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sandre puisse n'avoir rien à se reprocher auprès d'Olympie. En toute tragédie, comme en toute affaire, il y a un point principal, un centre où toutes les lignes doivent aboutir. Ce centre est ici l'amour de Cassandre et d'Olympie; j'avais été assez heureux pour remplir votre objet. Ce n'est point Cassandre qui a enlevé Olympie à Babylone, c'est Antipatre son père. Antipatre vient de mourir; et le premier devoir dont s'acquitte Cassandre est de restituer à la fille d'Alexandre le royaume de son père, dont il se trouve en possession. Il est à la fois innocent devant Dieu, et coupable devant Statira et devant Olympie. Il est vrai qu'il a présenté la coupe empoisonnée à Alexandre, mais il n'était pas dans le secret de la conspiration; il est vrai qu'il a répandu le sang de Statira, mais c'est dans la fureur d'un combat, c'est en défendant son père. Il se trouve enfin dans la situation la plus tragique, amoureux à l'excès d'une fille dont il est l'unique bienfaiteur, meurtrier de la mère, empoisonneur du père, adoré de la fille, exécrable à Statira, odieux à Olympie, qui l'aime, pénétré de remords et de désespoir. Il n'y a personne qui ne souhaite ardemment qu'Olympie lui pardonne, et Olympie n'ose lui pardonner. Voilà le fond, voilà le sujet de la pièce. Elle est bien autrement traitée que dans la malheureuse minute qu'on vous a envoyée par méprise. Je suis tout glorieux d'avoir prévenu presque toutes vos objections.

Il s'en faut bien, par exemple, que mon grand prêtre puisseêtre soupçonné de prendre aucun parti: car lorsque Cassandre lui dit :

il répond :

Du parti d'Antigone êtes-vous contre moi?
(Acte III, scène 11.)

Me préservent les cieux de passer les limites
Que mon culte paisible à mon zèle a prescrites!
Les intrigues des cours, les cris des factions,

Des humains que je fuis les tristes passions,

Seigneur, ne troublent point nos retraites obscures.

Au Dieu que nous servons nous levons des mains pures:

Les débats des grands rois, prompts à se diviser,

Ne sont connus de nous que pour les apaiser;
Et nous ignorerions leurs grandeurs passagères,
Sans le fatal besoin qu'ils ont de nos prières.

Enfin il y a, de compte fait, quatre cents vers dans la pièce qui la changent entièrement, et que vous ne connaissez pas

Encore une fois, j'en bénis Dieu, puisque le quiproquo m'a valu vos bontés et vos lumières ; vous m'enchantez et vous m'éclairez. Venez donc voir jouer la pièce; madame l'ambassadrice, embellissez donc Olympie. Je vais tâcher de rendre son rôle plus touchant, pour le rendre moins indigne de vous. Je suis un bon diable d'hierophante, pénétré, reconnaissant, attaché pour ma pauvre vie à Vos Excellences.

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Mes anges sont terriblement importunes de leur créature. Leur créature considère qu'il faut toujours plus de six semaines pour rapetasser ce qu'on a fait en six jours (comme on l'a déjà confessé).

En toute tragédie, comme en toute affaire, il y a un point principal d'où dépend le succès, et auquel tout doit être subordonné. Ce point principal, dans l'affaire de Cassandre, est qu'il ne soit pas odieux au public, et qu'il le soit horriblement à Statira. Il faut que son amour intéresse; et, pour qu'il intéresse, il ne faut pas qu'on ait le plus léger soupçon que ce soit un lâche qui ait empoisonné Alexandre. Quelque soin que j'aie pris d'écarter cette idée, je vois qu'elle se loge dans beaucoup de têtes. Mes anges verront le soin que j'ai pris pour prévenir cette fausse opinion par les deux scènes ci-jointes. Il me semble que ces deux scènes écartent toutes les objections qu'on pourrait faire au rôle de Cassandre. Il n'y a plus de reproches à faire qu'à Antipatre son père; c'est lui qui fit périr son maître, c'est lui qui emmena Olympie en esclavage; et Cassandre a élevé avec des soins paternels la prisonnière de son père. Rien ne peut plus s'opposer à l'intérêt qu'on doit prendre à lui: il a tout réparé, il a tout fait pour mériter Olympie; et c'est, à mon sens, un coup de l'art assez singulier que l'empoisonneur du père d'Olympie, et le meurtrier de sa mère, mérite d'être aimé de la fille.

Voici une autre affaire bien importante et bien délicate. Lekain se plaint amèrement de ce qu'un nommé Brizard veut s'appeler Marc-Tulle Cicéron1; Lekain prétend que c'est lui qui doit être Cicéron, mais il ne lui ressemble point du tout. Ce Cicéron avait un grand cou, un grand nez, des yeux perçants,

1. Brizard disputait à Lekain le rôle de Cicéron dans Rome sauvée.

une voix sonore, pleine, harmonieuse; toutes ses phrases avaient quatre parties, dont la dernière était la plus longue; il se faisait entendre, du haut de la tribune, jusque dans les derniers rangs des marmitons romains. Ce n'est point là du tout le caractère de mon ami Lekain; mais où sont les gens qui se rendent justice? Ce singe1 de Lanoue ne me déclarait-il pas une haine mortelle, parce que je lui avais dit que Dufresne avait une face plus propre que la sienne à représenter Orosmane?

Je ne puis donc flatter Lekain dans son goût cicéronien; je m'en remets à la décision de mes anges: c'est aux premiers gentilshommes de la chambre à donner les rôles; un pauvre auteur ne doit jamais se mêler de rien que d'être sifflé.

Autre requête à mes anges, concernant le Droit du Seigneur. On dit qu'on a tout mutilé, tout bouleversé. La pièce sera huée, je vous en avertis. J'écris à frère Damilaville; je le prie de m'envoyer la pièce telle qu'on la doit jouer: ce qu'il y a encore de très-important, c'est qu'il faut jurer toujours qu'on ne connaît point l'auteur. Le public cherche à me deviner, pour se moquer de moi; je vois cela de cent lieues.

Mes divins anges, ce n'est pas tout. Renvoyez-moi, je vous prie, tous mes chiffons, c'est-à-dire les deux leçons de cette œuvre de six jours, que je mets plus de six fois six autres jours à reprendre en sous-œuvre. Ou je suis un sot, ou cela sera déchirant, et vous en viendrez à votre honneur. Vous pouvez être sûrs que si je reçois le matin votre paquet, un autre partira le soir pour aller se mettre à l'ombre de vos ailes. Ah! que vous m'avez fait aimer le tripot! Je relisais tout à l'heure une première scène d'une drame commencé et abandonné. Cette première scène me réchauffe; je reprendrai ce drame, mais il faut songer sérieusement à Pierre Jer 3.

La vie est courte; il n'y a pas un moment à perdre à l'âge où je suis. La vie des talents est encore plus courte. Travaillons tandis que nous avons encore du feu dans les veines.

4

Je suis content de l'Espagne : il vaut mieux tard que jamais. Il y a longtemps que je dis : Gare à vous, Joseph! Je dis aussi : Gare à vous, Luc!

Aux pieds des anges.

1. Cette expression regarde Lanoue.

2. Voyez lettre 4799.

3. Voyez tome VII, la tragédie de Don Pedre.

4. Qui avait ratifié le pacte de famille; voyez page 4.

4805. A M. COLINI.

Aux Délices, 20 janvier.

Mon cher Colini, le paquet que j'ai adressé à Son Altesse électorale1 était si gros que je n'ai pas osé y mettre un autre nom que le sien, de peur que la poste refusât de s'en charger. Au reste, cette pièce dont vous parlez n'est qu'une simple esquisse, et je travaille à rendre l'ouvrage plus digne de lui.

2

Je suis bien vieux et bien cassé; ma vue s'affaiblit; mes oreilles deviennent bien dures; cependant je ne perds jamais de vue l'affaire de Francfort, et je ne désespère pas d'obtenir justice: j'espère beaucoup des Russes. Il faudra bien qu'à la fin les Schmith et les Freytag connaissent qu'il y a une Providence. J'aiderai un peu cette Providence, si j'ai la force de faire un voyage; et comme on espère toujours, j'espère faire un voyage, et vous embrasser, dès que je serai quitte de mon Pierre Corneille. Addio, caro! V.

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Ni le petit Mémoire 3, monsieur, que vous avez eu la bonté de communiquer à l'Académie, ni aucun des commentaires qu'elle a bien voulu examiner, ne sont destinés à l'impression: ce ne sont, je le répète encore, que des doutes et des consultations. Je demande les avis de l'Académie, pour pressentir le jugement du public éclairé, et pour avoir un guide sûr qui me conduise dans un travail très-épineux et très-pénible. Non-seulement je consulte l'Académie en corps, mais je m'adresse à des membres qui ne peuvent assister aux assemblées.

M. le cardinal de Bernis, par exemple, a présentement entre les mains mes doutes sur Rodogune, et je vous les enverrai dès qu'il me les aura rendus. Encore une fois, il s'agit d'avoir toujours raison, et je ne peux demander trop de conseils.

Je tâche d'égayer et de varier l'ouvrage par tous les objets de comparaison que je trouve sous ma main; voilà pourquoi je rapporte la chanson des sorcières de Shakespeare', qui arrivent

1. Charles-Théodore, électeur palatin.

2. La tragédie d'Olympie.

3. Il appelle ainsi la lettre du 25 décembre; voyez no 4788.

4. Voyez, tome XLI, page 564.

sur un manche à balai, et qui jettent un crapaud dans leur chaudron. Il n'est pas mal de rabattre un peu l'orgueil des Anglais, qui se croient souverains du théâtre comme des mers, et qui mettent sans façon Shakespeare au-dessus de Corneille.

J'ai une chose particulière à vous mander, dont peut-être l'Académie ne sera pas fàchée pour l'honneur des lettres. Vous savez que j'avais autrefois une pension; je l'avais oubliée depuis douze ans, non-seulement parce que je n'en ai pas besoin, mais parce que, étant retiré et inutile, je n'y avais aucun droit. Sa Majesté, de son propre mouvement, et sans que je pusse m'y attendre, ni que personne au monde l'eût sollicitée, a daigné me faire envoyer un brevet et une ordonnance. Peut-être est-il bon que cette nouvelle parvienne aux ennemis de la littérature et de la philosophie. Je me recommande toujours aux bontés de l'Académie, et je vous prie de me conserver les vôtres.

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Est-il vrai que la Dubois récite le rôle d'Atide comme une petite fille qui ànonne sa leçon ?

Les Étrennes du chevalier de Molmire ne paraissent pas vous être dédiées. Ne montrez le Sermon du bon rabbin Akib qu'à d'honnêtes gens dignes d'entendre la parole de Dieu. Savez-vous que j'avais autrefois une pension que je perdis en perdant la place d'historiographe? Le roi vient de m'en donner une autre, sans qu'assurément j'aie osé la demander; et M. le comte de Saint-Florentin m'envoie l'ordonnance pour être payé la première année. La façon est infiniment agréable. Je soupçonne que c'est un tour de Mme de Pompadour et de M. le duc de Choiseul.

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Le frère ermite embrasse tendrement les frères de Paris. Il a un peu de fièvre, mais il espère que Dieu le conservera pour être le fléau des fanatiques et des barbares. Ni lui ni M. Picardet ne sont contents de l'altération du texte du Droit du Seigneur; et

1. Cette lettre n'est qu'un fragment que les éditeurs précédents avaient cousu à une lettre de l'année 1761. (G. A.)

2. Dans Zulime.

3. Les Chevaux et les Anes, étrennes aux sots. Voyez tome X.

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