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était dans l'imagination du poëte et dans le cœur du chrétien; il fut écrit. Disons quelques mots de ce livre :

à

Il est des personnes qui se plaignent que la censure autrichienne n'ait pas permis à l'historien d'exprimer énergiquement sa pensée, et l'ait condamné à une modération qui semble pleine de réticences. Il me semble que c'est n'avoir pas compris le livre. Assez d'autres diront la longue élégie de la liberté italienne. Dicté par la légitime colère du citoyen, ce récit eût été éloquent, pathéthique, mais vulgaire ; écrit avec l'âme du poëte et la douceur du chrétien, il est sublime. A ne le considérer même que sous le rapport de l'art, il gagne cette intrépide résignation sa véritable originalité. En s'élevant du monde réel au monde moral, le martyr a reconquis, par la hauteur du point de vue où il s'est placé, l'indépendance de l'écrivain. Si loin des hommes et de son temps, il a pu être impunément naïf, sincère, toujours vrai; et à ceux qui se pren draient encore à regretter dans sa narration une parole plus acerbe, un accent plus amer, je répondrais: Savez-vous beaucoup d'invectives qui parlent plus haut que cette chrétienne modération?

Elle va si loin cette modération, que plusieurs auraient voulu douter de la bonne foi religieuse de Silvio; mais, dit M. de Latour, ç'eût été confesser qu'on ne connaissait ni le livre ni l'auteur. Le livre, il est écrit avec une aisance si parfaitement naturelle, que plusieurs se sont pris à sourire avec dédain de la candeur du poëte, le voyant chercher des vertus jusque dans l'âme d'un geôlier; pauvres gens, qui ne se doutent pas qu'il est un homme plus à plaindre que celui qui semble dupe de tous, à savoir celui qui n'est dupe de personne. L'auteur, c'est un chrétien, simple de cœur et ferme d'intelligence. C'est une âme revenue au Christianisme par cet instinct du malheur qui court aux consolations surnaturelles, mais aussi par cette infaillible logique d'un esprit élevé qui, forcé de renoncer au monde, regarde au-delà et juge de plus haut.

Ces croyances, qui ont été la consolation de sa captivité, Silvio Pellico les a rapportées dans le monde, quand le monde l'a ressaisi de nouveau.

« Plus je médite, plus je compare, dit-il, dans une de ses lettres, et plus je suis convaincu de la vérité de notre religion. Celui qui se la représente en caricature, peut aisément en rire; mais qui l'étudie sérieusement et sans haine, y découvre le principe de toute philosophie. Beaucoup de ceux qui l'ont professée ont été et sont encore injustes, vils, ignorants et fauteurs d'ignorance; cela vient de ce qu'ils sont hommes, et non de ce qu'ils sont catholiques. Un parricide n'est pas un scélérat parce qu'il est fils, mais parce qu'il est mauvais fils. >>

Et ailleurs: « Le Christianisme est philosophie au plus haut degré, et les hommes se débattent en vain pour sortir de son cercle magique, de son cercle divin. >>

Silvio Pellico vit aujourd'hui dans la solitude et la retraite, comme un convalescent qui hésite à essayer les forces qui lui arrivent. Cette mélancolie qui lui faisait dire avant l'époque de sa captivité : « Ah! le plus beau jour de ma vie sera celui de ma mort, » et qui n'était peut-être que le vague pressentiment de son infortune, est encore au fond de son âme, elle s'épanche dans ses écrits par de touchantes inspirations.

Sa première occupation, après les pratiques du culte, est la lecture des livres de piété; il s'en nourrit, il en fait volontiers le sujet de ses conversations, et les plus ascétiques sont ceux qu'il préfère. Ses travaux littéraires ne viennent qu'en seconde ligne, et il ne s'y livre que sous l'empire de ses préoccupations religieuses. « J'ai souvent besoin, dit-il, de faire des vers pour prier; ainsi naissent tantôt une ode, tantôt une élégie où je répands mon âme devant Dieu, et c'est assez pour me rendre la sérénité. » Il a renoncé à écrire pour le théâtre et abandonné deux romans historiques qu'il avait commencés. « Je n'étais pas, dit-il, à la moitié de l'ouvrage, que mon ardeur s'est ralentie en voyant quelle distance infinie me séparait des chefs-d'œuvre que nous avons en ce genre, surtout des Fiancés de l'inimitable Manzoni..... En somme, j'écris beaucoup, mais il est rare que j'achève un travail; j'écris pour ma propre satisfaction plutôt qu'avec la certitude de produire un livre de quelque valeur. Parfois, je prends la plume, et, ne sachant qu'en faire, j'écris ma pauvre vie. »

E. DE P.

LES DEUX SOEURS.

Deux sœurs, que l'on nommait, je crois, Rose et Marie, A qui d'attraits nombreux le Ciel avait fait don, Vivaient, au temps passé, dans une métairie

Du beau village de Meudon.

L'une brune, aux yeux bleus, active, vigilante,
A tous les soins des champs se livre avec instinet;
L'autre blonde, aux yeux noirs, travaille nonchalante,
Et craint le soleil pour son teint.

Aux danses en plein air des fêtes patronales,
L'une a toujours la main du même villageois;
L'autre n'aime à grossir ses listes nominales
Que du nom des jeunes bourgeois.

Rose va d'un pas grave à l'autel du village,
Le sein, le front parés de la fleur d'oranger;
Marie, en un carrosse au rapide attelage,
S'envole avec un étranger.

L'une donne en tribut une épargne modique
Au pauvre souffreteux et de haillons couvert;
L'autre en frivolité fond un or impudique
Ou le confie au tapis vert.

Rose tient dans ses bras un enfant son image,
Et lui dit de prier pour dormir en repos;
Marie, à sa toilette, accueille un tendre hommage,

Ou sourit à de gais propos.

L'une, assise au milieu de paniers à fougère,
Sur un âne trottant, s'en revient du marché;
L'autre passe et repasse, en calèche légère,
Avec un front empanaché.

Du bonheur d'un mari chaque jour soucieuse,
L'une dans son devoir trouve sa volupté;
L'autre va ruinant, folle, capricieuse,

Et sa jeunesse et sa santé.

L'une est morte au hameau bisaïeule, entourée D'une foule d'enfants pleurant de son adieu; L'autre est morte à Paris, jeune, et ne fut pleurée Que d'une sœur de l'Hôtel-Dieu !

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

Précis de l'histoire du moyen-âge, depuis la chute de l'Empire romain d'occident jusqu'à la naissance du protestantisme, par M. MOELLER, professeur d'histoire à l'Université catholique de Louvain. Louvain, 1846, chez Van Linthout

et Van den Zande, 1 vol. in-8° de 640 pages, seconde édition.

Le caractère tout spécial de l'histoire du moyen-âge a été le principal moteur des études nombreuses et approfondies auxquelles cette période a été soumise depuis nombre d'années; des hommes avides de savoir ont voulu suivre pas à pas les diverses phases du travail intérieur des peuples, qui, reculant de plus en plus les obstacles posés par la barbarie, s'acheminaient vers la conquête d'une civilisation plus durable que celle dont ils avaient perdu jusqu'au souvenir. De ces investigations est résultée cette série d'excellentes œuvres qui ont été publiées sur le moyen-âge en Allemagne, en Italie, en France et en Angleterre. Des sophistes, il est vrai, ont cherché à dénaturer les événements de cette période de l'histoire, à fausser les conséquences naturelles qui en découlaient; mais les défenseurs de la vérité étaient si nombreux, les preuves qu'ils avaient recueillies si évidentes, qu'aujourd'hui on ne peut plus que très-volontairement se méprendre sur le caractère des mouvements de l'ordre social et politique au moyen-âge.

Consultant les meilleurs auteurs et joignant à leurs recherches ce que ses longues et laborieuses études lui avaient valu de science, M. Moeller, professeur à l'Université de Louvain, composa un Précis de l'histoire du moyen-âge, dont la première édition s'écoula très-promptement, et fut presque, dès son apparition, adopté dans la plupart des établissements d'instruction moyenne de la Belgique. Une seconde édition de cet excellent ouvrage vient de paraître, si toutefois l'on peut appeler seconde édition, un ouvrage qui a été, pour ainsi dire, totalement refait. Reconnaissant envers les professeurs qui l'avaient si bien secondé pour lui faire atteindre le but désiré, M. Moeller s'est attaché à rendre plus

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