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Nous ne nous arrêterons pas à la discussion de l'Adresse; la Revue consacre aujourd'hui un article spécial à cette discussion.

M. De Lamartine a proposé et développé un amendement sur la question d'Orient, et spécialement sur la question de Syrie. Un pareil amendement avait déjà été développé à la Chambre des Pairs par M. De Montalembert. M. Guizot a répondu qu'une négociation active était établie pour l'établissement en Syrie d'une organisation pacifique et chrétienne dans la personne d'un des membres de la famille Chaab. M. le ministre a ajouté que toutes les chances étaient favorables au succès de cette négociation. Nous félicitons M. Guizot d'avoir compris la nécessité de s'occuper sérieusement de l'Orient. Quel spectacle que celui de la Syrie depuis 1840! Que de sang répandu, que de villages brûlés et détruits, que de populations anéanties! Et tout cela à la face de l'Europe chrétienne!

On sait qu'un membre du Divan de Constantinople, Chekib, ministre des affaires étrangères, a été envoyé dans le Liban. Il devait réprimer les excès, il devait punir le meurtrier du père Charles, supérieur du couvent d'Abbey, près de Beyrouth; il devait pacifier les Druses et les Maronites. Voici ce qu'a fait Chekib: il a laissé impuni le meurtrier du père Charles, et il a désarmé les Montagnards du Liban, qui se sont trouvés livrés sans défense aux brutalités de la soldatesque turque.

Le désarmement des populations est une bonne mesure de pacification, quand il y a des lois équitables exécutées par une autorité équitable et ferme; mais quand c'est tout le contraire, le désarmement devient une véritable trahison. Il faut dans ce monde être protégé par la loi ou par la force. Je sais bien que la Turquie a eu sa fameuse Charte de Gulhané; mais aux portes même de Constantinople, et à plus forte raison en Syrie, une bonne paire de pistolets est une protection plus sûre et plus forte que la Charte de Gulhané. C'est cette protection que le désarmement ôte aux catholiques du Liban.

Voilà comment les espérances de la diplomatie française ont été déçues. Espérons que les nouvelles négociations produiront un résultat plus heureux. ESPAGNE. Les débats des Cortès espagnoles ont constaté les progrès faits dans l'ordre politique et administratif par le cabinet Narvaez. C'est à bon droit que le ministère s'est félicité, dans le discours de la Reine, de la tranquillité dont jouit le pays et de l'insuccès qu'ont rencontré partout les tentatives des perturbateurs.

Jamais, en effet, réformes n'ont été accueillies avec plus de calme que les réformes opérées depuis deux ans, et jamais cependant, depuis 1833, l'état politique de l'Espagne n'avait subi des remaniements plus profonds. La déclaration de la majorité de la Reine a sans doute beaucoup contribué à cette transformation de l'esprit public, en rendant à la royauté l'initiative qu'avaient usurpée les partis; mais il faut reconnaître aussi que trois ans de mécomptes ont rendu l'ancienne opposition plus circonspecte, et qu'elle commence à comprendre que sa force et son avenir résident, non pas dans l'émeute, mais dans le jeu normal des institutions parlementaires. Quant au ministère, il faut avouer qu'un cabinet qui a maintenu l'ordre depuis plus d'une année, qui a organisé l'administration municipale et provinciale, l'administration

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supérieure par le conseil d'Etat, qui a substitué au désordre des contributions anciennes un système uniforme et régulier, qu'un tel cabinet a fait ses preuves, et a, malgré les accusations dirigées contre lui, rendu de véritables services au pays.

Le Sénat a eu promptement rédigé et voté sa réponse au discours de la Reine. Dans le Congrès la discussion a été longue, agitée, mais la majorité est incontestablement acquise au gouvernement, et les trente ou trente-cinq voix qui ont appuyé l'amendement proposé par M. Seijas Losano, au commencement des débats, forment le chiffre réel de l'opposition.

Les explications données dans la séance du 26 par le général Narvaez sur la question du mariage de la Reine, bien que diversement appréciées par les organes de la presse de Madrid, peuvent être considérées comme ayant obtenu un bon résultat; ce que le ministère voulait empêcher, c'était une manifestation officielle du Congrès contre telle ou telle candidature, et ce but paraît atteint.

La question du mariage de la Reine n'en reste pas moins une question épineuse, brûlante, dont la passion publique s'est emparée, principalement à Madrid, et dont l'ajournement devient de plus en plus difficile. La Reine Isabelle a vécu jusqu'ici sous l'aile de sa mère; on commence à trouver en Espagne que cette tutelle, qui a cessé d'être légale, mais qui n'en est pas moins réelle, se prolonge beaucoup. A tort ou à raison, dans ce pays mobile et passionné, le nom de la Reine Christine n'est pas aussi en honneur qu'il y a deux ans. Dans cet état de choses, un mariage viendrait bien à propos. Si intelligente qu'elle soit, la Reine Isabelle est bien jeune pour porter toute seule ee fardeau d'une Couronne.

On attribue à la Reine-mère et au général Narvaez l'idée de donner pour mari à la Reine Isabelle le comte de Trapani. Or, il y a en Espagne une répugnance très-prononcée contre le jeune prince italien. Des démonstrations récentes l'ont suffisamment prouvé.

L'infant don Enrique, fils de l'infant don François de Paule, a cru devoir jeter dans la polémique une déclaration où il pose ouvertement ses prétentions à la main de la Reine. L'effet de ce manifeste a été fâcheux pour le jeune prince même; on y a vu ou un enfantillage ou une ambitieuse folie.

Parmi les prétendants, il n'en est pas, à vrai dire, un seul qui plaise à la fierté espagnole. Le dernier des fils de la maison de Cobourg, le plus jeune des frères du Roi de Naples, le simple fils de l'infant don François de Paule, tout cela paraît bien peu de chose à l'Espagne. Ce peuple, si fidèle à ses souvenirs, se dit que lorsque la première Isabelle s'est mariée, son époux lui a apporté pour dot un royaume, et il lui semble que lorsqu'on est la Reine de toutes les Espagnes, on est en droit de prétendre au moins à la main d'un autre Ferdinand. Rien n'est plus arriéré et moins constitutionnel que cette idée, mais elle n'en est pas moins dans tous les esprits. Le jour où la Reine se mariera, quel que soit celui qu'elle épouse, on peut être certain que le peuple espagnol sera mécontent. Tous les rêves qu'on a faits sur une grande alliance devront s'évanouir, et le passage de la poésie à la prose, du vague à la réalité, est toujours désagréable.

NOS POPULATIONS EN PRÉSENCE DE LA MISÈRE.

Il y a quelques années, la décadence de l'ancienne industrie linière, cette source jadis si féconde en prospérités de tous genres, amena dans notre pays le fléau qui avait déjà porté ses pas destructeurs en Angleterre, en Allemagne et dans une partie notable de la France : le paupérisme prit place dans les plus belles contrées de la Belgique et ne tarda pas à atteindre ces classes si industrieuses, si intéressantes, qui jusque-là avaient trouvé dans le travail une existence honnête et paisible. Ses progrès furent d'abord lents, beaucoup plus lents même qu'ailleurs. Et cela n'a rien qui doive étonner le paupérisme s'attaquait à des populations laborieuses, habituées à vivre de peu et disposées à chercher dans les privations la part de bénéfice que le travail leur refusait. Les circonstances devinrent toutefois plus critiques, les pays voisins renforcèrent leurs lignes de douanes, et il se manifesta un malaise plus général et de jour en jour moins tolérable. La destruction de la récolte des pommes de terre précipita l'année dernière un dénoûment que personne n'attendait ni sitôt, ni si terrible. Au défaut de bénéfice sur la production vint se joindre le défaut de travail, dont la conséquence nécessaire était le manque de pain.

Jamais une plus grande somme de maux n'accabla un peuple: sans ressources, sans travail, il se vit même privé du tubercule qui l'avait si admirablement aidé jusque-là à traverser les plus mauvaises années. La générosité publique eut beau déployer ses moyens les plus ingénieux, étendre son action au-delà de toutes les prévisions, se multiplier pour apaiser les besoins, l'infortune était trop grande, trop générale; une misère affreuse s'empara de nos braves ouvriers qui ont dû souvent, dans un retour sur le passé, considérer leur état de privations d'autrefois comme une situation heureuse en regard des malheurs qui les frappent aujourd'hui.

Aucun écrit ne peut donner une idée des souffrances que nos malheureux campagnards endurent; aucune plume n'est capable de retracer ce qu'il y a de

cruel et de navrant dans leur misère; il faut en avoir été témoin pour savoir au moyen de quels grossiers artifices ils essaient de tromper la nature, c'est à dire, d'apaiser la faim qui les dévore.

Et cependant voyez l'attitude de ces populations si terriblement éprouvées. Elle tient du sublime, de l'héroïque! La résignation règne partout au milieu de la misère : nulle part ne se produisent les excès si communs en temps de détresse; ni rassemblements, ni violences, ni crimes ne résultent d'une situation reconnue intolérable. Le pauvre se plaint, mais ne se révolte pas contre son malheureux sort. C'est là, ne craignons pas de le dire, un spectacle tout à la fois triste et admirable; personne, au commencement de l'hiver, n'aurait osé espérer un tel résultat; il a détruit, contre toute attente, les graves appréhensions qui travaillaient les esprits, et faisaient présager un orage des plus terribles. Les exceptions qui ont eu lieu dans quelques localités ne diminuent en rien le mérite d'une conduite aussi noble; les rares excès qui ont été commis, n'avaient pas la moindre gravité et leurs auteurs n'appartenaient point à cette brave classe ouvrière, qui attend avec résignation que la mort ou un temps meilleur vienne mettre un terme à ses souffrances.

Qu'il y a loin de l'attitude de nos compatriotes à la conduite d'autres peuples dans des circonstances analogues: sans remonter à des faits qui appartiennent déjà à l'histoire, nous nous bornerons à citer ce qui se passe aujourd'hui en Irlande, dont la population a été également visitée par le fléau de la misère, et où la détresse exerce les mêmes ravages que chez nous : les excès de tout genre, les crimes les plus affreux contre les personnes et les propriétés sont à l'ordre du jour; la gravité des faits est telle que le Gouvernement anglais se voit forcé de demander à la législature des pouvoirs extraordinaires pour réprimer les violences qui se commettent dans les contrées de l'Irlande où la misère sévit le plus. Le nombre des crimes augmente dans une proportion alarmante. M. le comte de Saint-Germans, en proposant, dans la séance de la Chambre des Lords du 23 février, la seconde lecture du bill pour la protection des personnes et des propriétés en Irlande, a fait connaître que de 1844 à 1845 le nombre des crimes s'est élevé de 3,102 à 5,281! La terreur, qu'inspirent les brigands, est telle que presque jamais les coupables ne sont punis. On ne trouve pas des témoins à charge, ou bien, ceux qui seraient disposés à faire des révélations ne veulent s'y décider sans avoir réalisé ce qu'ils peuvent posséder de biens pour quitter le pays après leur déposition. Il y a des bandes d'hommes armés qui parcourent le pays commettant l'assassinat et le vol sur leur passage. Le Gouvernement a fait tout ce qu'il a pu pour réprimer ces affreux excès. Vainement a-t-il augmenté la force de la police; vainement a-t-il eu recours à tous les moyens que la loi lui donnait pour prévenir les méfaits; de nouveaux pouvoirs lui sont aujourd'hui nécessaires.

Nous n'ignorons pas que l'influence des sociétés secrètes est pour beaucoup dans cette augmentation du nombre des crimes; mais c'est le manque de travail, c'est la détresse qui excitent les populations au désordre; ce sont eux qui recrutent les bandes de malfaiteurs et qui les poussent à ne respecter ni les personnes, ni les propriétés.

Mais détournons les yeux de ces scènes effrayantes, et reportons-les sur

notre pays dont l'aspect paisible offre un contraste heureux avec celui de F'Irlande. En même temps, signalons au Gouvernement, aux Chambres, à la générosité publique, la récompense que doit recevoir l'admirable résignation des classes indigentes. C'est un devoir pour tous de chercher à soutenir un courage qui se maintient au milieu des épreuves les plus pénibles. Il importe de faire voir à l'ouvrier qu'on s'occupe des moyens de soulager ses souffrances, qu'on a la bonne volonté de le retirer du malheur dans lequel un concours de circonstances fâcheuses l'a plongé.

Au lieu de se borner à porter des secours partiels et par conséquent inefficaces, le Gouvernement devrait s'occuper d'un travail d'ensemble propre à arrêter la marche du paupérisme; les demi-mesures sont impuissantes contre un mal aussi intense; elles ont en outre le tort d'absorber, par leur fréquent renouvellement, des sommes considérables, qui, appliquées à un but déterminé, produiraient un résultat efficace que les palliatifs actuels ne peuvent avoir. Le Gouvernement ne doit pas reculer devant les dépenses qu'un système de travaux convenablement organisé entraînerait; en combinant bien les moyens d'exécution, les sommes à dépenser ainsi ne dépasseraient guère celles que l'on applique aujourd'hui à divers services partiels, dont le grand tort est de pallier le mal sans pouvoir le guérir. Et ici nous ne préconisons pas de vaines théories, ce sont des vues pratiques que nous recommandons et qui ne demandent pour leur réalisation qu'une volonté ferme et énergique.

Dans les défrichements d'abord des bruyères et terrains vagues qui existent dans les Flandres, on peut trouver de l'occupation pour plusieurs milliers de familles. Dans son excellent ouvrage sur l'amélioration du sort de la population rurale, M. H. Kervyn a prouvé, au moyen de chiffres et d'arguments incontestables et incontestés, que, dans le cas où l'opération ne s'étendrait qu'au tiers de la masse des terrains improductifs, dix mille familles au moins pourraient puiser dans les défrichements des moyens durables d'existence. Disons donc avec lui: « Une opération qui parviendrait à créer 10,000 nouvelles familles d'agriculteurs dans ce temps de crise et de misère, serait certainement le plus beau titre de gloire pour le Gouvernement qui réussirait à l'accomplir. Il pourrait se glorifier d'avoir rayé 60,000 Flamands du grand-livre de la bienfaisance publique. Aussi j'espère qu'il se trouvera en Belgique un homme d'État qui partagera un jour mes convictions, et qui aura la constance et la volonté de venir en aide à ses compatriotes. Il ne faudra pas de grands efforts pour faire adopter ses plans par les divers pouvoirs de l'État; l'État lui-même ne sera pas entraîné à de trop grands sacrifices. La marche ascendante du paupérisme sera ralentie: halte heureuse, véritable bienfait social, qui peut être trouvé en grande partie dans l'extension et dans le perfectionnement de l'agriculture flamande. >>

Mais ce n'est là qu'une partie du système que nous voudrions voir adopter par le Gouvernement: soit par des mesures douanières, soit par des encouragements, répartis à bon escient, il devrait favoriser l'introduction de nouvelles industries, propres à remplacer l'industrie linière là où elle n'offre plus de bénéfice au producteur. Cette tâche est peu difficile: des particuliers ont pris Tinitiative; ils ont en quelque sorte tracé la route à suivre, et le pouvoir

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