vous prie de dire à M. le comte de Choiseul qu'un jour le maréchal Keith me disait : « Ah! monsieur, on ment dans cette cour-là encore plus que dans la cour de Rome. »>

Mais vous m'avouerez que si les Scythes savent mentir, ils savent encore mieux se battre, et qu'ils deviennent un peuple bien redoutable. Je suis leur serviteur, comme vous savez, et un peu le favori du favori; mais j'avoue qu'ils mentent beaucoup, et je ne l'avoue qu'à mes anges.

Il est fort difficile de trouver à présent les Sermons du rabbin Akib; on tâchera d'en faire venir de Smyrne incessamment.

A l'égard du capitaine de chevaux, si fiançailles ne sont pas épousailles, désir passager n'est pas fiançailles; on attendra tranquillement que Dieu et le hasard mettent fin à cette belle aventure.

Je vais tâcher, tout malingre que je suis, d'écrire un mot à M. le président de La Marche, et le remercier de son beau zèle

1. Ecclésiaste, 1, 2.

2. Ibid., II, 22.

3. Entre Louis XV et Élisabeth; voyez lettre 4798.

4. Voyez lettre 4777.

pour mon nom. Vous devriez bien le détourner du malheureux penchant qu'il semble avoir encore pour cette secte abominable1, contre laquelle le rabbin Akib semble porter de si justes plaintes.

Les jésuites et les jansénistes continuent à se déchirer à belles. dents; il faudrait tirer à balle sur eux tandis qu'ils se mordent, et les aider eux-mêmes à purger la terre de ces monstres. Vous me trouverez peut-être un peu sévère dans ce moment, mais c'est que la fièvre me prend, et je vais me coucher pour adoucir mon humeur.

Je vous demande en grâce, mes divins anges, de me renvoyer mes deux Cassandre; et si la fièvre me quitte, vous aurez bientôt un Cassandre selon vos désirs. Mille tendres respects.

Encore un mot, tandis que j'ai le sang en mouvement. Je suis douloureusement affligé qu'on ait retranché l'homme qui paye noblement quand il perd une gageure3, et la réponse délicieuse à mon gré : Ai-je perdu? Nous nous gardons bien, sur notre petit théâtre, de supprimer ce qui est si fort dans la nature, car nous n'avons point le goût sophistiqué comme on l'a dans Paris, et nos lumières ne sont point obscurcies par la rage de critiquer mal à propos, comme c'est la mode chez vous, à une première représentation. Il faut avoir le courage de résister à ces premières critiques, qui s'évanouissent bientôt.

Je crois que ce qui me donne la fièvre est qu'on ait retranché dans Zulime le J'en suis indigne du cinquième acte, qui fait chez nou's le plus grand effet, et qui vaut mieux que Eh bien! mon père! dans Tancrède. Puisqu'on m'a ôté ce trait de la pièce, qui est le meilleur, je n'ai plus qu'à mourir, et je meurs (du moins je me couche). Adieu.

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Mon cher doyen, il arrive toujours quelque contre-temps dans le monde. M. d'Argental confesse avoir égaré votre lettre du 29 de décembre, pendant près d'un mois. Je la reçois aujourd'hui, et je vous souhaite la bonne année, quoique ce soit un peu

1. Les jésuites.

2. Voyez tome XXIV, page 277.

3. Voltaire parle encore avec regret de cette suppression dans sa lettre 4827. 4. Il est dans le texte, acte V, scène III.

5. Acte V, scène v. Voyez tome V, page 558.

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