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de nous de méconnaître cette autorité sacrée. A nos yeux, au contraire, elle est fortifiée par les lois mêmes qui la circonscrivent comme pour entourer d'un rempart social le libre champ de son exercice. Nous proclamons, avec M. C. Dupin, le droit des pères, et, par ces mots, nous entendons, avec lui, d'abord, le droit de pourvoir à la nourriture, au vêtement, au logement, à la santé de leurs enfants; puis le droit de veiller sur leur àme autant que sur leur corps; le droit de les former en même temps à l'amour du travail comme à l'amour de la vertu.

Mais le prétendu droit de vendre, sans contrôle et sans frein, la force, la santé, la vie de leurs enfants, nous voulons que la loi l'interdise, le flétrisse, le châtie dans la personne des pères indignes de ce nom. La loi, dans sa respectueuse confiance envers l'autorité paternelle, ne peut oublier qu'il existe, comme pour tous les autres membres de la société, des droits individuels sur lesquels la protection publique doit s'étendre. Si le père remplit ses devoirs à l'égard de ses enfants, s'il veille attentivement à leur santé, et leur procure tous les avantages de l'éducation dont il peut disposer, il n'aura pas même à s'enquérir de l'existence de la loi, car il aura accompli d'avance et spontanément toutes ses prescriptions. L'autorité paternelle ne peut conférer au père le droit de mutiler le petit doigt de son enfant : lui serait-il loisible, en vertu de cette même autorité, d'exercer sur un pauvre être sans défense une mutilation mille fois pire, de l'exténuer et de lui inoculer le germe des plus terribles maladies, de le condamner à une existence débile et à une mort prématurée, de le laisser croupir dans un état voisin de l'abrutissement, de corrompre son cœur en comprimant ses plus nobles facultés? Si le père a des droits que lui confère la nature, l'enfant a aussi les siens; si le père porte atteinte aux droits de l'enfant, c'est à l'État à le protéger et à lui en garantir le maintien.

Les législateurs de Sparte avaient confisqué en quelque sorte, au profit de la société, la puissance paternelle; il ne s'agit pas de suivre aujourd'hui cet exemple, qui procédait d'une vue incomplète du cœur humain. Ne supprimons pas l'autorité du père, car nous n'aurions rien à mettre à la place; mais limitons-la, selon les nécessités qui se révèlent dans l'ordre social.

P.-B.-A. LINGMER.

REVUE POLITIQUE.

La Belgique vient de voir cesser l'état d'hostilité douanière qui existait, depuis le commencement de l'année, entre elle et la Hollande: un traité de commerce et de navigation est conclu entre les pays qui, jadis réunis sous un même sceptre, avaient déjà consacré leur séparation par un traité politique; c'est la dernière pierre mise à la grande œuvre de 1830. Commencée par la nation belge, approuvée plus tard par les puissances étrangères, notre émaneipation a été, au bout de neuf ans, ratifiée par la Hollande, qui aujourd'hui lui donne une sanction nouvelle, en fortifiant les rapports d'intérêt national, si conformes aux vœux et aux besoins des deux peuples.

Par ce traité la Belgique obtient des conditions favorables pour le placement des produits de ses nombreuses industries, et elle concède, en échange, à la Hollande des avantages pour le commerce de ses colonies, pour le bétail et pour la pêche. Cette dernière concession est la plus pénible pour nous : elle lèse gravement une industrie nationale qui, encore au berceau, a d'autant plus besoin d'encouragement qu'elle s'exerce au péril de la vie des malheureux pêcheurs, dont les bénéfices ne sont nullement en proportion des dangers qu'ils affrontent. Nous déplorons encore la concession faite au détriment de la pêche, parce qu'elle frappe dans nos Flandres une population intéressante, qui aura dorénavant à pâtir de la misère à laquelle les pêcheurs des côtes hollandaises se trouvent en proie.

Le temps nous a manqué pour approfondir la question, mais il nous semble que le Gouvernement pourrait prendre quelques mesures propres à atténuer le mal qui résultera pour nos côtes du traité du 29 juillet. Longtemps on s'est plaint du prix élevé du transport du poisson: la position financière du chemin de fer permettrait probablement d'accorder quelques faveurs aux produits de la pêche nationale; une révision des règlements concernant la vente du poisson augmenterait quelque peu le bénéfice des pêcheurs, en même

temps qu'elle ferait cesser les inconvénients dont on se plaint aujourd'hui et dont le contre-coup va frapper directement le consommateur. Ces points et plusieurs autres relatifs à la pêche nationale méritent d'occuper l'attention immédiate du Gouvernement.

En faisant, dans notre livraison d'avril, une appréciation de l'opposition prise en masse, nous lui contestions les qualités gouvernementales. « Elle ne saurait, disions-nous, ni formuler un système, ni convenir d'une mesure un peu importante à prendre. Si le pouvoir devait écheoir à l'une de ses fractions, celle-ci, bientôt séparée de ses coalisés actuels, ne le conserverait qu'autant qu'elle pût rallier une forte partie de la majorité. » En considérant ce qui se passe aujourd'hui dans l'opposition, nous serions tentés de croire que nous l'avons encore trop bien jugée: nous assignions le pouvoir comme le premier écueil contre lequel elle viendrait à se briser; mais tandis que nous la voyons encore au bas du mât où pendent les portefeuilles ministériels, une scission des plus prononcées éclate dans son sein: ceux qui, passé quelques mois, avaient la prétention de la conduire, sont aujourd'hui devancés et considérés comme des bornes qu'il faut au plus tôt écarter de la voie à parcourir par les impatients de la coalition. Cette scission fait les progrès les plus rapides, et nous pourrons sans doute bientôt en apprécier les conséquences.

La Providence a permis qu'une fois encore le Roi des Français, la famille royale et la France fussent soumis à une de ces épreuves qui n'en sont pas moins affreuses, bien que le malheur dont elles les menaçaient soit heureusement détourné. Cette fois, c'est au milieu d'une fête qu'un misérable est venu, de sang-froid, ajuster un père entouré de ses enfants, un Roi entouré de son peuple, et a voulu l'assassiner au moment même où ils lui adressaient leurs hommages. Après avoir vu le Roi échapper de nouveau au feu d'un assassin, sans doute le premier mouvement doit être un sentiment de reconnaissance pour la Providence qui l'a sauvé; mais une amère pensée attristera toujours une joie semblable: il est impossible de ne pas sentir avec douleur notre impuissance contre de parcils coups; il est impossible de se défendre d'une sorte de découragement en voyant des destinées si hautes, des vies si précieuses, des intérêts si grands à la merci du plus atroce caprice du crime ou de la folie.

Il est impossible qu'en France les esprits sages ne soient pas saisis d'une préoccupation grave. Il n'y a pas de crime dont les conséquences soient plus générales, qui attaque plus directement la société tout entière que le régicide: personne ne le conteste. Il n'y a pas de crime non plus qui, dans son origine, soit moins accessible à l'influence de sentiments personnels ou d'intérêts particuliers. Même lorsque les hommes qui osent attenter à la vie d'un Roi, sont insensés, leur atroce folie peut s'allumer à une pensée, à une excitation générale. Lorsqu'un attentat vient d'être commis, il est donc naturel que les hommes politiques se demandent s'il y a dans la situation de la société quelque cause d'excitation générale qui ait pu influer sur la furie d'un scélérat ou d'un fou. Plus on a le désir, je ne dirai pas seulement de prévenir le retour de tentatives semblables, mais de laver le renom du pays de}la tache, qu'elles y laissent, plus, ce nous semble, on doit apporter de sollicitude dans un tel

examen. Cette préoccupation domina tout le monde en France après l'attentat Fieschi; et, certes, il fut bien permis alors de se demander s'il ne fallait pas imputer à la licence effrénée de la presse une part de responsabilité dans le crime qui venait de consterner la France et l'Europe.

Les lois de septembre qui ont tant contribué à rétablir l'ordre dans les esprits, n'ont pas pu empêcher cependant de nouveaux attentats contre le Roi; mais depuis cinq ans il semblait que ces attentats ne fussent plus à craindre, et lå sécurité dans laquelle la France était rentrée, devait augmenter l'indignation et l'inquiétude provoquées par l'attentat de Lecomte et par celui de Henry.

Après ces attentats, c'est donc un devoir de rechercher de bonne foi s'il n'y a dans la situation de la France aucune cause qui, de près ou de loin, puisse entretenir le danger auquel le Roi a échappé. Pour nous, si une cause semblable existe, nous sommes convaincus qu'elle n'est pas de celles que la législation peut atteindre. Personne ne saurait avoir la pensée de rien ajouter aux lois de septembre. La presse commet bien des fautes et bien des injustices; on peut reprocher à sa polémique beaucoup de violence; mais il faut le reconnaître, elle ne dépasse guère les barrières que la légalité lui a posées; mais cela suffitil? Si les partis condamnent avec horreur ces tentatives criminelles, s'ensuit-il qu'ils ne puissent pas commettre les plus graves imprudences? N'est-il pas permis de rechercher s'il ne sort d'un attentat contre le Roi aucun avertissement, aucune leçon de conduite?

Malheureusement, il ne faut pas all er bien loin pour trouver dans les actes récents de l'opposition le motif d'une semblable leçon. A Dieu ne plaise que nous dénaturions le caractère d'une coïncidence malheureuse! A Dieu ne plaise que nous cherchions dans cette coïncidence des armes odieuses contre les chefs de l'opposition! A Dieu ne plaise que nous rapprochions des deux derniers attentats des paroles légères échappées à M. Thiers dans une improvisation animée! Lors de l'attentat de Lecomte, nous nous sommes fortement prononcés dans cette Revue contre les insinuations imprudentes du Journal des Débats. Lorsqu'un péril violent menace la personne royale, c'est une pensée toute différente qui nous anime à l'égard de M. Thiers; et nous voyons alors en lui an des hommes qui ont le plus énergiquement et le plus courageusement défendu la dynastie. Nous repoussons donc même la pensée d'établir un rapprochement quelconque entre le discours de M. Thiers sur les empiétements de la Couronne et les derniers attentats.

Mais nous croyons que ces crimes doivent faire réfléchir M. Thiers et ses amis sur la tactique qu'ils suivent et le langage qu'ils tiennent. M. Thiers et ses amis prétendent que leur théorie sur le rôle de la Couronne et l'application qu'ils en font à la situation présente sont les seules garanties de l'inviolabilité royale. On peut discuter la théorie de M. Thiers, on peut contester la manière dont il veut l'appliquer aux relations actuelles de la Couronne, du ministère et du Parlement; mais, sans entrer aujourd'hui dans ce débat, nous dirons seulement que nous ne pensons pas que ce soit le moment de le continuer.

Si les amis de M. Thiers écrivent que, sous le ministère actuel, la réalité du pouvoir est tout entière entre les mains du Roi; « qu'en définitive la responsabilité morale s'adresse là où est le pouvoir, » et que « la Royauté devient res

ponsable aux yeux du pays du mal comme du bien, » ils effacent de la Charte le principe de l'inviolabilité royale, puisque toutes ces accusations ont été portées contre la Royauté sous les précédents ministères de M. Thiers, et pourraient aussi bien être répétées si M. Thiers revenait au pouvoir. Or, est-ce le moment de se jouer ainsi de l'inviolabilité royale, lorsque les coups de feu de Lecomte et de Henry retentissent encore?

Le ministère français vient d'obtenir une forte majorité dans les élections qui ont eu lieu au commencement de ce mois. Les électeurs ont compris, et nous les en félicitons, que la vraie question qui pesait sur eux, qui devait déterminer leurs votes et augmenter la majorité conservatrice, n'était pas tant dans la réforme de quelques abus secondaires que dans la nécessité première et impérieuse de renvoyer à la Chambre un parti puissant, capable au besoin de conduire le Gouvernement à travers le danger d'une régence.

Les intérêts nouveaux, les événements prévus ou imprévus qui surviendront assigneront à la nouvelle législature son originalité, sa mission, son œuvre. Que les conservateurs entrent dans le champ si vaste des améliorations. Il y a des réformes qu'on a repoussées, parce qu'elles apparaissaient entre les mains de l'opposition comme des béliers avec lesquels elle s'efforçait de battre en brêche le pouvoir. Que les conservateurs songent maintenant à se les approprier dans ce qu'elles ont de pratique.

La solution de la question de l'enseignement, si vivement débattue depuis trois ans, est certainement réservée à la Chambre nouvelle. Et ce n'est certes point là une affaire médiocre : c'est une affaire qui pourrait suffire à l'œuvre d'une législature. Dans l'ordre des intérêts politiques et matériels, les questions ne manquerout pas. Qui ne place en première ligne, parmi ces questions, l'Algérie? Ne serait-il pas bientôt temps que les hommes d'État entreprissent quelque chose de grand, nous ne disons plus seulement pour la conquête, mais pour la colonisation de l'Algérie? La dernière législature a vu s'accomplir la conquête militaire; il faut que la prochaine législature, nous ne disons pas achève, mais commence au moins l'application d'un système d'occupation colonisatrice.

La durée même du ministère lui impose de nouveaux devoirs. S'il n'a plus à s'inquiéter des moyens de pourvoir à sa défense personnelle, il doit se consacrer exclusivement aux intérêts du pays. Il lui appartiendra d'honorer le Gouvernement en s'occupant du sort des classes laborieuses et pauvres.

Par des réformes matérielles, on peut arriver à d'importantes réformes morales. La réduction de certains impôts aurait pour conséquence de diminuer le prix des objets nécessaires à la subsistance du peuple. C'est le grand but qu'a poursuivi sir Robert Peel; c'est cette généreuse pensée qui a glorifié son administration.

Il vient pour ainsi dire d'y avoir une crise ministérielle de quinze jours en Angleterre. Il s'agissait de décider si lord John Russell emporterait la loi des sucres, comme sir Robert Peel avait emporté la loi des céréales. De même que l'appoint des Wighs était indispensable à sir Robert Peel, de même lord John Russell ne pouvait réussir sans le concours de sir Robert. Les deux rivaux ont

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