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peut l'être la logique du Bouddhisme consacrée par l'épreuve du bûcher en la personne de ses chefs spirituels; plus d'une fois s'est renouvelé, dans des formes légales, le spectacle insolite offert par le philosophe Calanus aux Grecs compagnons d'Alexandre, et par le cynique Peregrinus, six cents ans plus tard, à l'issue des jeux olympiques.

Écoutons en quels termes la genèse du système bouddhique a été exposée par M. Edgar Quinet, qui s'est fait le hiérophante du monde oriental avant de se constituer le grand-prêtre de la religion de l'avenir (1) :

« Le pyrrhonisme d'Asie n'est pas celui de l'Occident; en ses plus extrêmes ébranlements, le ciel reste peuplé; le doute a encore ses idoles, et l'athéisme ses Dieux. Le sceptique d'Asie laisse aux siens la puissance plénière sur la nature et sur le temps; il ne leur conteste que l'éternelle durée, et lorsque d'examen en examen, de doute en doute, la philosophie est descendue jusqu'à l'idée du vide, cet abîme, où l'Europe s'arrête en défaillant, n'est pour l'Oriental que le passage à un système de croyance plus épurée. Le néant, pour ains dire outre-passé par l'abstraction, devient un néant fecond qui, renfermant la négation de tout le créé, c'est-à-dire, de toute vie, de toute forme, de toute limite particulière, ne laisse subsister que l'absolu affranchi de toute alliance avec le temps et l'espace; Dieu du vide qui, hors de la lumière et des ténèbres, siége, par-delà le monde, sans nul rapport avec lui, aux bornes mêmes de la pensée, dans ces régions subtiles où l'esprit de l'homme s'évanouit, faute de pouvoir respirer.

.. Las de tout croire, l'homme se met un jour à tout nier; par ce chemin opposé, mais suivi jusqu'au bout, il rencontre le même infini dont il ne peut se débarrasser. Comme il avait spéculé sur l'être, maintenant, par ennui du réel, il spécule sur le rien. Il l'enfle, il le gonfle, il le multiplie, il le fouille, il le creuse: arrivé à ce comble du néant, il découvre au fond de cette basse-fosse une nouvelle immensité; tant il est vrai que nier, c'est encore croire. Dans la religion de Brahma, il aspirait à saisir, à incarner son Dieu en toutes choses; dans celle de Bouddha, il aspire à le distinguer, à l'éliminer de tout, ennemi du réel, dégoûté de l'idéal, adorateur de l'impossible. »

La preuve en est trop bien acquise; le nihilisme est aperçu dans la triste réalité que lui attribue le réformateur indien, et qui n'a été rejetée que par un petit nombre d'écoles; l'anéantissement complet, dont la mort physique n'est que le signe précurseur pour quiconque mérite de l'obtenir, est l'unique moyen que donne la loi bouddhique d'échapper à une série inépuisable de transmigrations toujours nouvelles. L'auteur du salut des hommes n'est point soustrait lui-même à cette nécessité: seulement le terme est reculé jusqu'à l'accomplissement de sa mission envers les auditeurs qu'il doit instruire. Il est dans un des Soûtras une scène dont le dénouement est à cet égard aussi curieux que décisif (2): l'ennemi, le tentateur du Bouddha, Mara, démon de l'amour,

(1) Du génie des Religions.

(Paris, 1812).

Religions de la Haute-Asie. - P. 265-67

(2) Soûtra de Mandhâtri, trad. dans l'Introduction par M. Burnouf, p. 77-78.

du péché et de la mort, vient le presser de se soumettre à l'anéantissement complet dont l'heure est arrivée le Bouddha s'y refuse, mais annonce que le moment n'est plus éloigné : « Pas tant de hâte, ô pécheur, tu n'auras plus longtemps à attendre. Dans trois mois, cette année même, aura lieu l'anéantissement du Tathagata dans l'élément du Nirvana, où il ne reste plus rien de ce qui constitue l'existence ! » Alors Mâra, le pécheur, fit cette réflexion : Il entrera donc dans l'anéantissement complet, le Cramana Gautama! » et ayant appris cela, dit la Légende, content, satisfait, joyeux, transporté, plein de plaisir et de satisfaction, il disparut en cet endroit même. »

L'aspect désolant et sombre sous lequel se présente le Bouddhisme naissant dans ses propres écritures, a inspiré au savant éminemment distingué que nous avons déjà cité, M. Biot, les réflexions suivantes que nous croyons trouver ici utilement leur place (1) :

« Nourris, comme nous le sommes, dans la spiritualité du Christianisme, cette religion de l'âme, où le bonheur d'une vie intellectuelle, éternellement pure, est promis au juste pour prix de la vertu, et offert au coupable comme suite du pardon toujours accordé au repentir, nous avons peine à comprendre par quelle aberration d'idées l'extinction de tout sentiment physique et moral, en un mot l'anéantissement, ou le Nirvana bouddhique, peut être présenté comme un but désirable, et accueilli comme une espérance par des peuples qui, si simples qu'on les suppose, sont pourtant doués de cette faculté intelligente dont l'expansion indéfinie inspire naturellement à tous les hommes le désir, sinon l'espoir, d'un état futur, où ils pourront être dédommagés des souffrances endurées dans cette vie. Mais nous concevrons mieux ce fait, si nous considérons de près les effroyables terreurs que doit inspirer aux populations indiennes leur croyance séculaire dans la fatalité de la transmigration, qui ramène éternellement l'homme à travers les misères de l'existence physique, en le punissant, à chaque retour, de fautes antérieures dont il n'a plus la conscience, ni le souvenir pour se préserver d'y retomber.... Le Bouddhisme ne détruit point ce dogme; il s'appuie, au contraire, sur l'effroi qu'il inspire, et en tire un de ses moyens de conversion les plus puissants (2). Il aurait, sans doute, tenté vainement de le détruire dans l'esprit des populations indiennes, où le Brahmanisme sacerdotal et les livres brâhmaniques de toutes les époques, se sont attachés, s'attachent encore à l'enraciner profondément, le détaillant sous mille formes et le revêtant des couleurs les plus terribles. »

Qu'on ne perde donc pas de vue que le Brahmanisme avait été déjà fort loin dans la voie du scepticisme, et qu'en représentant, avec terreur, les vicissitudes de toute vie humaine, il avait déjà penché fortement vers l'annihilation des

(1) Journal des Savants. Compte-rendu de l'Introd. à l'hist. du Bouddh. Mai 1845, 2o article.

indien.

(2) La métempsychose est réellement un des liens dogmatiques qui unissent génétiquement le Bouddhisme à la religion de Brahma: le fait n'a pas été moins bien démontré par M. Bourgeat dans un cours d'hist. de la philos. orientale (Université cathol., nouv. série, T. I, p. 324 et suiv., Paris, 1846).

existences individuelles : il en était résulté une théorie du salut par l'unification et l'absorption dans Brahm, l'Être unique. Les auteurs du Bouddhisme ne font que changer le dénoûment: ils enseignent comme théorie du salut l'annihilation de toutes les individualités, qui s'opère par leur complet anéantissement dans le vide absolu.

M. Biot, dans le même travail, emprunte au Bhagavata Pourána, (histoire poétique de Krischna, incarnation de Vischnou,) l'un des livres les plus universellement répandus et les plus vénérés dans l'Inde moderne, une peinture saisissante de la condition misérable des hommes condamnés aux douleurs et aux angoisses dès l'heure de leur naissance, puis lancés dans la vie par Mâyà, la déesse des illusions, à travers les déchirements, les cris, le sang et les pleurs (1). Puis il conclut par cette terrible question :

<< Conçoit-on maintenant que l'extinction absolue de l'individualité, l'anéantissement complet de l'âme et du corps, en un mot, le Nirvana bouddhique, avec son insensibilité, sa torpeur, et son exemption de tout sentiment moral et physique, ait pu être annoncé et accepté comme un salut et une délivrance, comparativement à la succession, fatalement éternelle, de pareilles conditions? La voilà donc cette sagesse tant vantée de l'Inde, cette religion morale, élevée, pure; car on lui a prodigué tous ces titres, pleine de mythes sublimes, dont on a tant célébré les hautes abstractions! La voilà présentée pour la première fois dans sa nudité pratique, dans sa réalité historique, telle qu'elle a existé depuis tant de siècles, telle qu'elle subsiste encore aujourd'hui. Sans doute, personne n'a droit de se louer des avantages qu'il tient de la destinée; mais, quand on se représente bien le sort des malheureuses populations qui ont subi, depuis un temps immémorial, le joug de superstitions si terribles, on peut se féliciter d'être né chrétien. »>

(Pour être continué.)

F. NÈVE,

Professeur à l'Université de Louvain.

(1) Ce sombre tableau de la poésie des sectaires Vischnouïtes figure dans le Bhagavata Purána sous le titre de Marche de l'âme individuelle, au liv. III, chap. XXXI (T. I, p. 314 et suiv., édit. de M. E. Burnouf).

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

Traité de l'administration des fabriques d'églises, par M. C. DELCOUR, professeur ordinaire à la faculté de droit de l'Université de Louvain. Louvain, 1846, Tome 1er, chez Ickx et Geets et chez Fonteyn.

Une administration de biens, dont l'origine remonte aux premiers temps du Christianisme, n'a pu certes se maintenir jusqu'à nos jours sans avoir donné lieu à un nombre immense de questions difficiles, dont la solution a maintefois embarrassé les jurisconsultes les plus distingués, les spécialités les plus compétentes. Cet embarras prenait souvent sa source dans l'absence de notions saines des principes qui, à diverses époques, ont régi l'administration des biens des églises, et de matériaux propres à guider les études de ceux qui voulaient les acquérir. Depuis quelques années, des écrivains consciencieux ont publié d'excellents traités sur tout ce qui se rattache aux fabriques des églises, mais un des plus méritoires est sans contredit celui dont M. Delcour vient de mettre au jour le premier volume: concis, clair, mis en rapport avec la législation ancienne et moderne, l'ouvrage du savant professeur offre un précis des plus complets sur tous les points de la législation; c'est plus qu'un simple commentaire de la loi c'est le développement, coordonné d'une manière habile, de tout ce qui peut contribuer à éclaircir les questions si multiples, si complexes auxquelles les fabriques des églises ont donné lieu. Dès que M. Delcour a abordé une difficulté, il l'explique dans toutes ses parties, il dit le comment et le pourquoi, et ne l'abandonne qu'après lui avoir donné une heureuse solution. Toute son argumentation a pour base ou la loi elle-même, ou les arrêts qui font jurisprudence, ou enfin l'opinion des auteurs les plus estimés.

Ce qui ajoute un grand prix à l'ouvrage de l'honorable professeur de Louvain, c'est l'excellente Introduction qui le précède cette Introduction forme une histoire succincte mais précise de l'origine des fabriques des églises, de

leur état dans l'ancienne Belgique, dans les Pays-Bas Autrichiens, sous la législation française qui a précédé et suivi la réunion de la Belgique à la France, sous l'empire du décret da 30 décembre 1809, etc. On conçoit ce que des renseignements aussi curieux offrent de prix.

Le tome 1er du Traité de M. Delcour est relatif aux autorités chargées de l'administration temporelle des fabriques et de leurs attributions générales. Le second sera consacré à la propriété des fabriques, à la régie des biens, à la comptabilité, aux édifices affectés au culte, et aux obligations des communes à l'égard des fabriques.

Traité théorique et pratique du droit électoral appliqué aux élections communales, par M. C. DELCOUR, professeur à l'Université catholique de Louvain. Louvain, chez Ickx et Geets, 1 vol. in-8°.

Quoique l'ouvrage dont nous venons de transcrire le titre n'ait pas été publié depuis hier, la Rédaction de la Revue ne croit pas moins utile d'en parler, parce que c'est un de ces livres dont l'emploi est, surtout chez l'homme public, de tous les instants. Il n'est pas moins nécessaire aux électeurs en l'écrivant, M. Delcour a voulu leur donner tous les renseignements désirables, rappeler aux autorités les principaux actes qu'elles doivent connaître, provoquer l'attention des jurisconsultes et des législateurs sur les difficultés que présente la partie du droit électoral qui s'applique aux élections communales. Pour éclaircir ces difficultés, l'honorable auteur a, lorsqu'il y avait lieu, mis les articles de la loi communale en rapport soit avec le code civil, soit avec la jurisprudence des cours, soit même avec celle du conseil d'État de France, là où les décisions de ce corps interprètent des principes sanctionnés par le droit qui nous régit. Les décisions ministérielles qui expliquent les intentions du législateur, n'ont pas été omises dans le travail de M. Delcour, et pour en avoir le résumé exact et complet, il a demandé et obtenu de M. le ministre de l'intérieur l'autorisation de consulter les archives de son département.

Nous désirons beaucoup que M. Delcour puisse développer, dans un semblable ouvrage, le droit électoral mis en rapport avec les élections parlemen-taires et provinciales. Ce serait un nouveau service rendu à l'administration et aux électeurs.

Inventaire analytique des Chartes des comtes de Flandre, autrefois déposées au château de Rupelmonde, et conservées aujourd'hui aux archives de la Flandre orientale. · Troisième et dernier cahier. - Gand, chez Van Ryckegem-Hovaere, 1846, 1 vol. in-4°.

Ce curieux inventaire qui comprend l'analyse de 1845 chartes, est aujourd'hui entièrement publié. Il sera d'une utilité incontestable à ceux qui voudront étudier l'histoire de la Flandre et même celle du pays aux sources originales. L'ouvrage est précédé d'une notice historique sur l'ancienne trésorerie des chartes de Rupelmonde et suivi d'un glossaire de notes et d'éclaircissements par M. le baron Jules de Saint-Genois.

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