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L'animal suit le corps: au milieu de ce corps qui l'enveloppe partout de matière, l'esprit humain est libre, et si libre qu'il peut, quand il le veut, immoler le corps même.

Le cri de l'animal peut bien réveiller une idée, mais il n'est pas le produit d'une idée. Et toute la différence est là. Les animaux ne se font pas un langage; leurs cris ne sont pas des signes convenus, des mots créés: ils ont des coiz naturelles; ils n'ont pas de langue.

La première édition de l'ouvrage de M. Flourens avait paru en 1811. Celle que nous annonçons ici contient beaucoup d'additions. Le savant auteur a su rendre son ouvrage plus complet et par là plus digne de l'attention des lecteurs.

Annuaire de l'Économie politique pour 1846. — Paris, chez Guillaumin. Nous recommandons ce petit recueil, qui contient la solution (provisoire au moins) d'un grand nombre de questions sociales du plus haut intérêt. L'étude de l'économie politique est malheureusement encore trop négligée. La plupart des jeunes gens qui finissent leurs études n'ont jamais entendu une leçon touchant cette science; ils croient qu'acheter bon marché, vendre cher, est l'alpha et l'oméga de l'économie politique. Et cependant quelques leçons suffiraient. Les éléments de cette science si utile sont heureusement peu nombreux, et les explications faciles. On pourrait les appeler les aphorismes de l'économie sociale. Il n'est pas d'humaniste qui ne puisse les comprendre sans peine.

Nous allons plus loin et nous prétendons, avec M. Dussard, que ces éléments doivent devenir un jour tellement vulgaires, que l'instruction primaire les enseignera.

Il y a cinquante ans on eut bien ri de celui qui aurait eu la prétention d'introduire dans l'enseignement primaire la connaissance des principaux phénomènes des sciences physiques. Le fait est accompli cependant, et il n'est pas d'enfant auquel on ne puisse enseigner que l'air est pesant, que le gaz acide carbonique asphyxic, que l'eau remonte à son niveau, qu'un corps qui se meut ne peut s'arrêter subitement sans choc, que les corps deviennent plus grands quand ils sont chauffés, que l'eau réduite en vapeur remplit un plus grand espace, que le son parcourt 400 mètres par seconde, que tous les corps tendent à tomber vers le centre de la terre, etc., etc.

Aujourd'hui encore, il est une génération toute entière qui ne se doute d'aucune de ces vérités. Chaque jour nous apprend que des femmes et des enfants, enfermés dans une chambre à fruits, ont été trouvés morts sans qu'on sût la cause de cette mort! Chaque jour des ouvriers se précipitent à l'envi les uns des autres au fond d'un puits rempli de gaz irrespirable; les journaux eux-mêmes parlent chaque jour de mouvement perpétuel, ou bien vantent la découverte d'un homme qui fait monter l'eau, par son seul poids, bien audessus de son niveau. Mais ces misères de la vie sociale s'effacent. Les petites filles se moquent déjà de cette honteuse ignorance, la génération qui vient sera riche de toutes les richesses modernes, et si nos vœux sont accomplis, l'instituteur primaire sera partout un homme instruit et honoré, un homme capable de donner une impulsion nouvelle à l'homme social.

BULLETIN POLITIQUE

DU MOIS DE JANVIER 1846.

BELGIQUE. Le mois de janvier a été signalé par le commencement d'une guerre de tarifs entre la Belgique et la Hollande. C'est cette dernière qui, par arrêté royal du 5 janvier, a pris l'initiative, en alléguant divers griefs dont le mal fondé s'est manifesté au premier examen. Des faits accomplis depuis dix ans, ont été invoqués pour justifier l'élévation exorbitante des droits imposés à l'entrée des produits belges. La Belgique devait à ellemême, à sa longanimité, ouvertement méconnue, de répondre dignement à la provocation de la Hollande, et par arrêtés royaux des 8 et 12 janvier, elle a révoqué l'exception accordée aux cafés originaires des colonies hollandaises, et a frappé d'une taxe plus élevée les marchandises importées des Pays-Bas et des possessions néerlandaises dans les Indes orientales. Ces mesures ont été plus que justifiées dans le rapport que M. Dechamps, ministre des affaires étrangères, a adressé le 15 janvier à la Chambre des Représentants. Ce rapport, dont nous nous occupons dans un article spécial placé en tête de la Revue, donne une faible idée de l'attitude que le gouvernement belge prend dans les négociations commerciales.

L'état d'hostilité douanière ne peut, toutefois, se prolonger sans causer le plus grand préjudice aux deux pays; c'est ce que leurs gouvernements ont bientôt senti; et depuis quelques jours, les négociations sont reprises à La Haye. M. Mercier, ministre d'État et gouverneur du Hainaut, a été adjoint à l'ambassadeur belge, pour conférer avec les ministres hollandais.

ANGLETERRE. Sir Robert Peel vient de présenter à la Chambre des Communes l'exposé du plan financier qu'il compte suivre; on ne peut s'empêcher d'en admirer les grandes proportions; mais il importe de remarquer que d'autres pays ne feraient pas impunément l'expérience qu'il propose à l'Angleterre de tenter en ce moment. Sir Robert Peel a le goût des questions économiques, et il en a au plus haut degré l'intelligence; il aime à les manier, il aime à attacher son nom à de grandes mesures; et un de ses adversaires l'appela un jour avec raison, dans la Chambre des Communes, le plus grand faiscur de son siècle.

Encouragé par les résultats qu'il a obtenus en diminuant les taxes depuis trois ans, sir Robert Peel entreprend aujourd'hui de généraliser l'application de ce principe et de réduire les droits protecteurs.

Il commence l'exposé de son plan par les matières premières. Il rappelle qu'il a procédé à la réduction des droits sur ces matières dès 1842, qu'il a réduit les droits sur la laine en 1844, sur le coton en 1845. Il déclare persister dans la même voie. Le suif n'avait pas subi de réduction; le droit est actuellement de 3 sh. 2 deniers pour 100; l'Angleterre donnera l'exemple de la modération des tarifs à la Russie, et, sans condition de réciprocité, réduira le droit à 1 sh. 6 deniers. Le bois de construction subira aussi une réduction.

Les trois branches de l'industrie que sir Robert Peel interpelle surtout, sont

celles qui habillent la grande masse du peuple, l'industrie linière, celle de la laine et du coton. En ce qui concerne les articles manufacturés de coton, la généralité des tissus, tels que calicots blancs ou imprimés, qui sont soumis actuellement à un droit de 10 pour 100, serait affranchie; les articles confectionnés, tels que bas et chemises, qui paient aujourd'hui 20 pour 100, ne paieraient plus que 10 pour 100. Pour les tissus de laine, comme pour ceux du coton, tous articles manufacturés grossiers, par conséquent pouvant servir à la grande masse du peuple, ne paieraient aucun droit, et les articles confectionnés seraient réduits de 20 à 10 pour 100. Même marche pour les tissus de lin; les tissus courants seraient affranchis; ceux de fabrication très-fine seraient réduits, et les articles confectionnés ne paieraient plus que la moitié des droits actuels. Il propose d'appliquer un nouveau principe relativement aux soieries; il laissera à la douane la faculté de percevoir le droit, pourvu qu'il ne dépasse pas 15 pour 100. Le principe général est donc un droit fixe de 15 pour 100, au Jieu du droit actuel de 30 pour 100, mais qui en réalité variait au-delà et en deça de ce chiffre.

Il y a un autre article sur lequel sir Robert Peel pense que les droits sont excessivement élevés: c'est le papier de tenture étranger. A présent ce droit est de 1 sh. par yard carré; il propose de le réduire à 2 pences.

Passant aux articles de métal, sir Robert Peel dit qu'on a déjà réduit les droits sur les produits bruts des mines de l'étranger. Les articles manufacturés de métal sont frappés d'un droit d'importation en général de 15 pour cent ad valorem. Pour ces articles, dit-il, comme pour tous les articles de manufacture étrangère que je n'énumère pas spécialement, je propose un maximum de droit de 10 p. c. Il excepte de cette règle générale les papiers de tenture, mais la grande masse des articles manufacturés, qui, dans le tarif de 1842 payaient 20 pour cent, ne paieront plus qu'un maximum de 10 pour cent. Le droit de 10 pour cent s'appliquerait aussi à la poterie et aux articles de même nature.

La carrosserie étrangère est frappée d'un droit de 20 pour cent; il serait abaissé à 10 pour cent.

Il propose de diminuer les droits sur les articles d'éclairage. On les a dejà réduits sur la bougie et le colza. Il propose de les abaisser également sur la chandelle. Le droit serait réduit de moitié. Le droit sur le savon étranger serait aussi réduit; le savon dur, au lieu de 30 sh., en paierait 20; le savon doux au lieu de 20, 14; le savon de Naples, au lieu de 56 sh., 25.

Il propose d'abaisser le droit actuel sur l'eau-de-vie, le genièvre, et en général les spiritueux étrangers, de 22 sh. 10 d. à 15 sh.

Passant à l'article des sucres, sir Robert Peel dit qu'il n'entrera que plus tard dans les détails de son plan. Il craint de ne pas être d'accord sur ce point avec l'opposition. Il déclare qu'il ne veut rien changer quant au sucre produit par le travail des esclaves. Mais je ferai, dit-il, un changement sur le sucre produit du travail libre; je diminuerai de 3 sh. 6 d. le droit différentiel actuel. Le droit actuel sur le sucre muscovado (cassonade) est de 9 sh. 4 d., et sur le sucre raffiné de 11 sh. 8d. Ici sir Robert Peel fait valoir des considérations tirées du revenu public pour ne pas aller plus loin dans la voie des réductions. Sir Robert Peel est enfin amené à s'occuper des articles d'agriculture. Il

commence par ceux qui ne concernent pas directement l'alimentation. Il est convaincu qu'une réduction sur les semences ne sera que profitable à l'agriculture, il est d'avis de les réduire à un taux modéré; pour procéder d'une manière uniforme, comme dans les articles manufacturés, il propose qu'en général le droit ne dépasse pas 5 sh. par quintal. Il propose la franchise de tout droit sur un article qu'il appelle d'une immense importance pour l'engrais des bestiaux, le blé de Turquie ou maïs, ou du moins, le droit serait purement nominal. De même pour le sarrasin.

Il passe ensuite aux articles qui concernent plus directement l'alimentation humaine. Les droits seraient réduits de moitié sur le beurre (de 1 liv. sterl. à 10 sh. par quintal); sur le fromage de 10 sh. à 5; sur le houblon, de 4 liv. 10 sh. à 2 liv. 5 sh. par quintal. Viennent ensuite les articles qu'il propose d'affranchir totalement. Le droit sur le lard serait immédiatement et absolument supprimé, ainsi que le droit sur le bœuf frais et salé et les viandes non classées; sur le porc salé et le porc frais; sur les pommes de terre et les légumes de toute espèce. Il est d'avis que tout ce qui est dans la catégorie de l'alimentation végétale et animale soit admis sans droits. Il croit qu'à cause de la supériorité de la qualité de la viande dans ce pays, les agriculteurs ne doivent pas craindre la concurrence, et il propose l'importation libre des bestiaux étrangers.

Quant à la réforme de la législation sur les céréales, il ne s'agit pas d'une abolition complète et immédiate, telle que la demandait la Ligue. On n'arrivera à cette abolition, ou ce qui est à peu près la même chose, au droit nominal d'un shilling par quarter (50 cent. environ par hectolitre) qu'en trois années. C'est le 1er février 1849 que ce droit de 1 shilling deviendra permanent. En attendant, le système de l'échelle mobile est conservé, mais le chiffre des droits est réduit. Pour se faire une idée de la réduction que subit le tarif, il suffira de se rappeler que, dans le cas où la nouvelle législation impose un droit sur le blé de 4 shillings, l'ancienne imposait un droit de 16 shillings, c'est à dire, quadruple. L'ancienne législation avait été calculée pour assurer au producteur de blé un prix moyen de 56 shillings par quarter. La nouvelle imprime à l'échelle des droits une progression descendante, aussitôt que les prix du blé indigène dépassent le niveau de 48 shillings.

Quoi qu'il en soit, les plus exaltés dans le parti agricole se sont prononcés contre le plan de sir Robert Peel, et la Ligue n'est pas satisfaite non plus. L'homme pour lequel la crise actuelle est un immense triomphe, c'est M. Cobden, celui qui a organisé et si puissamment conduit l'anti-corn-law-league. M. Cobden, né dans une condition très-obscure, est tout à fait le fils de ses œuvres. Il a eu à conquérir tous ses grades pour arriver à la position considérable qu'il occupe parmi les manufacturiers du Lancashire, et pour amasser une fortune que l'on évalue à plus de douze millions de francs. M. Cobden possède à un très-haut degré les qualités de bon sens, d'activité, de décision énergique, de persévérance indomptable, dans lesquelles s'est trempée cette forte race Saxonne qui a donné à l'Angleterre ses classes moyennes et qui a produit les Américains des États-Unis. Le chef de la Ligue a commencé sa carrière politique et parlementaire avec une véhémence démagogique mais il

faut dire à son éloge, qu'à mesure que son influence grandissait et que sa position de général d'un grand parti se dessinait davantage, son langage est devenu plus modéré, sa conduite plus prudente.

Depuis deux mois M. Cobden a déployé une activité inouïe. Il court de ville en ville, prêchant la croisade et haranguant chaque jour avec une verve inépuisable quelque meeting nouveau. Dernièrement, à Nottingham, s'adressant à une assemblée populaire où abondaient des ouvriers employés à la manufacture de bas, il faisait allusion aux fatigues qu'il s'impose et disait, comme une flatterie à son auditoire, qu'elles l'avaient rendu aussi maigre qu'un tisseur de bas. Une caricature le représentait, l'autre jour, à cheval et poursuivi par un petit garçon qui lui criait: Monsieur! Monsieur! voulez-vous que je tienne votre cheval? Ce petit garçon était lord John Russell, travestissement populaire, mais juste, dans sa grossièreté, du rôle que les chefs du parti whig ont pris à la suite de la Ligue et de M. Cobden.

M. Cobden ne cesse de prouver aux fermiers que l'abolition immédiate du droit sur les céréales est dans leur intérêt, mais nous ne croyons pas qu'il songe à susciter de sérieux embarras à sir Robert Peel; que le délai accordé par celui-ci à l'agriculture lui soit ou non avantageux en réalité, c'est un moyen conciliateur qui est de nature à plaire à ses représentants, et à aider au succès du plan tout entier.

M. Cobden s'est appliqué jusqu'ici à séparer la cause qu'il représente des combinaisons de parti et des passions purement politiques. L'année dernière encore, il fit preuve à cet égard d'une indépendance et d'une habileté assurément dignes d'éloges. Lorsque sir Robert Peel eût posé la question du cabinet sur l'amendement de M. Miles à la loi des sucres, en faveur duquel les whigs s'étaient joints aux tories mécontents, M. Cobden, avec une entente très-juste des intérêts de la liberté commerciale dans cette question, vota pour sir Robert Peel. Le ministère fut sauvé par dix voix de majorité : les Ligueurs lui en avaient donné onze.

FRANCE.-En France une majorité certaine soutient la politique ministérielle, et cette majorité peut être évaluée à 60 voix. Ce résultat doit être principalement attribué à l'unité qui règne au sein du parti conservateur. Ce parti sait décidément ce qu'il veut et veut ce qu'il sait. Bon ou mauvais, c'est un véritable parti de gouvernement, un parti qui peut présenter des idées systématiques et arrêtées sur la direction générale à imprimer au gouvernement, qui appuie ces idées sur un faisceau d'intérêts tranchés et compacts, représentés dans les Chambres par une réunion homogène, disciplinée, persistante, et au pouvoir par des hommes dont l'esprit est assez élevé pour concilier ces idées avec les nécessités du gouvernement. Fixité des idées, cohésion des intérêts et des hommes; et au pouvoir ou à la tête du parti, conformité du caractère avec l'esprit, de la conduite avec le système, voilà des qualités qu'il faut reconnaître au parti conservateur. L'opposition, au contraire, nous le disons à regret, l'opposition, à force d'avoir beaucoup de systèmes différents, a fini par n'en plus avoir du tout. L'opposition n'est plus un parti, ayant une règle commune, un but précis, un plan de conduite arrêté, convenu d'avance. Chacun fait comme il l'entend, n'obéit qu'à lui-même, et ne reconnait d'autre autorité que ses volontés individuelles.

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