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DES PARTIS EN BELGIQUE.

Il est des hommes pour qui l'existence de deux partis hostiles, exerçant alternativement le pouvoir, suivant les vicissitudes de la lutte, est l'état normal de la société. Cependant, les annales de l'histoire, cette institutrice des peuples et des Rois, nous montrent, dans tous les temps, la concorde des citoyens comme un gage de bonheur, de liberté et de force, et les dissensions civiles comme une cause infaillible de malaise, d'asservissement et quelquefois de ruine pour les États. Les nations modernes subissent à cet égard les mêmes influences qui jadis exercèrent leur empire sur ces anciennes républiques, dont les fastes ont tant occupé nos premières années. Une fois en présence d'un danger sérieux, le peuple-roi sentait si bien le besoin d'étouffer la voix de la discorde, qu'il sacrifiait jusqu'à sa liberté et se plaçait, sans hésiter, sous la sauve-garde du despotisme. Presque de nos jours, le Danemarck, fatigué des partis et guidé par le désir du repos, s'est réfugié à l'ombre d'une autorité royale tutélaire, mais absolue. Combien de peuples ont perdu plus encore et se sont trouvés presque sans défense à la merci de leurs ennemis, affaiblis qu'ils étaient par leurs divisions intestines? Des conséquences aussi graves ne sont, il est vrai, pas les plus communes; mais partout où il existe des dissensions de l'espèce, l'observateur attentif verra l'esprit de parti prévaloir sur l'intérêt public, les questions les plus graves compromises et résolues pour les contendants plus que pour le peuple.

Ceux qui considèrent ces luttes comme un excitant nécessaire pour stimuler les fonctions du corps social, ne manqueront pas de faire une vaine distinction entre l'usage et l'abus, comme si l'un ne conduisait pas invinciblement à l'autre, comme s'il était possible d'indiquer, même à peu près, où finit ce que l'on veut bien appeler usage et où commence l'abus. Il nous semble que, si la médecine utilise jusqu'aux poisons, elle ne les prescrit qu'homéopathiquement et se garde d'en recommander l'emploi fréquent, surtout à ceux qui se portent bien.

Lorsque des partis se forment dans un Etat, ceux qui les fomentent et qui font ce funeste présent à leur patrie, n'en calculent pas toujours également les conséquences. Quelquefois des hommes sincères, mais trop ardents, viennent en aide aux intrigants. Ils adoptent avec ferveur un système politique; ils en

font leur évangile; ils s'en constituent les apôtres. Rien d'abord de plus inoffensif. Malheureusement, ce prosélytisme n'écoute pas longtemps les conseils de la prudence, et bientôt il mérite un autre nom. On commence par faire un simple appel aux libres convictions, mais la contradiction aigrit, les résistances irritent, les mécomptes exaspèrent, et, surtout, si les premiers chefs sont poussés par la cohue passionnée qui les suit, débordés ou remplacés par des hommes plus avancés, on ne tarde pas à mettre en oubli toutes les promesses de modération, et l'on finit par faire de la propagande à peu près à la façon de Mahomet. Disons-le sans détour l'existence seule des partis est un malheur. Cette fièvre morale peut, dans certains cas, donner au corps social une énergie factice et de courte durée, mais elle le mine et l'affaiblit.

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Il est des peuples chez qui cette maladie est passée à l'état chronique, soit par suite d'anciennes dissensions, soit à cause de l'opposition de deux grands intérêts. Les hommes sages peuvent bien gémir de cet état de choses, mais ils ne sauraient rien changer à la loi d'une triste nécessité, et ils se voient eux-mêmes forcés de prendre part à des luttes qu'ils déplorent. Mais, pour expliquer, pour excuser, autant qu'il est possible, aux yeux de la raison, ce partage des citoyens en deux camps, il faut une cause réelle et majeure. Ainsi, nous concevons, en Angleterre, la rivalité des whigs et des torys. Sans doute, ces deux bannières servent beaucoup d'ambitions privées, mais elles distinguent des hommes qui soutiennent des principes politiques très-différents. Les torys, défenscurs de la vieille Constitution anglaise, résistent de tout leur pouvoir à l'esprit novateur qui se fait jour dans leur pays. Les whigs, moins différents peut-être de leurs adversaires qu'on ne le pense communément et qu'ils ne l'avouent eux-mêmes, veulent sauver l'essentiel par des concessions. Les uns et les autres s'accorderaient peut-être sur le but, mais ils ne sauraient s'entendre sur des moyens diamétralement opposés. De même, en France, sous la Restauration, on comprenait très-bien l'opposition des royalistes et des libéraux, qui mettaient aux prises, sous des noms empruntés, le principe de la souveraineté royale et celui de la souveraineté populaire. Aujourd'hui, nous y voyons lutter encore, sous les noms de conservateurs et de radicaux, ceux qui défendent, d'une part, le principe monarchique, et de l'autre, le principe républicain.

Si ces divisions s'expliquent, chez nos voisins, comme formant l'héritage délaissé par ceux qui ont quitté la vie politique, ou comme le résultat de cette transformation qui met peu à peu de vieilles institutions nationales en désaccord avec des idées nouvelles, avec des intérêts nouveaux, elles se motiveraient difficilement chez nous, où tout est neuf depuis hier, où tout a été combiné pour répondre à l'esprit d'aujourd'hui, où rien n'est contesté.

Le cataclysme, qui a marqué la fin du 18° siècle, a mis au néant tout notre ancien état politique; mais cette destruction, œuvre de la conquête et non d'un déchirement intérieur, n'a pas laissé dans les cœurs ces sentiments de haine et de défiance qui ne sont pas encore éteints au-delà de notre frontière, après un laps de plus de soixante années. Chez nous, ce qui n'est plus, est devenu du domaine exclusif de l'histoire, et, quand la Belgique s'est replacée au rang des nations, son pouvoir constituant a trouvé table rase, et a pu mettre

nos nouvelles institutions en parfaite harmonie avec l'esprit du jour, sans aucune difficulté et même avec un accord général dont peu de peuples offriraient un autre exemple.

Nous n'avons pas non plus, comme la France, sous les Bourbons, une dynastie nationale, exerçant un immense prestige par son ancienneté et par de glorieux souvenirs, mais nourrissant et inspirant une fatale et inévitable défiance, à cause d'une révolution dirigée contre elle et contre son autorité. Notre maison royale ne doit demander ni rendre compte de ce qui a précédé son avènement. Elle ne doit redouter aucun ennemi, elle ne doit inspirer aucune crainte pour le maintien d'une Constitution qu'elle a librement acceptée.

Pendant les premières années qui suivirent les événements de 1830, il y eut, il dut y avoir deux partis opposés. La réunion des Pays-Bas avait marié deux conjoints qui se convenaient peu et qui s'aimaient encore moins; mais elle n'était pas cependant le fruit d'une pensée politique vulgaire, et elle aurait produit d'heureux résultats sous un gouvernement plus habile. Elle offrait, à côté d'inconvénients que la prudence pouvait enlever ou pallier, des avantages qui n'étaient pas à dédaigner, et d'ailleurs, aucun gouvernement ne subsiste pendant quinze ans sans se créer des sympathies, sans faire naître des intérêts attachés à sa conservation. Le parti orangiste existait donc, quoique numériquement trop faible pour résister à l'opinion générale, et son action, peu redoutable il est vrai, était néanmoins sensible. Il n'en est plus de même, depuis le traité de 1859. Pour nous, pour l'Europe, pour les orangistes eux-mêmes, il n'y a plus ni royaume des Pays-Bas, ni loi fondamentale, ni prétendant : il ne reste qu'une Belgique, une Constitution nationale, un Souverain régnant en droit comme en fait aux yeux des légitimistes les plus scrupuleux. Il peut exister encore des regrets, mais il n'y a plus de cause. Aussi les orangistes de bonne foi, qui entendaient soutenir un principe, se sont ralliés sans arrièrepensée à notre nouvel état social, et, parmi les autres, ceux qui tiennent au moins à la réputation d'hommes de sens, cherchent à satisfaire leurs rancunes sous d'autres prétextes. Aujourd'hui l'orangisme n'est plus un parti: il est réduit à l'état d'intrigue.

On concevrait une division qui se rapporterait à l'application des principes constitutionnels, qui éclaterait, par exemple, entre ceux qui voudraient, d'une part, exagérer, de l'autre, restreindre le pouvoir sans égard à la juste limite; et il n'a pas manqué d'hommes auxquels nulles grâces ne sont à rendre si cette hypothèse n'est pas devenue une réalité. On concevrait encore une division qui naîtrait au sujet d'un grave intérêt matériel; mais ce qui est difficile, disons impossible, à comprendre et à expliquer logiquement, c'est une lutte ouverte à propos d'opinions qui sont également libres, qui ne sont pas même du domaine de la société civile, et qui ne doivent pas empêcher les citoyens de vivre en bonne intelligence et de s'entendre parfaitement sur tous les intérêts qu'ils peuvent avoir à débattre.

On travaille cependant avec ardeur à séparer les libéraux et les catholiques, non pour les contraindre à respecter le repos public, mais, au contraire, pour les mettre aux prises. Noble dessein! Touchant amour du bien de l'Etat ! La chose est poussée à tel point que les fauteurs de la discorde (au moins d'un

côté,) vont jusqu'à renier leurs amis les plus chers, les plus illustres vétérans de leur parti s'ils préfèrent la paix à la guerre.

A la retraite du ministère Lebeau, le cabinet ne comprend qu'un seul catholique, homme nouveau et exerçant, par conséquent, peu d'influence dans le monde politique. Il compte cinq autres membres, dont trois n'ont point de couleur, et sont connus seulement sous le rapport des affaires, et les deux derniers sont d'un libéralisme qui n'est pas douteux, M. Nothomb, que tant de services recommandaient à la nouvelle opposition, et M. Van Volxem, porté à la Chambre par le même flot qui y jeta M. Verhaegen. Ce ministère où l'élément libéral prédominait, est accueilli par une clameur de haro; il se modifie par l'adjonction d'un membre de l'ancien cabinet pris dans l'opposition; il est combattu avec un acharnement toujours nouveau, malgré des services publics nombreux et incontestés, uniquement parce qu'il veut se tenir en dehors des partis. Fatigué, M. Nothomb se retire enfin, et voici venir M. Van de Weyer.

M. Van de Weyer est-il libéral?

Il y a six mois à peine, on aurait bien ri si quelqu'un s'était avisé de faire cette question passablement niaise. Il y a six semaines, M. Devaux demandait à cet homme d'État : Qui êtes-vous? d'où venez-vous? et il n'a pas ri. Il semble douter du libéralisme de M. Van de Weyer, auquel, d'un autre côté, M. De Decker ne délivre pas un certificat bien explicite d'orthodoxie catholique.

Encore une fois, M. Van de Weyer est-il libéral ?

Si nous nous rappelons 1828, M. Van de Weyer défendait à cette époque les doctrines libérales dans le Courrier belge, qui n'avait pas fait bénir ses presses par le prince-archevêque de Malines. En 1830, sans fortune alors, sans autre patrimoine que son beau talent, il sacrifiait la place qu'il occupait pour défendre M. De Potter, dont nous n'aurions pas imploré la protection auprès de la cour de Rome. Ce beau dévouement n'empêche pas M. Van de Weyer d'être renvoyé, après quinze ans, parmi les conscrits de l'armée libérale. Heureux le général, s'il pouvait, après une longue carrière, se glorifier d'un exploit comparable, même de loin, au premier fait d'armes du vieux conscrit !

Au Congrès, M. Van de Weyer défend les principes libéraux dans la plus entière conformité d'opinions avec M. Devaux lui-même.

A Londres, M. Van de Weyer conserve toutes ses relations avec les sommités du libéralisme, et il s'associe, comme professeur honoraire, à l'Université de Bruxelles, qui n'a jamais, croyons-nous, compté plus d'un catholique parmi ses souscripteurs.

A son arrivée au pouvoir, il proteste qu'il est toujours libéral; nombre de ses amis répondent au moins de son passé, et cinq cents électeurs libéraux, cautionnant sa conduite future, lui donnent spontanément leurs voix.

D'un autre côté, les catholiques ne réclament pas M. Van de Weyer comme un des leurs. Nous croyons savoir qu'ils n'avaient pas entendu proférer son nom avec l'expansion de cette allégresse qui ne peut se contenir au fond du cœur. Il nous est même revenu, de droite et de gauche, que quelques-uns parmi eux ne voyaient pas de très-bon œil les accointances peu diplomatiques

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