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motifs de cette coutume sont que le poulain ne se nourrissant, pendant les trois ou quatre premiers mois, que du lait de la jument, il importe peu que, durant cette période, les prairies soient couvertes d'une herbe dont il ne profiterait pas; que des précautions faciles peuvent le garantir contre les effets pernicieux du froid; que lorsqu'il est parvenu à l'âge où un changement de nourriture lui est nécessaire, il trouve dans des herbes nouvellement poussées, une diète plus substantielle, et en même temps plus appropriée à la faiblesse de ses organes; que cette diète, partagée par la nourrice, rend au lait qu'elle donne à l'élève une qualité qu'il commençait à perdre ; que la jument souffre d'autant moins de l'allaitement, que le poulain n'est pas dans la nécessité de lui demander la totalité de sa subsistance, et que la nourriture qu'elle prend est plus réparatrice. Ces considérations, basées sur le raisonnement, sont confirmées par les plus heureux résultats, et elles reçoivent une application

constante.

On n'attend pas, pour employer les chevaux, qu'ils aient atteint l'âge où leur force est complétement développée. Ceux surtout destinés à la course sont soumis, dès l'âge de dix-huit mois, à un exercice violent et fréquemment répété. La diète à laquelle ils sont assujettis, est calculée de manière à renfermer beaucoup de parties nutritives sous le plus petit volume possible, afin de prévenir le développement de l'abdomen et l'empâtement du système musculaire. Le gruau, le biscuit, l'avoine, les fèves de marais, font, avec une très-petite quantité de paille et de foin hachée et mélangée, le fond de leur nourriture.

Les chevaux de chasse sont entretenus de la même manière; mais leur régime admet une plus grande quantité d'aliments. On évite soigneusement de les laisser boire avant leur sortie de l'écurie.

La nourriture des chevaux appliqués à d'autres genres de service, varie suivant le plus ou moins d'accélération de la marche à laquelle ils doivent fournir. Mais quelle que soit la nature de leur travail, on réduit le plus possible la quantité d'eau livrée à leur consommation.

Afin de ne pas encombrer l'estomac des animaux au moment où ils vont travailler, on les prive de toute nourriture une heure au moins avant le départ. En route, on se borne à leur donner pendant la halte une poignée de foin mouillé. Puis on leur présente un scau plein d'eau, et au lieu de leur permettre de boire, on l'élève de manière à humecter la tête jusqu'aux yeux. Lorsque la chaleur est grande et que les routes sont couvertes de poussière, on éponge soigneusement les narines et les jambes.

Les chevaux sont entretenus dans un état d'exercice journalier. Chaque matin, après le pansement, ils sont promenés, à diverses allures, pendant une heure environ. Lorsqu'ils stationnent, au lieu de les laisser en place, on les fait marcher lentement aux environs de l'endroit où ils doivent rester.

Les pansements répétés auxquels ces animaux sont soumis, les soins minutieux qui leur sont donnés, ne paraissent pas contribuer à l'accroissement de leur vigueur ou de leur santé. Avec moins de peines, avec des dépenses beaucoup moindres, les chevaux des autres pays rendent d'aussi bons services (exception faite de la considération de la vitesse), sont aussi bien entretenus,

et ont en général une plus grande longévité. On peut se dispenser d'imiter, dans leurs inutiles et fatigants détails, les procédés usités dans les écuries anglaises.

Les Anglais ont le très-grand talent d'appliquer les chevaux à tous les usages, sans s'embarrasser si la nature les a créés pour cet usage. Ils attèlent les ponies les moins élevés, et ils ne se font pas une affaire de monter les plus lourds chevaux de carrosse. Le hunter, sur lequel ils ont pris la veille un renard, leur fait parcourir le lendemain quarante milles en tilbury; et telle est la perfection de leur race, que les chevaux ne sont jamais impropres au genre de service que l'on en exige, quelles que soient d'ailleurs leurs formes et leurs habitudes.

Le travail qui leur est demandé, est presque toujours forcé quant à la vitesse. Un exercice constamment entretenu le dispose à le supporter; mais il ne prévient pas les infirmités précoces qui, bornant leur vigueur à un petit nombre d'années, les fait rapidement passer de l'écurie d'un grand seigneur où ils ont été successivement employés à la selle et au harnais, dans celle d'un entrepreneur de diligences, d'où ils sortent pour aller péniblement terminer leur courte carrière dans l'humble meu d'un cocher de fiacre.

Si les chevaux anglais font, dans certaines occasions, plus que ceux des autres pays, c'est non parce qu'ils sont plus vigoureux, mais parce qu'on leur fait suivre un régime mieux entendu, et qu'on craint moins de les épuiser.

Ainsi que je l'ai dit, dès l'âge de dix-huit mois, les chevaux de course sont soumis à un exercice violent. Un grand nombre succombent; les autres ne conservent leurs forces que pendant très-peu d'années.

Le pays de Galles, qui n'a pas une existence politique distincte de celle de l'Angleterre, a conservé néanmoins son caractère original. On a traité les Gallois comme des Anglais, et ils sont tout autre chose; leur état légal ne répond pas à leur état réel. Les Irlandais se plaignent, et ont le droit de se plaindre de ce que, en les faisant entrer dans l'union britannique, on ne les a pas admis sur le pied d'une complète égalité. Les Gallois pourraient articuler la plainte contraire, car ils souffrent principalement de l'assimilation que l'Angleterre a tenté d'établir.

Jusqu'aux premières années du XVIIe siècle, la coutume du pays de Galles admettait le partage égal des héritages, qui avait amené une extrême division dans la propriété. La petite propriété convient à cette contrée semée de montagnes, sillonnée par les rivières et les torrents, et où de vastes espaces stériles séparent les terrains cultivés. Elle n'est pas moins en rapport avec la rareté des capitaux et avec la médiocrité des fortunes. Il a donc fallu faire violence aux mœurs des Gallois pour introduire dans leurs usages le droit d'aînesse, cette loi aristocratique de l'Angleterre, et pour accumuler par suite les terres dans un petit nombre de mains; mais quand il ne leur a plus été permis de posséder en qualité de propriétaires, ils ont cherché du moins à occuper le sol comme fermiers. De là vient qu'au rebours de l'Angleterre, où un fermier exploite souvent jusqu'à 2,000 acres, le pays de Galles est divisé en une multitude de petites fermes qui n'ont pas quelquefois plus de 25 acres d'étendue. De là aussi le prix élevé de la rente qui paie le sol, la concurrence faisant monter le

taux du fermage bien au-dessus du bénéfice que le cultivateur peut légitimement espérer.

Le sol est généralement mauvais dans le pays de Galles, il ne produit que de l'avoine et de l'orge. Cultivé d'ailleurs comme il l'est, presque sans engrais et avec une charrue qui gråtte plutôt qu'elle ne laboure, au lieu de s'améliorer, il s'appauvrit tous les ans. On cite des endroits où les fermiers ont récolté des céréales quatorze années de suite, au risque de rendre la terre absolument rebelle à toute espèce de production. Comment en pourrait-il être autrement? Le propriétaire afferme ses domaines à l'enchère et sans bail: le cultivateur qui promet le fermage le plus élevé est mis aussitôt en possession; mais on ne lui donne aucune garantie, et comme on peut toujours l'évincer en l'avertissant six mois à l'avance, il n'a garde de risquer son argent, s'il en a, dans des améliorations dont un autre serait peut-être appelé à recueillir le fruit. Il cultive donc, non pas comme un fermier, mais comme un manœuvre, travaillant rudement et vivant de peu, versant abondamment sur les champs la sueur de son front, mais n'y apportant rien de plus.

Dans une contrée où la terre ne rend que des produits médiocres, et où tout le bénéfice est absorbé par le propriétaire, la misère doit être commune. Pour trouver à vivre, les petits fermiers sont obligés de voiturer des charbons ou de la chaux, et de louer leurs services en qualité de journaliers. Leur nourriture est grossière et à peine suffisante du pain d'orge, de la bouillie d'avoine, du fromage, du lait, et rarement du porc. Les chaumières, blanchies à la chaux, paraissent généralement salubres, en dépit de leurs dimensions étroites; mais on en visite souvent plusieurs sans y apercevoir un morceau de pain, et bien des fermiers n'envoient pas leurs enfants à l'école, faute de vêtements décents pour les couvrir. Que dire des huttes qu'habitent les simples journaliers? « J'entrai, écrit un rédacteur du Times, dans des chaumières le long de la route, afin de me rendre compte de la condition du peuple: elles sont construites en terre, le sol en est fangeux et plein de trous. On n'y voit ni chaises ni tables; elles sont à moitié remplies de mottes de tourbe empilées dans tous les coins. Il n'y a pas d'autre ameublement qu'un mauvais bois de lit et une marmite; point de lit, un peu de paille en tient lieu, et pour couvertures ils ont des haillons. Un feu de tourbe remplit la chaumière de fumée, et attire les enfants qui viennent s'accroupir autour de l'àtre. Toutes les chaumières se ressemblent; je n'ai vu, dans aucune partie de l'Angleterre, une aussi abjecte pauvreté. » (1)

Les journaliers ne reçoivent pour salaire que 9 à 10 pence (92 c. à 1 fr. 3 c.) par jour en été, et 6 pence (61 c.) en hiver; mais ils ont du moins la faculté de quitter le travail des champs pour celui des mines, qui est florissant dans le pays de Galles, et que fécondent les capitaux de l'Angleterre. Les fermiers au contraire, espèces d'immeubles par destination, ne peuvent pas émigrer, ni chercher fortune dans une autre industrie. C'est la classe la plus à plaindre, car les charges dont le capitaliste prend ailleurs sa part pèsent ici uniquement

(1) Revue des Deux Mondes. Juillet 1845.

sur le travail; et le fermier du pays de Galles, de déchéance en déchéance, en est venu à n'avoir pas d'autre capital que la vigueur de ses bras. Ainsi, les grands vivent littéralement de la ruine des petits; chaque année de fermage coûte au fermier une faillite. Une classe moyenne ne peut pas se former dans Jes campagnes, car, à chaque effort que fait le pauvre pour s'élever, il retombe bientôt au-dessous du point d'où il était parti. Cet éternel servage des Gallois a ému les commissaires du Gouvernement, qui, n'osant pas invoquer l'intervention de la loi, en appellent du moins à la prévoyance et à l'humanité des propriétaires fonciers.

P.-B.-A. LINGMER.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

Le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne, par M. l'abbé JACQUES BALMÈS. Louvain, chez C.-J. Fonteyn, 1846, tomes II et III.

La Revue de la Flandre a déjà parlé de cet excellent ouvrage, alors que le premier volume venait de paraître. Aujourd'hui que l'œuvre complète est entre nos mains, nous avons à féliciter de nouveau l'éditeur de la Bibliothèque historique du choix judicieux des livres qu'il distribue à ses nombreux abonnés. Le travail de M. l'abbé Balmès est aussi remarquable par la profondeur des vues que l'auteur a émises sur les questions sociales que par la discussion remarquable des faits. Loin d'altérer ou de dénaturer les actes qui pouvaient contrarier son système, l'auteur les a mis en relief; il a dit les eauses qui les avaient produits, sans dissimuler la part que des abus venus de longue main avaient eue dans leur origine.

La pensée dominante de l'ouvrage est celle-ci : « Avant le Protestantisme, la civilisation européenne avait déjà pris tout le développement qu'il lui était possible de prendre; le Protestantisme faussa le cours de la civilisation et apporta des maux immenses aux sociétés modernes; les progrès qui se sont réalisés depuis le Protestantisme n'ont pas été obtenus par lui, mais malgré lui. » Voilà l'idée qui a constamment guidé l'auteur; à ceux qui la trouveront, au premier abord, un peu hasardée, nous dirons de lire le travail de M. Balmès: la franchise et le fondement de sa discussion les rallieront à lui. Ce qui a déterminé l'auteur à établir une comparaison entre le Catholicisme et le Protestantisme dans leurs rapports avec la civilisation européenne, c'est la crainte de voir s'introduire en Espagne, sa patrie, le schisme religieux; c'est encore le spectacle des efforts qui se faisaient pour inculquer à ses compatriotes les erreurs protestantes; c'est, enfin, la lecture de certains écrits, où l'on établissait que la fausse réforme avait été favorable au progrès des nations.

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