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connu par ses travaux de mathématiques et d'astronomie, a jointe à un compterendu de l'Introduction à l'Histoire du Bouddhisme que nous nous proposons de citer plus d'une fois (1). Après avoir remarqué que la première idée, celle qui dériva le Bouddhisme du Christianisme, a été quelquefois inconsidérément accueillie par le zèle d'une orthodoxie imprudente, M. Biot fait observer « qu'on >> a tiré des mêmes apparences la conséquence inverse, c'est-à-dire, que le » Christianisme aurait emprunté au Bouddhisme quelques parties de ses formes, >> et peut-être de ses principes moraux. Or, ajoute-t-il, si l'on compare les » systèmes de doctrines qui caractérisent ces deux croyances, et les cir>> constances, seulement humaines, qui ont accompagné leur développement, >> il est aisé de reconnaître que cette dérivation serait philosophiquement, non >> moins qu'historiquement, impossible. Car, il y a entre les deux doctrines un >> immeuse abîme moral. Toute personne qui aurait pu partager cette idée et >> qui lira l'ouvrage de M. E. Burnouf, non seulement reconnaîtra avec la » plus complète évidence qu'elle n'a aucun fondement, mais encore regrettera » d'avoir pu, un moment, croire à un rapprochement si monstrueux. »>

(Pour être continué.)

F. NÈVE,

Professeur à l'Université de Louvain.

(1) Avril-mai-juin 1845, (Paris, I. R.) — 1er article, No d'avril, note, p. 236. On peut rapprocher de ce jugement nettement formulé la sentence non moins énergique prononcée par Fréd. de Schlegel contre la prétendue ressemblance attribuée au Bouddhisme (Philosophie de l'Histoire, leçon III).

PORTRAITS LITTÉRAIRES.

SILVIO PELLICO.

Silvio Pellico appartient à une famille piémontaise d'honnête bourgeoisie, il est né en 1789 à Saluces. Son père s'appelait Onovato, et il était digne de son nom. Sa mère, Savoisienne de naissance, avait toutes les qualités de cœur qui distinguent cette excellente nation. Ils étaient déjà riches de deux enfants quand Silvio vint au monde, en compagnie d'une sœur jumelle, et ce fut dans la famille une double fête. Le poëte des âmes tendres et mélancoliques eut une enfance chétive et pénible: il ne sortait d'une grave maladie que pour tomber dans une autre plus grave; les médecins déclarèrent qu'il ne passerait pas sept ans. Quand l'enfant en eut huit, ils annoncèrent qu'il mourrait à la seconde période septennale, c'est-à-dire, à quatorze ans; puis, le terme fatal fut prorogé jusqu'à vingt-un ans, et de délai en délai, ce frèle enfant, devenu homme, a fini par trouver, dans sa délicate organisation, assez de force pour résister à dix ans de la plus meurtrière existence qui se puisse concevoir.

Voici comment Silvio parle de cette enfance si chétive : « De longues douleurs, de longues tristesses accabièrent mon enfance. Autour de moi jouaient et sautaient, heureux, et pétulants, et fiers, on l'eût dit, de leur angélique beauté, les enfants de ce temps-là; et moi, né leur égal en force, je me voyais tombé dans une morne langueur et dans des spasmes inouïs, dont la cause restait un mystère. Bien des fois la mort posa son doigt sur mes cheveux; mais c'était seulement pour se railler de moi, et elle se retirait avec dédain. Souvent, lorsque moins malade, je traînais mon pauvre petit corps parmi mes compagnons florissants, et que ma voix s'échappait plus joyeuse de mes lèvres pâlies' souvent mes courtes joies se troublaient devant la pitié que faisait naître ma frêle et misérable nature. Alors mon âme succombait aux assauts multipliés d'une angoisse si vive, que je courais cacher mes larmes dans la solitude, et

ceux qui m'y trouvaient pleurant pour une cause qu'ils ne connaissaient pas me disaient insensé. »

Un seul médecin, et le meilleur de tous, ne désespéra pas de lui. Ce médecin, ce fut sa mère. Silvio Pellico aime passionnément sa mère; quand il en parle, dit Maroncelli, sa parole devient un hymne d'adoration; c'est elle qui, penchée sur le chevet du pauvre enfant, le rechauffait de ses baisers, le ranimait de sa voix, le cachait dans son sein pour le dérober aux étreintes de la douleur; c'est elle enfin qui lui redonna vingt fois la vie.

Cependant sous cette fragile enveloppe d'enfant maladif se cachait une intelligence, qui semblait puiser dans la douleur même une force et un éclat précoces. Confié, ainsi que son frère aîné Luigi, aux soins d'un bon prêtre, don Manavella, qui leur enseigna les premiers éléments des lettres, Silvio manifesta de bonne heure une vocation dramatique bien décidée. Les deux enfants se plaisaient à construire avec des tables une sorte de théâtre, sur lequel ils récitaient, devant un auditoire de famille, de petites pièces que leur père composait pour eux. A dix ans, Silvio ouvrit par hasard la brillante traduction d'Ossian, de Cesarotti. Cette poésie le charma, et comme toute inspiration chez lui tournait au drame, il parvint à composer sur ce thème un essai de tragédie qui n'a point été conservé.

Vers cette époque, le père de Silvio, après avoir séjourné quelque temps à Pignerolles, où il avait établi une filature de soie qui ne réussit pas, se transporta avec sa famille à Turin, pour occuper un emploi dans l'administration. Un Gouvernement républicain venait d'ètre fondé dans cette partie de l'Italie. M. Onovato Pellico, qui avait été persécuté à Saluces à cause de ses opinions monarchiques, et qui, dans les diverses crises révolutionnaires du Piémont, avait souvent fait de sa maison un asile pour les vaincus du lendemain, ses persécuteurs de la veille, fut accueilli à Turin comme le meilleur des hommes sous la monarchie, et le meilleur des hommes sous la république.

Il allait souvent aux assemblées populaires, il y prenait quelquefois la parole, et presque toujours il se faisait accompagner de ses deux enfants, Luigi et Silvio. Ce dernier prêtait une oreille avide à tout ce qui se disait autour de lui, et ces reproductions en miniature des grandes luttes du forum antique firent sur sa jeune âme une impression qui ne s'est jamais effacée.

A ces graves enseignements de la place publique, combinés avec de bonnes études domestiques, vinrent se joindre bientôt pour Silvio les premières impressions du cœur. L'enfant entrait dans l'adolescence; il avait seize ans ; il continuait de se livrer à Turin à ces petites distractions théâtrales qui faisaient sa joie. Seulement la troupe, d'abord composée de lui et de son frère, s'était successivement augmentée de plusieurs enfants de la ville, entr'autres d'une jeune fille appelée Carlottina. Silvio l'aima comme on aime à seize ans, d'un pur et doux amour. Cet amour n'était pas destiné à se flétrir sur la terre; Dieu le brisa dans sa fleur: Carlottina mourut à quinze ans, laissant à Silvio un impérissable souvenir; et vingt ans plus tard, durant les longues nuits du Spielberg, l'âme de la jeune fille descendait souvent d'en haut et venait consoler le prisonnier.

Après avoir séjourné quelque temps à Lyon, chez un M. De Rubod, cousin

de sa mère, Silvio se rendit à Milan, où son père occupait un emploi au ministère de la guerre. Nommé professeur de français au collège des orphelins militaires, il se livra sans contrainte à son instinct poétique. Milan était alors le centre de la littérature. Monti et Foscolo s'y disputaient la royauté. Silvio se lia avec Foscolo et lui est demeuré fidèlement attaché. « Cet homme emporté, dit-il, qui éloignait de lui par son âpre rudesse tous ses amis, fut toujours pour moi plein de douceur, et j'éprouvais pour lui une tendre vénération. >>

Le scepticisme était leur maladie à l'un et à l'autre; mais c'était chez Silvio un entraînement passager, tempéré par la simplicité du cœur; c'était chez Foscolo le résultat d'une humeur violente et d'une impitoyable logique. La poésie était comme une autre religion, où, de ces deux extrémités du scepticisme, ces deux âmes venaient se rencontrer. Une fois même leurs pensées faillirent se confondre dans une œuvre commune. Ils avaient conçu le dessein de se partager les annales du moyen-âge pour les reproduire, Foscolo dans une suite de tragédies dont sa Ricciarda pouvait être la première; Silvio Pellico dans une série de nouvelles épiques dont nous possédons quelques-unes. Qu'est devenu ce projet? C'est au malheur, à l'exil et à la mort qu'il faut le demander ; il n'en est guère resté que le souvenir d'une amitié dont celui qui survit conserve religieusement le culte.

« J'ai connu Foscolo, dit-il, et je l'aimai comme un frère; car il avait pour moi une affection profonde. J'ai vécu près de lui de charmantes années; tous les sentiments généreux, c'est lui qui les éveillait en moi; jamais je ne le vis s'abaisser à l'artifice; la bassesse lui faisait horreur, et mettait son âme à la torture. Grand poëte, la poésie était une arme dans ses mains, et son vers étincelant comme un glaive.

» Mais, dès ses jeunes ans, cet homme si digne d'aimer Dieu avec sa grande ame, ouvrit à de misérables doutes son intelligence hardie. Toutefois, parmi ces doutes dignes de pitié, Foscolo abhorrait le zèle effronté de ces superbes qui, privés de la foi, s'irritent de voir les autres élever leurs vœux vers le ciel.

>> Et il me disait que le pieux silence qui se fait dans la maison de Dieu, aux dernières heures du jour, alors que l'on y voit à peine ça et là un petit nombre de fidèles qui prient et qui gémissent aussi sur leurs douleurs, ou encore ces doux chants du soir qui montent vers la Vierge, Souveraine du Ciel, faisaient couler en son âme une paix profonde, ou l'ouvraient à la joie d'une sublime poésie.

>> Parmi ses amis les plus chers, aucun n'obtenait de lui plus de déférence que le vieux et vénérable Giovio; il l'écoutait parler le séduisant langage de la vertu avec recueillement, et lui disait: moi aussi j'ai connu sur la terre quelques jours de bonheur, lorsque mon regard plein d'amour voyait encore ce Dieu qui brille aux vôtres.

>> Et comme il souriait au bon Giovio avec le tendre respect d'un fils, il abaissait aussi sur mon cher Manzoni, avec une douceur presque paternelle, sa glorieuse paupière; il annonçait, il admirait en lui la grandeur de l'inspiration et la force de la pensée, toujours prompt à blâmer avec énergie quiconque osait railler l'âme pieuse de Manzoni. >>

Silvio avait écrit à son retour de Milan une tragédie sur un sujet grec,

Laodicée. Il venait de terminer cette œuvre, lorsqu'il remarqua un jour, sur un petit théâtre, une jeune actrice de douze aus qui est devenue plus tard la première tragédienne de l'Italie: c'était la célèbre Carlotta Marchionni. La physionomie et le jeu de cette enfant l'inspirèrent. En même temps que le souvenir endormi de la Carlottina, tant pleurée, se réveillait peut-être dans le cœur du jeune homme, une touchante pensée de Dante s'emparait du poëte; il voyait passer devant ses yeux, emportées dans un tourbillon éternel, les deux ombres mélancoliques de Francesca et de Paolo.

Cette impression eut pour résultat une seconde tragédie: Francesca da Rimini; à peine écrite, il la soumet à Poscolo, qui lui dit après l'avoir lue: « Mon ami, voilà une méprise complète : laisse Françoise dans son cercle de l'enfer, et jette ton œuvre au feu. Ne touchons pas aux morts de Dante, ils feraient peur aux vivants d'aujourd'hui. »

Le lendemain, Pellico porte Laodicée à son sévère ami : « A la bonne heure, dit Poscolo, voilà qui est beau!» L'auteur n'en crut pas l'oracle; c'est Laodicée qu'il jeta au feu.

En 1819, cette actrice enfant, qui avait inspiré le poëte, reparaissait à Milan, jeune fille et déjà entourée d'une grande renommée, acquise sur différents théâtres de l'Italie. Silvio lui fut présenté; Francesca da Rimini sortit du tiroir où elle gisait oubliée; Carlotta Marchionni adopta cette œuvre, née d'elle. La tragédie fut représentée à Milan, puis à Naples, à Florence, avec un succès toujours croissant, et dès son début, Silvio Pellico se trouva placé au rang des poêtes les plus distingués de l'Italie.

Francesca da Rimini, la première et la meilleure des productions dramatiques de Silvio, suffit à donner une idée de la manière de l'artiste, car elle a ce caractère de pureté, de grâce et de noblesse, ce cachet de passion mélancolique et d'éclat tempéré qui se retrouvent dans l'Eufemio di Messina, dans l'Ester d'Engaddi, dans la Gismonda, et les autres tragédies du même auteur. Économie de personnages, quatre ou cinq au plus, sobriété d'incidents, absence de toutes ces combinaisons d'effets de théâtres vulgaires et matériels, si usitées dans le drame moderue; peu de ces allures majestueuses de la tragédie française du grand siècle; mais aussi rien de bien entraînant, de bien impétueux; assez de passion vraie et sentie, sinon énergique, pour éviter la sécheresse; un sens exquis du beau moral, un grand fonds de tendresse, un certain mélange de mollesse, d'élégance, de familiarité et de délicatesse dans le langage qui sied pour l'expression d'un amour italien contenu par le sentiment du devoir; tels sont les traits principaux des tragédies de Silvio.

L'ère autrichienne avait succédé à l'ère napoléonienne: la famille de Silvio était retournée à Turin; seul il restait à Milan, où il s'était chargé de l'éducation des enfants du comte Porro. Cette époque est la plus heureuse de sa vie : le comte l'aimait comme un frère, et sa maison était le rendez-vous de tous les hommes éminents de la Lombardie, ainsi que des illustrations étrangères qui traversaient Milan. C'est là que Silvio connut Me de Staël, Schlegel, Byron, (dont il traduisit le Manfred en prose, et qui lui répondit par la traduction en vers anglais de la tragédie de Francesca,) Dawis, Brougham, Hobhouse, Thorwaldsen et mille autres. C'est là que Silvio apprit à élever son âme de l'amour

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