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En mettant à part Saint-Pierre et le Pontife régnant, on compte, d'après les supputations ordinaires, deux cent cinquante-et-un Papes. Si nous cherchons la moyenne de la durée de chaque règne, nous obtenons sept années seulement, et si nous nous demandons quels sont les Pontifes qui ont régné le plus longtemps, nous trouvons que le plus long pontificat a été de vingt-quatre ans. Ainsi ce que l'on a dit avant nous, et beaucoup mieux que nous sur l'éternel vieillard qui siége au Vatican, rien n'est plus vrai, rien n'est plus juste que cette image. Il semble que ce soit comme une nécessité qui appelle à la direction des affaires religieuses certains hommes recommandés par le talent et la vertu, qui les appelle, dis-je, aux derniers moments de leur existence et sur les confins même de l'immortalité.

Il y a en Italie un proverbe qui dit des Papes: Non videbis annos Petri, tu ne règneras pas aussi longtemps que Pierre. Saint-Pierre siégea, comme on sait, pendant vingt-cinq ans. Nous exprimon l'espoir que ce proverbe ne se réalisera pas. Certains que le Pape Pie IX consacrera l'influence que lui donne sa haute position à maintenir la paix spirituelle du monde catholique et à donner aux États qui sont sous sa garde temporelle, les améliorations dont ils ont besoin, nous souhaitons sincèrement qu'il voie les années de Pierre, et que son règne se prolonge pour le bien de l'Église dont il est le chef, et pour celui des peuples dont il est le souverain. Ces sentiments d'ailleurs ne sont pas seulement les nôtres; ils ont été exprimés par la catholicité tout entière.

DES PÉTITIONS

EN FAVEUR DE L'UNION DOUANIÈRE AVEC LA FRANCE.

Nous nous sommes trop pressés de féliciter nos compatriotes au sujet de leur nouvelle circonspection, lorsque nous les avons vus s'abstenir de démonstrations imprudentes après les hostilités douanières du Gouvernement des Pays-Bas. (1) Les vieilles habitudes n'ont pas tardé à reprendre leur empire. La Meuse a formulé des pétitions dont l'unique résultat doit être de donner à l'étranger plus de confiance dans l'effet des mesures qu'il a prises à notre préjudice, et la Lys n'est pas restée en arrière quand il s'est agi du traité conclu avec la France. Plusieurs communes de la West-Flandre, suivant une impulsion qui partait, à ce que nous croyons savoir, non pas de Bruges, mais d'une localité plus méridionale de la province, ont mis le Gouvernement en demeure de négocier l'alliance douanière avec la France. Le conseil provincial a voté une adresse dans le même sens, et à peine deux ou trois voix se sont élevées dans son sein pour demander timidement si la gravité de cette question ne réclamait pas un examen plus approfondi.

Ce qui nous a le plus frappés, c'est la témérité, disons le mot, avec laquelle une question de la plus haute importance est tranchée en principe par des juges qui ne sont en position de l'examiner que sous un seul point de vue. Le ministre des affaires étrangères et du commerce, qui doit connaître, mieux que personne, les difficultés, les avantages et les inconvénients de cette réunion, la croit impossible pour le moment, et, tout en refusant d'engager l'avenir, il dit, en parlant de ces prévisions: « Si tant est qu'elles se réalisent jamais.» (2) Les membres des deux Chambres, qui ont obtenu, dans les comités secrets, des renseignements plus positifs sur l'état des choses, s'im

(1) De notre diplomatie, à propos du différend commercial avec la Hollande, tome 1er, 2e livraison, page 56.

(2) Annales parlementaires, séance de la Chambre des Représentants du 2 juillet 1846, page 1809.

posent, en général, beaucoup de réserve sur ce point. D'un autre côté, M. Guizot lui-même, parlant à la Chambre des Pairs de France de la réunion douanière, disait le 22 mars 1843: « .... Nous savons les obstacles attachés à » une pareille œuvre. Les difficultés extérieures, permettez-moi de le dire, sont les >> moindres. >>>

Il n'est pas nécessaire de pénétrer les secrets des cabinets: il suffit d'un peu de réflexion pour se convaincre que les difficultés sont grandes et que, chez nous, les moindres ne sont pas, comme en France, celles qui tiennent à la situation politique.

L'indépendance nationale et la neutralité sont les bases de notre existence, et nous devons les conserver intactes sous peine de nous rayer de nos propres mains de la liste des peuples. Or, jusqu'à quel point ces conditions essentielles demeureraient-elles sauves en cas d'union douanière avec une nation aussi prépondérante que la France? Nous ne nous préoccupons pas ici de l'idée que pourraient s'en faire les puissances garantes de notre nationalité : nous envisageons la chose au point de vue exclusivement belge. Un discours récent de M. Guizot contient un passage qui mérite d'être sérieusement médité. Ce ministre disait le 11 mai dernier à la Chambre des Députés :

<«< S'il arrivait que, par suite du traité prussien, il se fit des efforts persévé>> rants, assidus, avec une perspective de succès, pour attirer plus intimement, >> plus complétement la Belgique dans l'orbite de l'Allemagne, pour la rendre »> germanique, au lieu de la laisser indépendante et neutre; si cela arrivait, »> nous savons ce qu'il y aurait à faire; nous saurions nous y opposer; nous » n'y manquerions pas, et nous ne l'avons jamais laissé ignorer à la Belgique. >>> La Belgique sait très-bien que la condition de ses bons et intimes rapports » avec la France, c'est le maintien, le maintien réel, sérieux de son indépen>> dance; si cette neutralité devait cesser du côté du Rhin, nous ne le souffri>> rions pas. Et tenez pour certain que le même sentiment dont je parlais tout » à l'heure, le même désir, le même amour vif de cette nationalité naissante, » de cette indépendance naissante, de cette neutralité si difficile à maintenir, >> ce même sentiment qui domine la Belgique, quant à la question de l'union » douanière, la défendra également contre les envahissements et les empiéte» ments de l'Allemagne. »

Ce n'est pas d'une union douanière avec l'Allemagne que M. Guizot parle en ces termes: c'est d'une alliance rendue plus intime, plus complète. C'est une alliance moins étroite que celle à contracter avec la France au vœu des adversaires mêmes de l'union dans le conseil provincial de la Flandre occidentale, que M. Guizot juge incompatible avec le maintien réel et sérieux de notre indépendance et de notre neutralité, et contre laquelle il se montre rassuré par notre esprit national. A plus forte raison, une union douanière de la Belgique avec une puissance étrangère doit paraître une abdication de son indépendance au Gouvernement français; et s'il y donnait les mains dans son intérêt, nous savons à quoi nous en tenir sur le caractère assigné par nos voisins à un acte de cette nature.

Les avantages de cette réunion ne sont pas, à notre avis, aussi évidents que

les pétitionnaires le supposent. Sans aucun doute, l'industrie de la toile à la main y trouverait actuellement son compte, et ce n'est pas nous, habitants de la capitale de la Flandre, qui méconnaîtrons l'importance de cet intérêt : mais qui oserait répondre que nos fileuses et nos tisserands obtiendraient plus qu'un palliatif temporaire? La question de savoir si l'industrie à la main pourra soutenir la concurrence de l'industrie mécanique est encore à résoudre, et nos vœux ne suffiront pas pour la décider.

La perspective d'un vaste marché sourirait à notre industrie cotonnière, mais ce vaste marché ne serait pas exploité par elle seule. Elle se plaint déjà de l'insuffisance des droits qui la protégent contre la concurrence française. Que sera-ce quand elle lui aura livré le marché national contre la chance fort incertaine d'aller disputer au-dehors une clientèle tout établie? Il en est de même de l'industrie lainière et de plusieurs autres. Quelques grands établissements pourraient avoir à s'en louer, mais beaucoup d'industriels apprendraient à leurs dépens quelle est la puissance des grands capitaux, plus nombreux chez nos voisins que chez nous.

Au surplus, si quelques industries gagneraient à la réunion, il en est d'autres qui y perdraient. Nous n'en citerons qu'une seule comme exemple: celle des tabacs. Les discussions auxquelles a donné lieu la dernière loi d'impôt, nous a révélé l'importance des capitaux et le nombre de bras qu'emploie cette industrie dont on signerait l'arrêt de mort.

Quelles sont les industries qui peuvent désirer la réunion des douanes et jusqu'à quel point leurs espérances sont-elles raisonnablement fondées ? Quelles sont celles qui auraient à la redouter? En somme, l'intérêt belge, pris au point de vue général, demande-t-il cette réunion? Voilà des questions que les conseils des communes pétitionnaires et le conseil provincial de la Flandre occidentale n'ont pas même été en mesure d'examiner, mais qui doivent préoccuper le Gouvernement et les Chambres, dont la sollicitude, acquise à tous les intérêts du pays, ne peut favoriser exclusivement les uns par le sacrifice des autres.

En supposant que, toutes choses compensées, la situation industrielle prise dans son ensemble, admette la réunion, les inconvénients qui s'y rattachent ne méritent-ils pas une sérieuse considération? Admettons, contre l'opinion de M. Guizot lui-même, que notre position politique n'en soit pas affectée, mais il reste à sauver (le ministre des affaires étrangères l'a fait observer avec beaucoup de justesse,) notre indépendance législative, administrative et judiciaire.

<«< Dans l'union allemande, disait M. Dechamps, où cependant les petits » États peuvent toujours se coaliser pour empêcher la prépondérance trop » marquée des grands États, beaucoup de précautions ont été prises pour que » l'indépendance politique de chacun restât entière; la voix du duché de » Hesse a autant de force et de poids que celle de la Prusse et l'unanimité » est exigée pour les décisions qui concernent l'association. Ces conditions » d'indépendance seraient plus nécessaires encore pour la Belgique, qui ne >> fait pas partie, comme les États du Zollverein, d'une confédération politique. » Ces conditions, les obtiendrions-nous? C'est une question que nous faisons

à tous ceux qui connaissent les habitudes françaises. Et d'abord, rien que pour arrêter le tarif primordial, nous devrions commencer par accepter toutes les stipulations qui auraient pour but de satisfaire les intérêts français, nous fussent-elles désavantageuses; et nous aurions bien du mal à obtenir que la France s'imposât pour nous quelque sacrifice. Ce contrat nous rappellerait, sans aucun doute, celui fait avec le Lion. Puis, un tarif, tel quel, une fois décrété, croit-on que la France nous accorde en droit ou nous laisse en fait cette indépendance que les États allemands se sont réservée? La Hollande sous Louis Buonaparte, les nations transrhénanes et toutes celles qui ont été entraînées dans l'orbite de la France, peuvent nous apprendre que sire Lion aime beaucoup la prépondérance.

D'ailleurs, quelles que soient les concessions qui pourraient nous être faites dans le principe, peut-être pour nous dorer la pilule, il est bon d'interroger aussi l'avenir et d'examiner jusqu'à quel point il peut être prudent de l'engager. La réunion douanière peut cesser un jour de nous convenir, soit à raison d'une situation commerciale ou industrielle modifiée, soit à raison des exigences de notre sociétaire, et elle ne constituerait pas un contrat que nous pussions, en fait, si bien en droit, rompre à volonté. Quand nous nous serons, commercialement et industriellement parlant, francisés; quand nous nous serons donné la France pour marché à peu près unique, serons-nous en mesure de rompre l'union? Et la simple menace d'une rupture ne serait-elle pas, à Paris, un argument irrésistible pour nous faire subir sans réplique toutes les lois qu'on voudrait nous dicter?

Beaucoup resterait à dire sur cette immense question qu'à peine nous avons effleurée, mais notre intention n'est pas d'écrire un traité. Nous n'avons pas cherché à l'approfondir, dépourvue qu'elle est d'actualité: nous avons seulement voulu faire sentir qu'elle a été résolue beaucoup trop légèrement par des corps dont nous ne contestons pas les lumières, mais qui ne l'ont envisagée que dans un seul intérêt.

La prétendue nécessité de l'union douanière se fonde sur cette idée que Ja Belgique manque de débouchés depuis sa séparation de la Hollande, et que notre industrie se trouve réduite aux abois. Notre situation serait plus mauvaise qu'elle ne l'est en effet, que les règles les plus élémentaires de la prudence devraient défendre de la révéler, et surtout de l'exagérer aux yeux de l'étranger. Comment veut-on parvenir à traiter sur un pied de réciprocité, quand on commence par se représenter comme obligé d'acheter à tout prix sa propre existence? Les imprudentes pétitions venues de Liége n'ont rien pu apprendre à notre Gouvernement sur l'effet des mesures prises en Hollande par l'arrêté du 5 janvier; mais elles ont dû, plus ou moins, faire croire à celui des Pays-Bas qu'il avait trouvé un moyen efficace de nous réduire à ses volontés. Elles ont dû l'encourager et restreindre en même temps la liberté d'action de nos négociateurs, et, peut-être, ont-elles contribué à retarder la conclusion du traité. La conduite des Hollandais a été bien plus sage. Leurs intérêts ont été, sans aucun doute, affectés par les représailles belges, mais là, nulle démonstration intempestive n'a eu lieu: on s'est confié au zèle et à la prudence du Gouvernement, seul capable de traiter convenablement une

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