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été dignes l'un de l'autre ; l'ancien ministre avait pris la place du nouveau sur les bancs de l'opposition: il a voté pour son rival, comme son rival avait voté pour lui dans des circonstances analogues, l'intérêt du moment étant d'abord, a-t-il dit, d'éviter un changement de cabinet ou une dissolution.

Il était assez facile de prévoir qu'il en serait ainsi, et les anxiétés qu'on voulait bien prêter aux Wighs n'avaient guère de fondement que dans l'imagination ou dans la tactique des protectionnistes. Il eût été commode pour ceux-ci de battre successivement sir Robert Peel avec lord John Russell, et lord John Russell avec les amis de sir Robert Peel. Mais le bon sens public a compris que c'était un amusement ridicule, une injure même à la Constitution de vouloir ainsi défaire des ministères sans pouvoir en faire un. On n'a pas voulu que les chefs de l'État succombassent ainsi tour à tour à leur dévouement; il était nécessaire de prouver que la réforme n'était point un abîme où devait tomber quiconque en approchait. Ainsi s'explique la grande majorité qui a voté pour le ministère en faveur de la libre admission du sucre des pays à esclaves, une majorité de 130 voix.

Ce chiffre contraste d'une façon bien singulière avec le morcellement que les ultra-tories signalaient, soit dans le Parlement, soit dans le cabinet. Personne ne savait plus où siéger, ni dans la Chambre des Lords, ni dans celle des Communes. Lord Wellington avait pris une place neutre avec lord Ellenborough, pendant qu'il donnait permission à ses amis d'aller s'asseoir derrière lord Stanley, le dernier leader qui restât aux opposants. « Où aboutira, écrivait, il y a quelques jours, un des membres de la dernière administration, uni à la fortune de sir Robert Peel par les liens d'une étroite et longue amitié, où aboutira cette confusion de tous les partis? Jamais en Angleterre on n'a vu de crise qui jette autant de doutes sur l'avenir, et déjoue si complétement les combinaisons ordinaires. >>

C'est qu'en effet l'Angleterre entre dans une ère nouvelle où il n'y a plus de place pour les vieux partis; elle rompt avec toutes ses traditions politiques. On avait l'habitude d'être gouverné par une sorte de faction, whig ou tory, qui arrivait au pouvoir avec armes et bagages pour en combattre une autre : le Gouvernement, c'était cette lutte d'un corps contre un corps ; l'individu abdiquait et se donnait au corps pour le corps lui-même, pour sa tendance, pour sa couleur générale, pour son drapeau. Il n'y a plus aujourd'hui de ces drapeaux qui recouvrent tout; au milieu de cette éducation sociale qui s'accomplit en Angleterre, il se présente une foule de questions neuves sur lesquelles la majorité se fait en vue de chaque question prise à part, et non pas d'après un mot d'ordre universel. Il n'y a que les protectionnistes qui veuillent encore marcher à l'ancienne mode.

Le Gouvernement pontifical vient d'entrer franchement dans une voie de modération qui fait le plus grand honneur au nouveau Souverain Pontife et qui est d'un bon augure pour l'avenir des États Romains. Une amnistie générale qui rend plus de 6,000 personnes à leurs familles, a été publiée le 17 juillet. Accueillie avec enthousiasme par les populations et par l'opinion publique, l'amnistie est un exemple salutaire qui hâtera, nous l'espérons, la solution si

difficile du problème que soulève la situation politique et intellectuelle de l'Italie. C'est non seulement un acte de haute clémence, mais encore un acte de bonne politique.

Lors des agitations révolutionnaires qui furent la suite des événements de 1830, et qui eurent des conséquences aussi funestes que les insurrections de 1820 et 1821, les Gouvernements, attaqués avec passion, ne songèrent plus qu'à se défendre. Nous sommes loin de vouloir justifier toutes les mesures répressives dont ils firent usage dans ces tristes circonstances; mais, après tout, il existe, pour les Gouvernements aussi bien que pour les individus, un droit suprême de propre conservation, dont le moraliste le plus rigoureux ne saurait préciser les limites sans s'exposer à tomber dans de grossières contradictions, ou à aboutir à des conséquences absurdes.

Mais aujourd'hui les passions orageuses se sont calmées, leurs traces se sont à peu près effacées. C'est ce que Pie IX a parfaitement compris; il a compris, comme il le dit lui-même « que maintenant il pouvait pardonner sans danger. »>

C'est grâce à ces sentiments de modération qui ne resteront pas sans fruits, que les choses reprendront en Italie leur cours naturel et que les peuples, ressentant les effets salutaires de cet heureux changement, marcheront vers un meilleur avenir.

COUP D'OEIL SUR LA SESSION.

Nous avons rendu naguère un juste hommage à notre majorité parlementaire en reconnaissant son indépendance, son patriotisme, ainsi que l'intelligence politique qui distingue ses chefs et bon nombre de ses membres. Il serait aisé de lui trouver encore bien des sujets d'éloge et de faire ressortir, par exemple, cet esprit d'ordre et de modération qui la dirige et ce bon sens général, plus utile au pays que l'intarissable loquacité de l'opposition; mais, plus jaloux de donner un bon avis que d'écrire un panégyrique, nous avons tâché de lui faire comprendre combien il lui importe d'acquérir cette cohésion et cette fermeté qui, chez elle, se laissent trop souvent désirer.

Sans ces deux conditions, la majorité, nonobstant sa force numérique, ne doit pas espérer de se trouver jamais en mesure de contenir efficacement l'opposition. Tant qu'elle ne les réunira pas, elle ne sera qu'une aggrégation presque fortuite d'hommes très-honorables, sujette à des fluctuations et à des vicissitudes quotidiennes ; elle ne parviendra pas à constituer un parti de Gouvernement, ni même un véritable parti politique sur ou avec lequel on doive compter. Tant qu'elle ne les réunira pas, elle verra sa marche arrêtée chaque jour par une opposition moins nombreuse, mais mieux constituée et plus compacte; elle verra ce qui n'est arrivé, croyons-nous, à nulle autre, et ce qu'elle a vu deux fois à huit mois d'intervalle, le pouvoir offert, à ses yeux, à la minorité.

Cette insouciance, qui n'est pas une des moindres causes des succès de l'opposition, caractérise la majorité depuis plusieurs années, mais il est superflu de retracer une longue période de notre histoire parlementaire pour montrer le décousu que nous reprochons à la conduite du parti conservateur : il suffit de jeter un coup d'œil sur la session qui vient de finir.

A l'époque de la réunion des Chambres, en novembre 1845, la situation était assez équivoque. Le ministère, quoique sûr encore de la majorité, s'était dissous

à la suite des élections. La conservation de deux membres de l'ancien cabinet et l'arrivée aux affaires d'un membre de la majorité offraient un augure favorable: mais d'un autre côté, les relations connues de celui qui avait formé le nouveau ministère étaient de nature à ne pas inspirer une entière confiance. On ne pouvait d'ailleurs pas avoir oublié que l'opposition avait la première été appelée à l'exercice du pouvoir et que des prétentions exagérées seules l'en avaient écartée. On avait donc lieu de craindre sinon un revirement politique, du moins un système de concessions envers la minorité, et il était difficile de se persuader que tout dût se réduire à sacrifier un de nos plus habiles hommes d'État sans rien changer à la direction qu'il avait imprimée aux affaires. Tout commandait à cette époque une grande circonspection, et, lorsque le ministère, dans le discours du trône, posait la question de confiance, la majorité se trouvait entre deux écueils: une adhésion imprudente ou un refus de concours dépourvu de motifs suffisants et qui compromettait la situation.

Le Sénat s'est heureusement tiré de ce pas assez difficile. Sa réponse, qui ne l'engageait pas, était conçue en termes tels que le ministère lui-même a pu s'y rallier. Il n'en a pas été de même à la Chambre des Représentants. Pour ne pas renverser étourdiment le cabinet, il a fallu abandonner le projet inacceptable de réponse rédigé par la commission, accueillir un amendement proposé par le ministre de l'intérieur, et qui emportait nécessairement une adhésion plus complète que les circonstances ne le demandaient. Il est inutile de s'enquérir si l'on a pris la peine de se concerter au Sénat, mais il est fort apparent que les représentants de la majorité n'en ont rien fait et que leur faute est le résultat de leur négligence.

Lors de la première bataille parlementaire, les ministres et surtout celui de l'intérieur soutiennent énergiquement les principes conservateurs. C'était le cas ou jamais de tenir tête à une opposition trop enflée de son récent succès, de lui prouver qu'on n'était ni effrayé ni découragé. Que fait la majorité? Selon sa coutume, elle se borne à voter, et, sauf une ou deux honorables exceptions, elle se tait. Faut-il s'étonner si bientôt M. Van de Weyer, placé à la tête d'une force inerte et en face d'un parti compact et actif, a cherché à se concilier l'opposition et a commis l'erreur de croire à la possibilité du succès ?

M. Van de Weyer se sépare de ses collègues, assez gauchement, sur une question résolue pour lui comme pour eux dès la formation du cabinet. En toute autre circonstance, l'unique ministre dissident se fût retiré ou cût recomposé l'administration. Ici, où la majorité flotte au hasard, le cabinet se dissout tout entier, et le pouvoir est offert à l'opposition. La majorité demeure toujours passive en présence du triomphe imminent d'une opinion qui ne convient guère mieux à sa partie libérale qu'à sa partie catholique.

L'union des libéraux et des catholiques modérés a fait résoudre les questions politiques les plus graves; elle a facilité le développement de nos institutions et prévenu le danger qui pouvait naître de leur caractère un peu républicain; elle est éminemment favorable au maintien de la concorde et de la confiance générales. Les ministères mixtes, assez indifférents dans l'état normal des choses, offrent, dans les circonstances présentes, cet avantage précieux, qu'ils consacrent par le fait cette union, qu'ils entretiennent la sécurité chez les uns

et chez les autres, qu'ils démasquent le fanatisme de ceux qui dédaignent l'égalité et prétendent à la prépondérance exclusive. Il était done bien à désirer qu'il ne fût point dérogé à la règle précédemment observée. Aucune nuance de la Chambre n'était plus naturellement appelée à fournir le contingent libéral du ministère que celle qui est communément désignée sous le nom de centre gauche. Moins alliée aux catholiques que certains autres libéraux, confondue quelquefois mal à propos avec eux, plus rapprochée même de l'opposition, elle offrait aux libéraux raisonnables toutes les garanties possibles, et, d'une autre part, elle ne devait pas alarmer les catholiques qui savaient assez combien elle diffère de la partie la plus avancée de l'opposition. Si toutes les fractions de la majorité si récemment encore unie pour soutenir M. Van de Weyer et ses collègues, s'étaient entendues pour maintenir des principes de gouvernement sur lesquels elles étaient d'accord, elles n'auraient pas été exposées à voir triompher leurs communs adversaires. L'opposition, nous l'avons vu, se tenait compacte; elle se réunissait chaque jour; elle n'agissait que de commun accord et savait parfaitement où elle allait. La majorité s'en remettait au souffle du vent. Cette faute est commune à toute la majorité, mais le centre gauche en a commis une seconde. Après le refus de M. Rogier, le pouvoir lui a été offert et elle l'a refusé; puis, elle a fait une démonstration contre la seule combinaison ministérielle qui put, par son fait, tenir tête à ceux qu'elle avait combattus.

Le centre gauche a été maître de la situation; il pouvait détruire chez les libéraux bien des craintes, mal fondées ou exagérées, mais réelles; il pouvait facilement donner aux catholiques des apaisements convenables; malheureureusement, il n'a pas compris sa belle position. Le centre gauche s'est effrayé de la fantasmagorie de l'opposition, il a méconnu les forces qu'il pouvait rallier, et ce résultat tient au défaut de concert, d'unité et de vigueur de l'opinion conservatrice.

Faut-il s'étonner si une majorité aussi molle, même quand il s'agit de sa propre existence, laisse l'opposition retarder toutes les questions qui sont à résoudre? si la session n'a pas été, comme elle pouvait l'être, plus utile pour les intérêts publics?

Contribuables, demandons compte à nos commettants des résultats d'une session qui, avec les vacances que ces messieurs se sont libéralement décernées, mais, non compris l'ajournement, n'a pas duré moins de huit mois. Voyons les fruits qu'en a tirés le pays qui se soucie peu, nous l'avons dit plus d'une fois, de la grandeur de MM. tels ou tels et qui voudrait avoir, pour son argent, autre chose que de langs discours dans le Moniteur.

Du 11 novembre 1845 au 14 août 1846, la Chambre des Représentants a eu cent cinquante séances, en ne tenant pas compte de cinq réunions infructueuses à raison de l'insuffisance du nombre des membres présents. Quatre séances ont été employées aux travaux préparatoires de la vérification des pouvoirs et de la composition des commissions; quatre autres ont été consumées à ne rien faire ou à faire des riens; quinze ont été absorbées en discussions politiques; quarante-cinq ont eu pour objets des lois de finances, et, par conséquent, les charges à imposer aux contribuables; enfin, quatre-vingt-deux ont été consacrées à la discussion de lois plus ou moins utiles aux citoyens.

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