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affaire de cette nature. Les démonstrations faites en faveur d'une union douanière avec la France ont le même caractère d'imprudence. Supposé que cette union devienne possible et utile, on prend un assez mauvais moyen de la conclure de manière à équilibrer les concessions mutuelles en proclamant qu'elle est notre unique planche de salut, et que nous sommes hors d'état de refuser les conditions que la partie sollicitée voudrait y mettre.

Cette idée, au surplus, n'est pas seulement daugereuse : elle est complétement fausse.

Le déchirement de 1850, et plus que cela peut-être, l'état précaire dans lequel nous avons passé les premières années suivantes, ont jeté la perturbation dans la situation industrielle qui a dû se modifier: mais cette transformation est opérée, et le malaise qui se manifeste de temps en temps dans quelques branches a d'autres causes. La langueur de l'ancienne industrie linière est due au filage à la mécanique et aux procédés hostiles de Paris. Le royaume des Pays-Bas subsisterait encore que nous ne vendrions pas une aune de toile de plus. L'industrie cotonnière a d'abord beaucoup souffert de notre émancipation nationale, en perdant le marché de Java; mais elle a comblé ce vide et se trouve même en progrès, car elle produit plus que dans les années auxquelles elle rapportait sa prospérité. D'après les relevés cités par M. Dechamps, la moyenne annuelle de l'importation des cotons en laine était de 6,600,000 kilog. de 1826 à 1830. Elle est descendue à 4,400,000 kilog. de 1831 à 1835. De 1836 à 1840, elle remonte à son ancien taux et même le dépasse un peu : elle est de 6,700,000 kilog. Enfin de 1841 à 1845, elle monte à 7,353,000 kilog.

Le ministre ne donne pas le chiffre de l'exportation des tissus de coton avant 1856, mais il fait observer que la période de 1841 à 1845 offre sur celle de 1836 à 1840 un excédant moyen annuel de 34,000 kilog.

Le nombre des broches s'est élevé de 1841 à 1845 de 205,000 à 255,000, de sorte qu'il est revenu à peu de chose près à celui qui existait en 1829.

Il n'y avait à Gand, en 1829, que 800 looms, tandis qu'il y en a maintenant 4000, sans compter 700 Jacquarts établis depuis la révolution.

Les chiffres donnés par le ministre, nous prouvent qu'il en est de même ailleurs. Ainsi la production de la houille est doublée : elle était de 2,270,000 tonneaux en 1831, et elle atteint en 1845 la quotité de 5,280,000 tonneaux. Son exportation moyenne, qui n'était que de 734,000 tonnes de 1851 à 1835, s'élève maintenant à 1,208,000 tonnes.

<«< La fonte, continue M. Dechamps, qui, en 1839, ne valait que 7 à 8 francs, >> vaut aujourd'hui 13 à 14 francs. A Liége et à Charleroy..... la production » de nos hauts-fourneaux est vendue à l'étranger pour trois années. Quand je >> me suis rendu à Liége il y a quelques mois, le chef du bel établissement » de Seraing me parlait de la nécessité où il se trouvait d'élever un ou deux >> hauts-fourneaux de plus, afin de satisfaire aux nombreuses commandes que » l'Allemagne surtout lui faisait.

» Mais deux obstacles s'y opposèrent et le forcèrent de renoncer à ces com>> mandes la houille et les bras manquaient. »

L'industrie de la laine prend une large part au progrès. L'importation de

la matière première dont la moyenne annuelle était de 2,973,000 kilog. après 1831, s'élève maintenant à 4,066,000 kilog. L'exportation des tissus ne peut se comparer qu'entre les périodes de 1836-1840 et de 1841-1845, à cause des erreurs commises dans les relevés des années précédentes. Elle offre une augmentation annuelle de 137,000 kilog.

« La fabrication du zinc a pris d'immenses proportions depuis quelques >> années. L'industrie de la verrerie, la clouterie, la fabrication des armes ont » trouvé, par leurs progrès, le chemin des marchés étrangers et s'y main>> tiennent. »

Arrêtons-nous ici avec le ministre. Il serait facile d'étendre cette nomenclature, mais il n'est pas nécessaire de fouiller les volumineux documents de la statistique. Il suffit de rappeler ces chiffres qui constatent que (sauf l'industrie linière,) les branches de notre industrie qu'on représente comme ayant un absolu besoin de la réunion, sont en voie notable d'amélioration et de progrès. Il est au moins douteux, nous l'avons déjà dit, que le dangereux remède indiqué par les corps pétitionnaires de la West-Flandre soit longtemps efficace pour la fabrication de nos toiles. L'avenir seul nous apprendra si le filage à la main pent triompher de la crise qu'il subit. Le Gouvernement et beaucoup de citoyens généreux s'efforcent de l'aider dans cette tâche, et si leurs efforts sont couronnés de succès, ces produits trouveront des marchés, comme ceux de la laine et du fer. Si l'industrie à la main doit succomber devant l'industrie mécanique, l'union douanière ne la sauvera pas, puisqu'elle rencontrera sa rivale en France comme ailleurs.

En somme, l'industrie belge a fait, dans notre nouvel état social, et malgré la crise d'un bouleversement politique, des progrès remarquables auxquels notre esprit malheureusement dénigrant ne veut pas toujours rendre justice. Les crises, que nous essuyons de temps à autre, ne sont pas l'apanage exclusif de la petite Belgique. L'Allemagne, la France, l'Angleterre les connaissent autant et plus que nous. Ce n'est cependant pas au défaut de débouchés qu'il faut les attribuer. Leur cause est dans les progrès mêmes de l'industrie, qui ont rendu la puissance de production presqu'illimitée et dans l'imprudence des industriels qui oublient quelquefois que la consommation a des bornes.

Tels que nous sommes politiquement constitués, nous pouvons, quoi qu'on en dise, exister et prospérer par nous-mêmes. Il nous faudrait un peu plus de confiance dans nos ressources, et, dans les moments difficiles, un peu plus de patience et d'esprit national. Le Gouvernement aussi a sa tâche, et notre article du mois de février doit avoir prouvé que notre voix, pour être bienveillante, n'est pas adulatrice. Il a longtemps hésité et fléchi pour obtenir de fort médiocres résultats. Maintenant qu'il n'a plus l'inexpérience pour excuse, il doit prendre des moyens plus décisifs et montrer en affaires commerciales une politique plus ferme et basée sur des principes plus arrêtés et plus certains.

D. O.

LA BELGIQUE

DANS SES RAPPORTS AVEC LA FRANCE.

L

Un de nos collaborateurs habitant la France vient de publier l'article suivant sur les rapports de ce pays avec la Belgique. Ce travail se distingue par une saine appréciation des faits. L'auteur a su faire justice des nombreuses exagérations contenues dans la plupart des articles et des rapports qui ont paru sur cette question, d'une importance si majeure pour les deux pays.

LA RÉDACTION.

Le fait le plus saillant de l'histoire des peuples anciens, c'est la guerre. A côté de lui s'est développé au sein des vicilles sociétés, organisées pour et par la guerre, un second fait qui, aujourd'hui, tend évidemment à subordonner le premier, c'est l'élément industriel.

Plus nous cheminons dans les voies de la civilisation, plus l'esprit guerrier et conquérant s'efface de nos mœurs. L'intelligence des véritables destinées humaines a supplanté la force qui n'était que la négation brutale du rationnel et da juste. Bernardin de Saint-Pierre avait prédit qu'un jour les peuples, las de s'égorger pour des querelles futiles, se rapprocheraient insensiblement les uns des autres et confondraient leurs intérêts au lieu de les séparer. Cette fusion complète n'est pas venue, mais elle s'opère surtout en Europe, où la civilisation a jeté ses plus profondes racines. Or, l'Europe, foyer de tout ce qu'il y a de puissant dans le génie de l'homme, impose son ascendant à l'univers entier. La barbarie même se courbe sous ce joug qui n'est autre que celui d'une raison supérieure. Aussi voyez avec quelle active sollicitude les États européens veillent à ce que le repos du monde ne puisse être troublé par des infractions à

cette loi universelle que la société cherche à fonder comme base d'une nouvelle constitution. Il ne se tire pas un coup de canon dans le monde entre puissances rivales, que les Gouvernements européens n'accourent au bruit, offrent leur médiation, et ne désemparent que quand l'harmonie est rétablie.

Cette solidarité d'intérêts pacifiques est sans contredit le trait caractéristique de notre époque où tout se transforme et se modifie. C'est que les nations ont enfin compris qu'une ère nouvelle s'ouvrait pour l'humanité, et que la mission de l'homme était pacifique et non meurtrière. Mais on ne rompt pas aisément avec des traditions de six mille ans; la raison seule peut enchaîner à la longue les mauvais instincts, les passions violentes de notre nature. Cette haute raison, fruit de la liberté de penser et d'émettre ses idées, tend de jour en jour, à travers d'immenses obstacles, à devenir la loi suprême des peuples comme des Gouvernements. Jadis, la gloire et la puissance d'un État se mesuraient à ses conquêtes, à ses batailles sanglantes; qui savait le mieux tuer, le mieux dépouiller ses voisins, brûler, saccager les villes, promener la désolation et la misère dans les campagnes, était l'idole d'une admiration enthousiaste qui durait comme un éclair, tandis que les conséquences de ces guerres, souvent aussi désastreuses pour le vainqueur que pour le vaincu, s'attachaient, pendant de longues années, comme une lèpre aux flancs des peuples.

Aujourd'hui de pareilles calamités sont infiniment moins à redouter. Il est entré dans l'esprit des nations civilisées cette salutaire maxime que tous les intérêts peuvent diversement se croiser sans se combattre; que, pour en prévenir le choc, il ne s'agit que de les discipliner de manière à ce qu'ils s'appuient les uns sur les autres et se prêtent un mutuel secours.

Le génie de la guerre a fait place au génie créateur de l'industrie, qui s'est installé sur presque tous les points du globe. Une ardeur de progrès sans exemple a pénétré dans tous les esprits et s'est emparé de tous les peuples. Mais c'est dans l'ordre industriel et commercial surtout, que se manifestent aujourd'hui des phénomènes dont il n'est donné ni à la politique ni à la prévoyance humaine de calculer les effets. La reconstitution de l'unité allemande, sous la forme d'une union douanière; l'application de la vapeur à la navigation et aux chemins de fer; le traité anglo-chinois, qui met l'empire céleste, avec ses trois cents millions de consommateurs, en relation avec le monde européen; tels sont quelques-uns des faits mémorables dont nous sommes témoins, grâce au prodigieux développement qu'ont pris, depuis quarante ans, l'industrie et le commerce.

Partout se créent de nouveaux moyens de communication. Véhicules des idées et des choses, agents principaux du commerce et de l'industrie, les chemins de fer viennent étendre et multiplier les relations internationales. Les peuples se sentent attirés les uns vers les autres par des besoins communs et d'évidentes sympathies.

Si l'avenir qui nous est réservé doit établir, par convenance et par sympathie, des liens d'amitié entre nous et les autres nations, qui placerons-nous au premier rang, si ce n'est le peuple belge? La France et la Belgique sont deux royaumes frères par la langue, par les mœurs, par les usages, par des intérêts multiples et variés; deux royaumes qui viennent de se rapprocher

dans l'espace et dont les deux capitales se donnent la main; deux royaumes dont la richesse et l'avenir consistent principalement dans leur activité industrielle et dans l'expansion qu'elle peut trouver au-dehors.

Il ne sera pas sans intérêt de voir quel a été l'accroissement du mouvement commercial qui résulta pour la France et pour la Belgique du maintien de la paix depuis 1830. Les tableaux suivants nous montrent le développement du commerce, par marchandises, pendant les premières années qui ont suivi la révolution de juillet.

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(1) Commerce spécial, c'est-à-dire, qui ne comprend que nos échanges propres, les importations allant à notre consommation intérieure, et les exportations composées de produits et de marchandises provenant de notre sol et de notre industrie. Le commerce général, au contraire, comprend tout le mouvement, échanges propres, transit et réexportation.

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