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mule pas toutes ces vérités pour offenser la nation juive, mais pour la plaindre.

III.

Si les Juifs écrivirent d'abord sur des cailloux.

Le secrétaire des six Juifs prétend que leurs pères avaient dans un désert toutes les commodités pour écrire à peu près comme on les a de nos jours. Il reprend vivement mon ami d'avoir cru qu'on gravait alors sur la pierre1. Cependant le livre de Josué est le garant de ce que mon ami a avancé, car il est dit : « Josué brûla la ville de Haï, la réduisit en cendres, et en fit un monceau de ruines éternelles; fit pendre le roi, et éleva un autel de pierres au Seigneur le Dieu d'Israël sur le mont Hébal; il fit cet autel de pierres brutes, comme il était écrit dans la loi de Moïse, et il y offrit des holocaustes et des victimes pacifiques, et il écrivit sur les pierres le Deuteronome. » (Josué, chap. IV.)

IV.

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Des gens massacrés pour avoir grasseyė en parlant.

Je suis obligé de vous suivre, et de passer avec vous d'un article de maçonnerie à un objet de morale. Il s'agit de quarantedeux mille de vos frères, les Juifs de la tribu d'Éphraïm, qui furent tous égorgés par leurs frères des autres tribus à un des gués de la petite rivière du Jourdain. On leur criait : « Prononcez shibolet, épi de blé. » Ces malheureux, qui grasscyaient et qui ne pouvaient dire shibolet, disaient siboleth, et on les égorgea comme des moutons... Quelle horreur y a-t-il donc, monsieur? quelle mauvaise intention? quelle faute à dire qu'ils furent massacrés pour avoir grasseyé3? L'horreur, l'abomination n'est-elle pas que des frères aient massacré tant de frères pour quelque cause que ce puisse être ?

1. Voyez tome XI, page 115; XXIV, 524; XXV, 9, 67, 374.

2. Le secrétaire, qui paraît très-instruit des anciens usages et des arts de l'antiquité, aurait bien dù nous instruire comment on écrivait sur des cailloux non taillés, et comment cette écriture n'était pas effacée par le sang des victimes, qui coulait continuellement sur cet autel de pierres brutes. Cette recherche eût été plus nécessaire que l'affreuse malignité d'imputer à mon ami je ne sais quelles brochures où il est dit que Thaut a composé des livres en caractères alphabétiques, écrits sur autre chose que sur des tables de pierre et de bois, il y a environ cinq mille ans. (Note de Voltaire.) - Voyez tome XXVI, page 417.

3. Tome XI, page 116; XX, 158; XXIV, 442; et, XXX, les notes sur le livre de Josué, dans la Bible enfin expliquée.

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Voici une affaire à peu près aussi massacrante et plus scientifique. Mon ami, qui respecte les théologiens, et qui ne l'est point, a soutenu, d'après plusieurs Pères de l'Église, et d'après la simple raison, que tout fut miracle1 dans la manière dont Dieu conduisit son peuple dans le désert et l'en tira; que toutes les voies de Dieu furent autant de miracles; que la fonte et la fabrication du veau d'or en vingt-quatre heures; cet or jeté dans le feu, et réduit en poudre, et avalé par tout le peuple; les vingt-trois mille hommes qui se laissent choisir et égorger sans se défendre, etc., sont d'aussi grands prodiges que tous ceux dont le Pentateuque est rempli. Sur quoi mon ami a proféré cette exclamation, qui me semble si religieuse et si convenable: « L'histoire d'un peuple conduit par Dieu même ne peut être que l'histoire des prodiges2. »

Commençons par vous prouver, monsieur, qu'en suivant exactement l'énoncé de la sainte Écriture, le veau d'or fut jeté en fonte en vingt-quatre heures, quoique la horde juive n'eût point d'heures encore, et soit qu'on se serve du terme d'un jour ou d'une nuit pour exprimer le temps dans lequel ce veau fut fabriqué.

« Et Moïse, entrant au milieu de la nuée, monta sur la montagne, et y demeura quarante nuits (Exode, ch. xxiv); et le Seigneur, ayant achevé tous ces discours sur la montagne de Sinaï, donna à Moïse son témoignage et sa loi en deux tables de pierre, écrites du doigt de Dieu.» (Ch. xxxI.)

Il paraît, monsieur, que voilà les quarante jours accomplis; et il est clair aussi, permettez-moi de le dire, qu'on écrivait dans ce désert sur la pierre.

«Mais le peuple, voyant que Moïse différait à descendre de la montagne, s'assembla devers Aaron, et lui dit : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous, car nous ne savons ce qui est arrivé à cet homme (Moïse) qui nous a fait sortir de la terre d'Égypte; et Aaron leur répondit : Otez les parures oreillères de vos femmes, fils, et filles, et apportez-les-moi; et le peuple fit comme Aaron avait commandé, et apporta les parures oreillères ; et Aaron les ayant reçues leur fit un veau avec le burin, veau

1. Voyez tome XXVII, page 243; et XXX, plusieurs notes de la Bible enfin expliquée. 2. Voyez tome XI, page 112.

d'ouvrage de fonte; et ils dirent: Voilà tes dieux, ô Israël, qui t'ont tiré de la terre d'Égypte. Ce qu'Aaron ayant vu, il dressa un autel devant le veau, et il cria par la voix d'un crieur : C'est demain la fête du Seigneur veau. » (Exode, XXXII.)

Il me semble, monsieur, qu'il n'y a que vingt-quatre heures entre la demande du veau d'or et sa fête. Les quarante jours pendant lesquels Moïse et Josué restèrent avec Dieu sur la montagne sont passés; la loi est entre ses mains; et, pendant qu'il est prêt à descendre, le peuple demande à adorer des dieux qui marchent. Aaron imagine un veau d'or ; on le jette en fonte; on l'adore on n'a pas perdu de temps.

Il est très-vrai que M. Pigalle demande six mois pour fondre un veau d'or1, et même sans le réparer au ciseau et à la lime, encore moins au burin, car un tel ouvrage ne se fait pas avec le burin. Tout cela est très-long et prodigieusement difficile: pardonnez donc à mon ami d'avoir regardé cette aventure comme un prodige que Dieu permettait, car apparemment vous conviendrez que rien n'est ici dans le cours des choses naturelles.

VI.

De la manière de fondre une statue d'or.

Vous croyez, monsieur, que dans les déserts d'Oreb et de Sinaï il y avait des moyens plus expéditifs de fondre une statue de métal que ceux dont se servent nos sculpteurs? J'ose vous répondre qu'il n'y en a point: il faut absolument un moule tellement préparé, arrêté, affermi, entouré, qu'il ne se casse ni ne se démonte en aucun endroit pendant l'opération; il faut que l'or se répande autour de lui exactement, sans fêlure, sans inégalité : c'est ce qui est très-long et très-difficile.

Vous dites que vous avez trouvé à Paris, dans la rue GuérinBoisseau, un sculpteur qui vous a offert de vous faire le veau d'or en huit jours. Si vous avez fait marché dans la rue GuérinBoisseau, vous ne deviez donc pas dater vos lettres d'un village près d'Utrecht3, où l'on dit que les jansénistes se sont réfugiés.

1. Voyez l'article FONTE des Questions sur l'Encyclopédie, tome XIX, pages 161-169.

2. L'abbé Guenée, paragraphe vi du premier extrait du Petit Commentaire qui est à la suite des Lettres de quelques Juifs, parle des artistes de la rue GuérinBoisseau. (B.)

3. La ville d'Utrecht, en Hollande, est le siége d'un archevêché janséniste. On a vu plus haut (page 499), que les signataires de la dédicace des Lettres de quelques Juifs prennent le titre de Juifs des environs d'Utrecht.

Mais, dans quelque pays que vous fassiez vos miracles, je retiens place. Vous me direz avec La Fontaine1:

Voyez-vous point mon veau? dites-le-moi.

VII. Magnificence des Juifs, qui manquaient de tout
dans le désert.

Vous nous assurez que, dans le désert affreux d'Oreb, les garçons juifs et les filles juives, qui manquaient de vêtements et de pain, avaient assez d'or à leurs oreilles pour en composer un veau; vous faites le compte des richesses que ce peuple avait volées en Égypte ; vous aviez trouvé ci-devant environ neuf millions. Nous ne comptons pas après vous, monsieur, et nous vous en croyons sur votre parole, sans prétendre disputer sur cet article. Vous savez que quand les Arabes volent, ils disent : Dieu me l'a donné. La troupe de Cartouche disait : Dieu merci, je l'ai gagné.

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<< Et lorsque Moïse fut arrivé près du camp, il vit le veau et les danses; et, dans sa grande colère, il jeta les tables de la loi, qu'il portait dans sa main, et les brisa au pied de la montagne, et, saisissant ce veau qu'ils avaient fait, il le brûla et le réduisit en poussière, laquelle il répandit dans l'eau, et en donna à boire aux enfants d'Israël. »>

C'est ici, monsieur, que je suis plus que jamais de l'opinion religieuse de mon ami, qui dit que tout doit être miraculeux dans l'histoire du peuple de Dieu, ou plutôt de Dieu même, parce qu'un Dieu ne peut parler et agir que miraculeusement. C'est donc un très-grand prodige qu'un veau d'or jeté dans le feu s'y soit converti en poudre. On vous l'a déjà dit, et on vous le répète; il n'y a point de fourneau, quelque violent qu'il puisse être, fût-ce la fournaise de Sidrach, Misach, et Abdénago; fût-ce un des feux allumés autrefois par l'Inquisition; fût-ce le feu qui consuma le corps du respectable conseiller de grand'chambre Anne Dubourg, et la maréchale d'Ancre, et les cinquante chevaliers du Temple, et tant d'autres; il n'y a point de feu, vous dis-je, qui

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1. Conte du Villageois qui cherche son veau......pp, 601 (sr) * Fa 2. Voyez tome XIX, page 167.

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puisse réduire l'or en poudre : ce métal si prodigieusement ductile se fond, se liquéfie. Mais que dans le désert effroyable d'Oreb, où il n'y a jamais eu d'arbres, on ait trouvé une assez énorme quantité de bois pour fondre un gros veau, un bœuf d'or, et pour le pulvériser, cela est impossible à l'industrie humaine. Je dis gros veau, je dis gros bœuf, parce qu'il est écrit que Moïse l'aperçut en s'approchant du camp; parce que dans ce camp, composé de deux cent trente mille combattants, il y avait entre deux et trois millions de Juifs et de Juives; parce que si Moïse, n'étant pas dans le camp, put voir tout d'un coup cet animal, il fallait qu'il fût bien gros, et au moins de la taille du bœuf Apis, dont il était la brillante image.

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Pour accabler mon ami, vous changez le procès criminel que vous lui faites en un autre procès. Vous parlez d'or potable. On ne vous a jamais nié qu'on pût avaler de l'or, du plomb, de l'antimoine. Que ne peut-on pas avaler? Mon ami avale les injures cruelles que vous lui dites avec des compliments, les calomnies dont vous le chargez, les accusations odieuses que vous intentez, et qui, dans d'autres temps, pourraient avoir le cruel effet de faire excommunier un honnête homme. Tandis que vous faites avaler ces pilules si amères, préparées d'une main qui n'est ni tout à fait judaïque, ni tout à fait catholique, pourquoi nous invitez-vous à vous parler d'or potable?

Si c'est votre veau cuit sous la braise, et pulvérisé par cette braise, la chose est impossible, comme toute la terre en convient.

Si vous voulez parler de l'or potable des charlatans, c'est une question très-étrangère. L'or est indestructible. L'eau qu'on appelle régale, parce qu'on a donné à l'or le nom de roi des métaux, le dissout; mais cette dissolution est très-caustique : vous ne prétendez pas sans doute que Moïse ait fait boire cette eau aux Israélites pour empoisonner tout le peuple de Dieu. On peut précipiter l'or de sa dissolution par un alcali; il sera réduit en poudre; mais il n'aura pas été brûlé, comme le dit le texte : et puis cette poudre n'est pas miscible avec l'eau.

Vous dites que Stahl, chrétien et chimiste, a fait de l'or potable, et vous citez ses opuscules (sans dire quel opuscule) dans lesquels il dit que « le sel de tartre mêlé au soufre dissout l'or au point de le réduire en poudre, qu'on peut avaler ». Je sais bien que le foie de soufre dissout l'or; mais il ne le réduit point en

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