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Le gouvernement prussien se réveilla et commença à regretter sa tolérance. A la peur qu'inspirait le Communisme, venaient se joindre chaque jour des symptômes inquiétants; les dissidents n'avaient pu établir une paroisse à Berlin; ils y étaient venus après le concile de Leipzig, mais ils avaient attiré plus de curieux que de prosélytes. De hautes protections pourtant ne leur avaient pas manqué; plusieurs professeurs de l'Université voulurent entraîner un des vicaires de la paroisse catholique dans la révolte de Ronge et de Czerski et lui offrirent la direction de l'Église nouvelle à Berlin. Des noms justement célèbres, M. De Raumer et M. Ranke, avaient signé cette incroyable lettre. Le digne prêtre répondit qu'il trouvait la proposition abominable, et qu'il la déclarerait telle en chaire; c'est ce qu'il fit le dimanche suivant.

C'est le 30 avril que fut signé en conseil le premier arrêté sérieux concernant l'Église catholique allemande. Le nouveau culte n'était pas reconnu; ses ministres, par conséquent, n'avaient aucune puissance temporelle, et le droit de tenir des registres d'état civil leur était formellement dénié; les dissidents, sur ce point, étaient renvoyés à l'Église protestante; tous les actes civils devaient leur être délivrés par les ministres du culte évangélique.

L'émeute de Posen changea les dispositions du Roi, et le rendit plus favorable aux novateurs; mais il leur devint de nouveau plus hostile après les événements de Leipzig. Ici l'on put voir clairement l'alliance, consentie ou non, qui existe entre les dissidents et les partis politiques. Ce n'est ni Czerski ni Ronge qui sont en cause dans l'affaire de Leipzig, ce sont les Amis des Lumières. Le Roi de Prusse est allé à Munich au mois d'août, il a assisté aux réunions de Stolzenfels. Quelle a été l'influence du Roi Louis et du prince de Metternich sur l'esprit de Frédéric-Guillaume? Cela est difficile à dire. Avec l'esprit vif, inquiet, fantasque du Roi de Prusse, on ne saurait être sûr de rien. Ce qui est certain, c'est que les Amis des Lumières attirent toute l'attention des gouvernants. Les nouveaux catholiques, infatués de leur célébrité d'un jour, sont maintenant oubliés; il n'est plus question d'eux. Ronge est allé récemment à Stuttgardt pour y présider un concile : quel concile! quelle misère! Ronge et Czerski n'ont été que ridicules, mais ils sont devenus un instrument redoutable aux mains des partis. Les nouveaux catholiques pourront être défendus ici, tolérés là. Peu importe ce qu'ils feront, leur œuvre est finie; ils n'auront servi qu'à frayer la route, sans le savoir, au parti redoutable qui maintenant occupe toute la scène. Nous avions cru qu'il s'agissait d'un schisme au sein du Catholicisme, et nous ne rencontrons que la discorde des Églises protestantes, une guerre ouverte entre la conscience religieuse et l'Église officielle.

Cependant les Catholiques ont aussi pris part à la lutte. Gorres a publié un ouvrage, tout au commencement du combat. C'est le premier document à consulter.

Staudenmaier, professeur à l'Université catholique de Fribourg en Brisgau, a établi fortement ce que c'est que le Catholicisme; c'est le titre même de sa publication, l'Essence de l'Église catholique (Das Wesen der catholischen Kirche). Il rétablit avec netteté le caractère de sa religion, obscurci par tant de con troverses, et dont le nom a été usurpé par la secte nouvelle; il montre ce grand édifice avec sa discipline, sa hiérarchie, sa constitution puissante, et n'a pas de

peine à prouver que Ronge s'attribue un titre qui ne lui appartient pas. Le Catholicisme a encore trouvé en Allemagne plusieurs autres apologistes pleins d'élévation et de tolérance; mais après tout, le Catholicisme n'était intéressé que d'une manière assez faible dans le mouvement des novateurs. Sans doute quelques esprits faibles et chancelants se sont laissé entrainer par le torrent, mais déjà la plupart reviennent sur leurs pas. Le Catholicisme n'a rien à craindre de cette lutte. Il a victorieusement subi de plus terribles assauts à des époques plus critiques. Quand même il n'aurait d'autres motifs de confiance que des motifs humains, il pourrait encore regarder l'avenir avec une sérénité triomphante; il n'aurait qu'à comparer les grands esprits qui, en ce siècle, l'ont honoré de leurs hommages, aux petits agitateurs qui s'essaient en ce moment à soulever contre lui le vent et la poussière de leurs paroles.

Les attaques formulées de nos jours contre l'Église ne sont dans leur tendance générale que la répétition fatigante de la même accusation: l'Église est morte; depuis le moyen-âge, elle a perdu l'esprit de vie; elle ne fait plus d'œuvres vivantes; elle est en contradiction avec l'esprit nouveau, etc. Sur les points particuliers, les reproches adressés à l'Église finissent par devenir bouffons, à force d'être maladroits et bizarres.

Ainsi, par exemple, on reprochera sérieusement au Pape de n'avoir pas délivré Napoléon de la captivité de Sainte-Hélène, d'avoir laissé mourir Jeanned'Arc; ainsi encore une des choses que M. Quinet reproche le plus longuement au Catholicisme, une chose qui montre bien, suivant lui, que la vie échappe à cette religion, c'est que l'Église n'a jamais pu découvrir le nom de l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ (1).

Le Catholicisme, en donnant au problème de la destinée humaine la solution dont il est susceptible, demande à l'homme le sacrifice des jouissances de cette vie pour prix d'un bonheur éternel au-delà de la mort. Il règle, il détermine, il dirige toute la vie présente, l'œil sans cesse fixé sur la vie future. Cette soif de bonheur qui est le commencement, le milieu et la fin de la vie humaine, il ne promet de l'apaiser qu'au-delà de la mort, et c'est des sacrifices, des renoncements que nous aurons imposés à cette soif de bonheur, qui voudrait se désaltérer dès cette vie, qu'il compose, qu'il alimente, qu'il enrichit les inépuisables trésors du bonheur qui ne doit pas finir. L'esprit humain sait que le monde actuel et la vie présente ne suffisent point pour remplir la pensée et le cœur de l'homme, mais la moitié de notre nature n'y veut pas croire, et nous presse d'agir comme si nous ne le savions pas : elle a besoin du bonheur sur cette terre, elle en voit des apparences, elle veut épuiser et tordre ces apparences, pour en exprimer une réalité. De là l'hostilité invétérée, indestructible, que le Catholicisme rencontre sur la terre; de là, cette répugnance à accepter ses promesses, ce refus de croire à ses dogmes qui surpassent notre raison, de subir sa loi morale qui refoule nos aspirations les plus impatientes. C'est cette tendance de la nature humaine à chercher le bonheur sur la terre qui se montre dans toutes les tentatives des novateurs. Ils flattent, en l'irritant, chez les masses, le ressentiment des souf

(1) Voyez Revue nouvelle. Cours de M. Quinet, par M. Forcade.

frances matérielles que leur condition leur impose; ils accusent de ces maux la constitution de la société; ils ajournent, par de menteuses promesses, la guérison de ces douleurs au moment de la réalisation des utopies socialistes; ils annoncent aux classes pauvres la possibilité du bonheur sur la terre et font flotter devant elles le mirage d'un paradis terrestre. C'est là la tactique employée par Ronge et par Czerski en Silésie, où l'affreuse détresse du pauvre peuple préparait assez les voies aux menées des agitateurs. Considérez les socialistes français: l'un voit dans Jésus-Christ l'ancêtre direct de la Révolution française et fait de Robespierre le réalisateur de l'Évangile. Écoutez M. Quinet, il vous présentera la déclaration des Droits de l'Homme comme le complément du symbole de Nicée, et il vous dira que « toute la France a communié le jour du serment du Jeu de Paume. >>

Telle est, de nos jours, la forme nécessaire des hostilités qui s'élèveront contre le Christianisme et contre le Catholicisme en particulier, de celles au moins qui sont appelées à faire le plus de bruit, à avoir le plus de succès, parce qu'elles flattent les passions, les illusions du grand nombre. Par leur double caractère, elles menacent à la fois et les lois conservatrices de la société et les principes conservateurs de la morale religieuse. Nous n'avons pas la moindre inquiétude sur l'issue de la lutte le Christianisme saura vaincre, la société

saura se conserver.

B.

เว

PORTRAITS LITTÉRAIRES.

PIERO MARONCELLI.

I.

Maroncelli n'est pas seulement un poète et un musicien, c'est encore un penseur droit et sévère. Il a écrit peu de chose, mais le peu qu'il a écrit suffit pour nous permettre de le juger. Comme tous les hommes du même temps, il a ouvert les yeux pour assister, jeune encore, au spectacle de toutes les extrémités humaines, qui s'est déroulé pendant vingt ans.

L'Empire, dans sa chute, avait entraîné toutes ces fragiles puissances, ces proconsulats auxquels Napoléon avait soumis l'Italie. La face de l'Europe était changée, rien ne restait plus de ces royaumes feudataires que l'Empereur avait crus durables dans l'illusion de sa gloire. L'Autriche avait ressaisi le sceptre de la Péninsule.

La rénovation littéraire se dessina bientôt avec un remarquable ensemble; quelques années s'étaient à peine écoulées, et déjà d'énergiques poètes se produisaient avec éclat, Manzoni, Berchet, Silvio Pellico, Grossi. Ils levaient un drapeau nouveau, en face des doctrines anciennes. Manzoni tentait la réforme du drame, Berchet donnait de beaux exemples de poésie lyrique, Grossi travaillait à créer le poème historique par les Lombards à la première croisade; vis-à-vis de la Bibliothèque de Milan, de l'Arcadico de Rome, se dessinait le Conciliateur, qui était comme l'avant-garde de la révolution poétique; Niccolini écrivait son morceau de l'Influence des arts sur la vie sociale. Les arts ne sont plus considérés comme un objet de frivole amusement, comme un passe-temps aimable, on ne les sépare plus de la vie sociale; on veut qu'ils soient l'expres

sion de nos sentiments, de nos pensées, et qu'ils travaillent aussi à élever nos âmes, à nous encourager dans les luttes publiques, et pour cela il faut que les arts aient le premier bien qui les puisse faire vivre, la liberté.

Maroncelli fut mêlé d'une manière active au mouvement général. Les événements politiques agirent puissamment sur sa jeune âme; ils lui montrèrent son pays morcelé, déchiré, livré à toutes les ambitions, passant d'une servitude à l'autre, et possédant, malgré tout, d'indestructibles éléments de vie; ainsi, par cette éducation lente, silencieuse d'abord, qui fait la virilité de l'esprit en le provoquant à la méditation, ils accoutumèrent cette pensée, toute préoccupée d'art, à rattacher les choses intellectuelles au développement de la société; ils firent naître dans son cœur un amour élevé pour l'indépendance italienne, un sentiment de patriotisme généreux et ferme qui devint bientôt chez lui une conviction profonde.

Séparé du monde, à l'âge de 25 ans, il souffre pendant dix ans des maux inouïs. Cependant, vous ne trouvez en lui ni découragement ni amertume, son àme est sans cesse ranimée et rafraîchie par une force intérieure, par une résignation sans bornes. Le démon du désespoir n'ose affronter le voisinage de cette àme qui eût sympathisé avec celle du Dante. Que faut-il en effet à l'àme pour échapper à l'épuisement? Il faut qu'elle espère, il faut qu'elle ait de l'avenir. L'espérance, c'est à dire, la foi en l'avenir, est la nourriture de l'àme. L'homme pour vivre a besoin d'avenir; sinon, il se désespère et meurt. Or, l'âme de Maroncelli, pendant ces dix années de souffrances, est pleine d'avenir, de cet avenir que nous révèle le Christianisme, que nous inspire la confiance en la justice divine. Voilà où se trouve la force du Dante, de Silvio, de Maroncelli, de Manzoni. Maroncelli n'a aucune prétention au stoïcisme, il ne prétend pas étaler au grand jour une force factice. Il se laisse, au contraire, aller à une tristesse profonde, à une mélancolie pleine de charmes et de poésie, mais il est toujours résigné et indulgent. Si Dieu a fait le cœur de l'homme capable de tristesse, est-ce un mal que la tristesse? Évidemment non. Le Christianisme ne condamne pas les sentiments qu'il trouve dans l'âme humaine; il ne veut pas les supprimer, il ne veut que les régler. Créée par Dieu, la tristesse aussi est bonne; il faut seulement savoir l'employer. « Dieu a mis la tristesse dans le cœur de l'homme, a dit St-Jean Chrysostome, non pour l'employer mal à propos, et contre nous-mêmes, mais pour nous servir et nous aider. »

S'il ne s'agissait pas ici d'un événement réel, on n'aurait pas de peine à trouver bien des ressemblances entre le caractère de Maroncelli et celui du Philoctete de Sophocle. Voyez Philoctète : Il regrette son père, sa patrie et les douces rives du Sperchius, il pleure la mort d'Achille et d'Ajax, et Néoptolème s'étonne que Philoctète ait encore des larmes pour le malheur d'autrui. Il en est de même de Maroncelli. Il regrette les douces brises qui passent sur l'Italie, il invoque le retour d'avril et de mai, toutes ses pensées sont pour ses parents, pour ses amis, il pleure la mort de ses compagnons d'infortune, il compose des vers pour consoler Silvio. Quand Philoctète quitte sa caverne et son ile, si longtemps témoins de ses douleurs, il ne les quitte pas avec haine, avec impatience; non, il dit adieu aux rochers qui l'ont abrité, aux fontaines qui l'ont désaltéré, à cette mer dont les vagues venaient frémir au pied de

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