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ÉTUDE AGRONOMIQUE.

DES PLANTATIONS DANS LES FLANDRES.

Parmi les nombreuses et savantes pratiques qui distinguent l'agriculture flamande de celle des autres contrées de l'Europe, il n'en est pas qui offrent un cachet plus saillant, qui soient mieux combinées sous le rapport de la production, ou mieux assorties à la nature du sol, que le système d'après lequel les Flandres sont boisées. Aussi nos plantations ont fixé l'attention de tous les agronomes étrangers, qui en ont longuement discuté les inconvénients et les avantages, sans toutefois pouvoir se prémunir contre certaines erreurs ou contre certaines appréciations inexactes qui accompagnent toujours des explorations passagères.

Comme notre système de plantations constitue un fait agricole de la plus haute importance, nous allons en faire une étude spéciale, avec tous les développements qu'il comporte et qui peuvent le caractériser.

Il n'y a pas en Europe de pays cultivé qui produise autant de bois que les Flandres. Aussi cette contrée, vuc à vol d'oiseau, ressemble à une immense forêt. Des vergers étendus entourent les bâtiments d'exploitation; des plantations d'arbres bordent les chemins vicinaux et paient par leur produit l'entretien et les réparations de ces chemins, lesquels sont à la charge des riverains. La propriété étant très-divisée, chacun utilise son lot autant que possible: nul coin de terre, nul angle de la voierie vicinale ne reste dans l'oubli; le désir d'accroître son revenu au moyen des plantations est même poussé si loin par le propriétaire, que le fermier est quelquefois en lutte avec lui à cause des arbres que le premier fait planter sur les terres cultivées.

La troisième espèce de plantations et sans contredit la plus remarquable, consiste en taillis d'essence d'anlne, de frêne ou de chêne qui ceignent presque tous les champs. Ceux-ci n'ont, en moyenne, qu'une superficie d'un hectare,

un fossé les clôture de toutes parts, et le bord intérieur est planté d'une haic des essences que nous avons indiquées. Les bons terrains produisent l'aulne et le frène, tandis que le chène est réservé pour les sols légers et médiocres. A l'ombre de ces haies règne une bande de gazon, ayant environ 2 m. de largeur et servant de pâturage pour le bétail. Cette production en bois se coupe au bout de 8 ou 9 ans et appartient au fermier; les arbres montants appartiennent au propriétaire.

Comme nous le verrons plus tard, l'existence de ces taillis a une grande corrélation avec le système des assolements et avec celui de la stabulation qui distinguent l'agriculture flamande.

On comprend qu'un pays, ainsi planté, doit produire une masse considérable de combustible et de bois de charpente. Mais cette richesse du sol n'est pas également répartie dans tous les cantons: il existe de grandes différences sous ce rapport, différences remarquables, parce qu'elles découlent de l'état de l'agriculture, ou parce qu'elles lui impriment un cachet particulier.

Nous avons déjà dit un mot des vergers si vastes, si bien entretenus dans la zone sablonneuse des Flandres. Ils contribuent pour une grande part à relever l'aspect riant et coquet de nos fermes qui se dessinent entre la verdure avec leurs toits rouges, leurs fenêtres peintes de vives couleurs, et leurs murailles en briques de toutes nuances, véritable mosaïque dont les compartiments sont symétriquement séparés les uns des autres par des lignes badigeonnées en blanc. C'est au centre de ces provinces et particulièrement aux environs de leurs chefs-lieux que la culture des arbres fruitiers est intimement liée aux exploitations agricoles; et la raison en est simple. La consommation de deux villes importantes, le voisinage d'un port de mer d'où l'exportation pour l'Angleterre est si facile, expliquent toute l'étendue du trafic des fruits qui se fait dans les Flandres.

Mais il existe une cause purement agricole qui engage les fermiers à planter et à entretenir leurs vergers avec tant de sollicitude. On les trouve principalement dans la zone sablonneuse; ils servent de pâturage au bétail; sous ce rapport, c'est presque notre unique ressource, parce que les sols légers étant promptement desséchés, sont peu propices à la croissance des graminées. Mais l'herbe peut y prospérer lorsqu'elle est ombragée, comme on le voit dans les vergers flamands. Les soins du cultivateur ne sont donc pas consacrés aux arbres fruitiers uniquement pour le produit qu'il en retire la création d'un bon herbage a au moins autant d'importance pour son exploitation.

Quant aux arbres de haute futaie, il existe aussi de grandes différences entre les zones agricoles des Flandres.

Dans la zone sablonneuse et dans le Hout-land, les chemins vicinaux sont larges; peut-être cela tient-il au peu de valeur qu'avait autrefois le sol : dans la zone argileuse, au contraire, ils sont étroits, tortueux, à cause de la nature fertile du terrain qu'ils traversent et de la difliculté qu'on a nécessairement rencontrée à les créer. Aussi, les règlements administratifs s'opposent presque toujours aux plantations de ces routes, parce qu'elles n'ont pas la largeur requise. Dans les arrondissements d'Audenarde et d'Alost, la voie publique est rarement bordée d'arbres, tandis qu'elle présente une succession non inter

rompue d'avenues aussi agréables que productives dans le Hout-land et dans la zone sablonneuse. Les poldres sont presque complétement privés d'arbres: il n'en existe que quelques rares rangées sur les digues intérieures qui sont les chemins vicinaux de cette contrée.

Pour ce qui concerne les plantations sur les terres mêmes, il y a également quelques remarques à faire.

Aux environs de Termonde, dans cette partie de la Flandre qui avoisine le Brabant et la province d'Anvers, les champs sont plantés de chênes en têtards. La dépouille appartient au fermier. Dans les poldres, on ne trouve pas de plantations sur les terres, et elles sont rares dans le Hout-land, dans la zone des terres fortes et dans la majeure partie de la zone sablonneuse. La plupart des propriétaires se contentent de planter les chemins et les coins qui sont perdus pour la culture. Il n'en est pas de même du pays de Waes. Là il n'y a presque point de champ qui ne soit entouré d'une ligne d'arbres, et la préférence est donnée à ceux qui sont les plus voraces, aux peupliers.

Au premier aspect, on dirait qu'une pratique de ce genre est en opposition avec les notions les plus simples de la science agricole; qu'elle n'est pas à la hauteur de la renommée que les habitants du pays de Waes se sont acquise à si juste titre. On ne pourrait concevoir que, dans une contrée où les procédés de la culture sont poussés au dernier point de perfection; où la bêche, après avoir arraché le sol à la stérilité, continue sans cesse son travail dispendieux pour faire produire à la terre tout ce qu'elle peut donner, on ne pourrait concevoir, dis-je, qu'on voulût de gaieté de cœur détruire, par quelques plantations, cette fécondité qu'on a pris tant de peines à obtenir. Mais qu'on se rassure à cet égard. La méthode de planter qui est usitée dans le pays de Waes, obvie à presque tous les inconvénients et est assez ingénieuse pour être mentionnée. Voici comment on y procède l'essence adoptée généralement est le peuplier et le saule. Ces arbres y sont d'un débit très-avantageux, parce que les petits cultivateurs qui ne tissent pas la toile comme dans la majeure partie des Flandres, ont adopté une autre industrie la confection des sabots. Cette industrie, heureux auxiliaire de l'agriculture, surtout dans une contrée où les exploitations sont généralement trop restreintes, occupe une foule de bras et livre ses produits non seulement à la consommation intérieure, mais encore à l'expor tation. La Hollande, la Frise et le Hanovre recherchent les sabots du pays de Waes. Il y a donc un débit assuré et lucratif de la matière première, c'est-à-dire, du saule et du peuplier, que les propriétaires, ingénieux à tirer de leurs terres une deuxième rente, s'empressent de prodiguer. Néanmoins, ils ont dû prendre certaines précautions s'ils voulaient ne pas encourir la déception de la fable de la poule aux œufs d'or : ils étaient placés dans l'alternative ou d'épuiser leurs champs en plantant d'après la méthode ordinaire, ou de la modifier afin de jouir du bénéfice des plantations. C'est naturellement le dernier parti qui a prévalu et qui a été couronné de succès, grâce à certaines précautions et à certaines circonstances qui atténuent, dans le pays de Waes, l'action nuisible que les arbres exercent sur les cultures. Cette action est de deux sortes : ou les arbres épuisent la terre par leurs racines; ou ils nuisent aux récoltes par l'ombre que projette leur feuillage. Afin d'échapper au premier danger, les habitants du

pays de Waes se sont avisés de planter, non au bord intérieur du fossé qui entoure la terre, mais sur une berge spéciale, à mi-côte du fossé, à 0,60 centiinètres environ plus bas que le niveau du champ. L'action épuisante des suçoirs se fait de cette manière sentir plus vivement dans le sous-sol et vers le plafond du fossé que dans la couche arable. Quant à l'ombre que produisent les feuilles,

on y obvie par des élagages répétés. Dans aucune autre contrée, l'élagage des

arbres n'est observé avec autant de soin que dans les Flandres; le métier d'élagueur est une spécialité qui exige des connaissances et une longue pratique, principalement dans le pays de Waes, où la confection des sabots demande que les troncs des arbres soient droits et sans nodosités. Voici quelques notions à cet égard: les baliveaux ne sont espacés que de six à sept mètres ; il importe donc d'arrêter le développement excessif des branches. Pour y parvenir, on supprime, lors de l'élagage, qui revient de 3 en 3 ans, les branches qui ont le plus de propension à s'emporter, et on écourte les branches inférieures, lesquelles, se trouvant arrêtées dans leur croissance, peuvent être coupées dans la suite, sans qu'il résulte de cette opération des blessures nuisibles au tronc de l'arbre. La distance des racines aux premières branches doit être la même que celle de ces dernières jusqu'à la cime: il est bien entendu qu'il ne s'agit ici que du saule et du peuplier, et que d'autres préceptes doivent prévaloir dans la conduite des bois durs.

Mais il est une autre cause capitale qui rend l'action des arbres plantés sur les terres moins fâcheuse qu'on ne devrait le supposer: c'est la brièveté de l'existence qui leur est accordée. Elle est limitée ordinairement à 20 ou 25 ans, et cette durée suffit pour leur faire atteindre le développement qu'exige l'emploi auquel ils sont destinés. Avant l'âge de 15 ans, ils n'effritent que médiocrement le sol, de sorte qu'en tout cas, ils ne sont nuisibles aux récoltes que pendant une période moyenne de 7 années.

Schwerz a consacré à la question des plantations, un long chapitre de son Introduction à la connaissance de l'agriculture belge. Il s'est attaché surtout au calcul des bénéfices et pertes qui en résultent pour le fermier ainsi que pour le propriétaire; et comme résultat, il trouve que l'avantage excède de fl. 3-15-0, la moitié du fermage de la terre, c'est-à-dire, que si un bonnier est loué à raison de 40 florins de Brabant, les plantations rapportent annuellement fl. 23-15-0, tous frais déduits, dont fl. 17-15-0 forment la part du propriétaire et fl. 6-0-0 celle du fermier.

Il serait fastidieux de reproduire tous les calculs de cet agronome; ils sont d'ailleurs en dessous de la réalité et entachés de beaucoup d'erreurs; mais tels qu'ils sont, ils expliquent l'importance que les Flamands ont toujours attachée à la production du bois. En rectifiant ces erreurs, on peut arriver à un chiffre beaucoup plus élevé et qui se rapproche de la rente même que donne le sol. En effet, voici comment Schwerz opère et en quoi il s'est trompé. Il suppose que les peupliers blancs et les têtards dont ils sont entremêlés, rendent improductifs 0,13,08 centiares du terrain, ce qui fait le dixième du bonnier : nous avons vu que la manière de planter, qui est en vogue dans le pays de Waes, obvic à une perte aussi grande.

I suppose ensuite que les peupliers occupent le sol pendant 30 ans et ne

valent alors que 10 fl. La moyenne de leur croissance est d'un tiers moins longue, et la valeur qu'il assigne à des arbres de 30 aus est de moitié inférieure à la réalité, surtout dans le pays de Waes où leur développement est si rapide. Quant aux têtards, nous pouvons également indiquer quelques données inexactes. Ainsi il ne porte rien en compte au profit du fermier pendant les 40 premières années, erreur évidente qu'il fait remarquer lui-même pour prouver que ses calculs ne sont pas exagérés. Ainsi encore il diminue le produit de la vente des têtards auxquels il donne une durée de 120 ans, en fixant leur prix vénal à fl. 2-0-0. Des têtards de cet âge ont ordinairement une valeur quintuple. Ces données suffisent pour que le lecteur puisse rectifier lui-même les calculs de Schwerz et se rendre bien compte du revenu que les plantations peuvent produire.

Nous allons passer maintenant à la troisième espèce de plantations qui est celle des taillis. Nous avons déjà dit en quoi ils consistent et de quel bois ils sont formés. Il nous reste à examiner dans quelles zones ils sont en usage, quels sont les motifs qui les ont fait adopter, quels en sont les inconvénients, quels en sont les avantages tant particuliers que généraux.

On ne les connaît pas dans les poldres; ils sont rares dans une grande partie de la zone des terres fortes, où le terrain est plus ou moins accidenté et présente de vastes plaines cultivées. Dans la région sablonneuse, au contraire, les plateaux ou kauters se rencontrant moins souvent, la généralité des terres forme des enclos d'environ un hectare produisant simultanément des récoltes, de l'herbe et du bois. Comme ce territoire est plane, les premiers défricheurs ont dû s'attacher à l'égoutter; il leur a fallu creuser des fossés sans nombre afin d'exhausser le sol quelquefois marécageux et toujours surchargé d'humidité, soit par les pluies, soit par les eaux supérieures qui n'y trouvaient pas d'écoulement.

Aux fossés ont succédé les taillis qui en utilisent les bords, et à l'ombre des taillis on a conservé une lisière de gazon, parce que la charrue se serait trouvée arrêtée par les racines, et les récoltes rendues nulles par le manque d'air et de lumière. C'est surtout dans le Hout-land que ces taillis sont l'objet des soins du fermier. Ils y sont non seulement plus multipliés que dans les autres zones agricoles des Flandres, parce que cette contrée marécageuse est entrecoupée de plus de fossés et de plus de canaux d'écoulement, mais ils sont encore plus épais, parce qu'au lieu d'être composés d'une rangée unique, ils forment un véritable fourré qui entoure les terres cultivées.

Les agronomes qui ont remarqué les plantations flamandes, parlent des taillis comme d'une création conçue par nos ancêtres pour abriter leur sol, en général léger, contre les ravages des vents et l'ardeur du soleil. Ils font honneur à leur génie d'avoir inventé un vaste système embrassant un territoire immense, comme si, dans les temps reculés, des idées aussi générales qui n'avaient pas d'application possible, puisque les défrichements n'ont eu lieu que successivement, avaient pu être acceptées d'un commun accord et mises à exécution avec uniformité et persévérance. Les faits nous forcent malheureusement à être plus modestes. Ainsi nous trouvons que, dans certaines parties de la zone sablonneuse où les abris seraient le plus nécessaires, il existe moins

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