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avares, cruels, et fourbes, aux prêtres de l'antiquité, l'excès monstrueux où ces athées tombèrent. Les uns nièrent la Divinité, parce que les sacrificateurs la rendaient odieuse, et que les oracles la rendaient ridicule. Les autres, comme les épicuriens, indignés du rôle qu'on faisait jouer aux dieux dans le gouvernement du monde, prétendaient qu'ils ne daignaient pas se mêler des misérables occupations des hommes. Le char de la fortune allait si mal qu'il parut impossible que des êtres bienfaisants en tinssent les rênes. Épicure et ses disciples, d'ailleurs aimables et honnêtes gens, étaient si mauvais physiciens qu'ils avouaient sans difficulté qu'il y a un dieu dans le soleil et dans chaque planète; mais ils croyaient que ces dieux passaient tout leur temps à boire, à se réjouir, et à ne rien faire. Ils en faisaient des chanoines d'Allemagne.

Les véritables philosophes ne pensaient pas ainsi. Les Antonins, si grands sur le trône du monde alors connu, Épictète, dans les fers, reconnaissaient, adoraient un Dieu tout-puissant et juste: ils tâchaient d'être justes comme lui.

Ils n'auraient pas prétendu, comme l'auteur du Système de la Nature, que le jésuite Needham avait créé des anguilles, et que Dieu n'avait pas pu créer l'homme. Needham ne leur eût pas paru philosophe, et l'auteur du Système de la Nature n'eût été regardé que comme un discoureur par l'empereur Marc-Antonin.

L'astronome qui voit le cours des astres établi selon les lois de la plus profonde mathématique doit adorer l'éternel Géomètre. Le physicien qui observe un grain de blé ou le corps d'un animal doit reconnaître l'éternel Artisan. L'homme moral qui cherche un point d'appui à la vertu doit admettre un être aussi juste que suprême. Ainsi Dieu est nécessaire au monde en tout sens, et l'on peut dire, avec l'auteur de l'Épitre au griffonneur du plat livre des Trois Imposteurs':

Si Dieu n'existait pas il faudrait l'inventer.

Je conclus de là que ista quæ vocatur hodie philosophia, cette qu'on nomme aujourd'hui philosophie est le plus digne soutien de la Divinité, si quelque chose peut en être digne sur la terre. Le ciel me préserve de faire des phrases pour énerver une vérité si importante!

1. Voyez tome X.

DU GOUVERNEMENT.

Les philosophes qui ont reconnu un Dieu, et les sophistes qui l'ont nié, ont tous, sans aucune exception, avoué cette autre vérité, reconnue de tout le monde, qu'un citoyen doit être soumis aux lois de sa patrie; qu'il faut être bon républicain à Venise et en Hollande, bon sujet à Paris et à Madrid, sans quoi ce monde serait un coupe-gorge, comme il l'a été trop souvent, grâces à ceux qui n'étaient pas philosophes.

Lorsque l'ancien parlement de Paris et l'Université de Paris vinrent reconnaître à genoux l'Anglais Henri V pour roi de France, qui fut fidèle à son roi légitime?.... Gerson, le philosophe Gerson, l'honneur éternel de l'Université, cet homme qui osait s'opposer d'une main aux fureurs de quatre antipapes également coupables, et présenter l'autre pour relever, s'il le pouvait, le trône renversé de son maître. Il mourut à Lyon, dans un exil qui le rendait encore plus vénérable aux sages, tandis que ses confrères les théologiens, arrachés à leur saint ministère par la rage des guerres civiles, faisaient leur cour aux Anglais, et n'en recevaient que des mépris, des outrages et des chaînes.

Hélas! était-il bien occupé des propriétés de la matière, de l'antiquité du monde, et des lois de la gravitation, celui qui justifia, qui canonisa publiquement le meurtre abominable du duc d'Orléans, frère de Charles VI le bien-aimé? C'était un docteur en théologie; c'était Jean Petit1, très-dévot à la Vierge, pour laquelle il avait composé une prière dans le goût de l'oraison des trente jours. Étaient-ils platoniciens ou académiciens, ou stratoniciens, ceux qui, sous le même règne, firent rejaillir sur le dauphin le sang de deux maréchaux de France, et qui massacrèrent, dans les rues de Paris, trois mille cinq cents gentilshommes? On les nommait les Maillotins, les Cabochiens. Ce n'est pas là une secte de philosophie.

Si, lorsqu'on brûla vive dans Rouen l'héroïne champêtre 2 qui sauva la France, il s'était trouvé dans la faculté de théologie un philosophe, il n'eût pas souffert que cette fille, à qui l'antiquité eût dressé des autels, fût brûlée vive dans un bûcher élevé sur une plate-forme de dix pieds de haut, afin que son corps, jeté nu dans les flammes, pût être contemplé du bas en haut par les dévots spectateurs. Cette exécrable barbarie fut ordonnée sur

1. Voyez tome XII, page 38.

2. Jeanne d'Arc.

une requête de la sacrée faculté, par sentence de Cauchon, évêque de Beauvais, de frère Martin, vicaire général de l'Inquisition, de neuf docteurs de Sorbonne, de trente-cinq autres docteurs. en théologie. Ces barbares n'auraient pas abusé du sacrement de la confession pour condamner la guerrière vengeresse du trône au plus affreux des supplices; ils n'auraient pas caché deux prêtres derrière le confessionnal, pour entendre ses péchés et pour en former contre elle une accusation; ils n'auraient pas, comme on l'a déjà dit1, été sacriléges pour être assassins.

Ce crime, si horrible et si lâche, ne fut point commis par les Anglais; il le fut uniquement par des théologiens de France, payés par le duc de Bedford. Deux de ces docteurs, à la vérité, furent condamnés depuis à périr par le même supplice, quand Charles VII fut victorieux; mais la plus belle expiation de la Sorbonne fut son repentir et, sa fidélité pour nos rois, quand les conjonctures devinrent plus favorables.

Je passe à regret aux horreurs de la Ligue contre Henri III et le grand Henri IV. Ces temps, depuis François II, furent abominables; mais il est doux de pouvoir dire que le philosophe Montaigne, le philosophe Charron, le philosophe chancelier de L'Hospital, le philosophe de Thou, le philosophe Ramus, ne trempèrent jamais dans les factions. Leur vertu demande grâce pour leur siècle.

La journée de la Saint-Barthélemy, dont la mémoire durera autant que le monde, ne leur sera jamais imputée.

J'avouerai encore, si l'on veut, aux jésuites, éternels et déplorables ennemis du parlement et de l'Université, que l'ancien parlement de Paris, qui n'était pas philosophe, commença unprocès criminel contre Henri III son roi, et nomma, pour informer, les conseillers Courtin et Michon, qui n'étaient pas philosophes non plus.

Je ne dissimulerai point que le docteur Rose, le docteur Guincestre, le docteur Boucher, le docteur Aubry, le docteur Pelletier, condamnés depuis à la roue, furent les trompettes du meurtre et du carnage. On a souvent dit que le docteur Bourgoin fit descendre une statue de la sainte Vierge pour encourager frère Jacques Clément au parricide; je l'accorde en gémissant. On me répète que soixante et dix docteurs de Sorbonne déclarèrent, au nom du Saint-Esprit, tous les sujets déliés de leur serment de fidélité; j'en conviens avec horreur.

1. Voyez tome XXIV, page 502.

On me crie que, dans le temps où Henri IV préparait son abjuration, et lorsque les citoyens présentèrent requête pour faire quelque accommodement avec ce grand homme, ce bon roi, ce conquérant et ce père de la France, toute la faculté de théologie assemblée condamna la requête comme inepte, séditieuse, impie, absurde, inutile, attendu qu'on connaît l'obstination de Henri le relaps. La faculté déclare expressément tous ceux qui parlent d'engager le roi à professer la religion catholique parjures, séditieux, perturbateurs du royaume, hérétiques, fauteurs d'hérétiques, suspects d'hérésie, sentant l'hérésie; et qu'ils doivent être chassés de la ville, de peur que ces bêtes pestiferées n'infectent tout le troupeau.

Ce décret du premier novembre 1592 est tout au long dans le Journal de Henri IV, tome Ier, page 259. Le respectable de Thou rapporte des décrets encore plus horribles, et qui font dresser les cheveux.

Bénissons les philosophes qui ont appris aux hommes qu'il faut prodiguer ses biens et sa vie pour son roi, fût-il de la religion de Mahomet, de Confucius, de Brama, ou de Zoroastre.

Mais je répondrai toujours que la Sorbonne s'est repentie de ces écarts, et qu'on ne doit les imputer qu'au malheur des temps. Une compagnie peut s'égarer: elle est composée d'hommes; mais aussi ces hommes réparent leurs fautes. La raison, la saine doctrine, la modestie, la défiance de soi-même, reviennent se mettre à la place de l'ignorance, de l'orgueil, de la démence et de la fureur. On n'ose plus condamner personne après avoir été si condamnable. On devient meilleur pour avoir été méchant. On est l'édification d'une patrie dont on fut l'horreur et le scandale.

Les jésuites ont fatigué la France du récit de tant de crimes; mais l'Université, de son côté, a reproché aux frères jésuites d'avoir mis le couteau à la main de Jean Châtel, d'avoir forcé le grand Henri IV à dire au duc de Sully qu'il aimait mieux les rappeler et s'en faire des amis que de craindre continuellement. le poignard et le poison. Elle les a peints, dans tous ses procès contre eux, comme des soldats en robe, d'une puissance dangereuse, comme des espions de toutes les cours, des ennemis de tous les rois, des traîtres à toutes les patries.

Combien de fois le docteur Arnauld, le docteur Boileau, le docteur Petit-Pied, et tant d'autres docteurs, n'ont-ils pas reproché à ces ci-devant jésuites la banqueroutte de Séville, qui précéda d'un siècle la banqueroute de frère La Valette; leurs calomnies contre le bienheureux don Juan de Palafox; et, après huit volumes entiers de pareils reproches, ne leur ont-ils pas remis

sous les yeux la conspiration des poudres, et trois jésuites1 écartelés pour ce crime inconcevable? Les jésuites en ont-ils été moins fiers? Non; tout écrasés qu'ils sont, il leur reste trois doigts dont ils se servent pour imprimer dans Avignon que les docteurs de Sorbonne sont des ignorants insolents, et pour répéter en plagiaires ce que M. Deslandes, de l'Académie des sciences, a mis en note dans son troisième tome, page 2992, que la Sorbonne est aujourd'hui le corps le plus méprisable du royaume.

Ces outrages, ces injures réciproques, n'ont rien de philosophique; je dirai plus, elles n'ont rien de chrétien.

J'observerai, avec la satisfaction d'un bon sujet, que dans les troubles de la Fronde, non moins affreux peut-être que la conspiration des poudres, mais infiniment plus ridicules, ce ne fut ni Descartes, ni Gassendi, ni Pascal, ni Fermat, ni Roberval, ni Méziriac, ni Rohault, ni Chapelle, ni Bernier, ni Saint-Évremond, ni aucun autre philosophe, qui mit à prix la tête du cardinal premier ministre. Nul d'eux ne vola l'argent du roi pour payer cette tête; nul ne força Louis XIV et sa mère de s'enfuir du Louvre, et d'aller coucher sur la paille à Saint-Germain; nul ne fit la guerre à son roi, et ne leva contre lui le régiment des Portes-cochères, et le régiment de Corinthe3, etc., etc.

Je conviendrai avec le jésuite auteur du petit livre Tout se dira que « ces petites fautes commises à bonne intention l'étaient. par maître Quatre hommes, maitre Quatre sous, maître Bitaud, maître Pitaut, maitres Boisseau, Gratau, Martinau, Boux, Crépin, Cullet, etc.., etc... » tous tuteurs des rois, et qui avaient acheté la tutelle ils n'étaient pas philosophes. Ce n'est pas moi qui parle, c'est le jésuite auteur de Tout se dira, et de l'Appel à la raison1. Je ne sais s'il est plus philosophe que MM. Cullet et Crépin. Ce que je sais certainement avec l'Europe, c'est que tant que Gondi-Retz fut archevêque de Paris, il fut vain, insolent, débauché, factieux, criminel de lèse-majesté. Quand il devint philosophe, il fut bon sujet, bon citoyen; il fut juste.

Je répondrai surtout aux détracteurs de l'ancien parlement

1. Voltaire n'en nomme que deux, les Pères Garnet et Oldcorn, tome XIII, page 53; il nomme le troisième Creton, dans la XXIIe des Honnêtetés littéraires : voyez tome XXVI, page 143.

2. Histoire critique de la philosophie, édition de 1737.

3. Voyez tome XVI, page 46.

4. Jean Novi de Caveyrac, né à Nîmes en 1713, mort en 1782, apologiste de la révocation de l'édit de Nantes. Son Appel à la raison, des écrits publiés contre les jésuites de France, parut en 1762. Voyez la note, tome XXVI, page 126.

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