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tenter de nouveau la fortune de nos concours. C'est un bon esprit exercé à la discussion philosophique et ayant suffisamment pratiqué les Dialogues de Platon. Aussi a-t-il traité avec quelque succès certains points du sujet. Quoiqu'on y rencontre de la confusion, des inexactitudes et même cette erreur que, d'après Platon, l'intelligence crèe l'existence de son objet, l'exposition de la théorie des idées est souvent satisfaisante. Ce qui a rapport à l'analyse de la connaissance et au mouvement de la dialectique est compris et clairement expliqué. Les pages consacrées à l'esthétique et à la politique de Platon sont encore meilleures.

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Nous en dirons autant de celles où sont examinées les Idées de l'être, de l'un, du bien et de la cause. Le morceau où l'auteur discute la question de savoir si le dieu de Platon est ou non créateur, est d'une justesse et d'une fermeté remarquables. Mais les trois parties historiques laissent trop à désirer. Parmi les prédécesseurs de Platon, Socrate occupe, dans ce mémoire, une place bien petite et joue un rôle bien amoindri. La polémique d'Aristote contre la théorie des Idées n'est guère qu'indiquée en termes sommaires, et Plotin est le seul des platoniciens d'Alexandrie que l'auteur ait étudié au point de vue de la question proposée; enfin, la partie critique demandée par le programme, manque absolument.

Au total, l'auteur du mémoire n° 4, possède, sur quelques points, un savoir solide; c'est un esprit judicieux qui, en général, va droit au but. Il écrit dans un style précis, correct et facile. Il pourra donc, en développant par le travail, les aptitudes qui sont en lui, mériter dans une autre occasion, mieux et plus que de simples encouragements.

MÉMOIRE No 1.

EPIGRAPHE : Χάλεπα τα καλά.

(PLATON, Grand Hippias.)

Le mémoire no 1, est un travail étendu, savant, répondant avec ampleur à toutes les questions du programme. L'auteur possède pleinement la connaissance des textes de Platon; il est suffisamment philosophe, sinon en métaphysique où la profondeur lui manque, du moins en psychologie et en morale. Il a traité avec un certain succès quelques parties du sujet ; ses qualités principales sont le savoir, l'étude consciencieuse des difficultés, la sagacité dans les détails. Aussi la section l'a-t-elle jugé digne d'un honorable témoignage; mais vous allez reconnaître, Messieurs, que son mémoire présente trop d'imperfections pour que nous ayons pu lui accorder mieux que le troisième rang.

D'abord, de tous les mémoires envoyés à ce concours, celui qui porte le n° 1 est le moins bien écrit. Les incorrections y fourmillent. On dirait que l'auteur a une sorte de prédilection pour les mots que notre langue littéraire a jusqu'ici sévèrement repoussés, par exemple: baser, formuler, préciser. En outre, l'ordre qu'il a adopté n'est pas irréprochable; il place en tête de son travail des considérations et des détails qu'il sera obligé de répéter un peu plus loin. On ne voit pas à quoi peuvent servir les trois introductions par lesquelles il débute et où il parle prématurément des antécédents historiques de Platon, de sa psychologie et de son langage. Il donne à la fin de l'exposition des jugements critiques qui sont reproduits dans la conclusion où ils devaient figurer exclusivement. Enfin, si l'auteur a raison et si nous devons le louer d'avoir consulté la plupart des interprètes de la doctrine platonicienne, il aurait du choisir ses autorités. Toute

fois ces défauts comme les fautes de détail que nous aurons à noter chemin faisant, sont rachetés par de solides mérites.

L'Exposition et l'explication de la théorie des Idées de Platon est incontestablement l'une des plus difficiles tâches de l'histoire de la philosophie. En touchant aux pensées du maître, on court incessamment le danger de les fausser. Ici sa doctrine est flottante, là elle est obscure, plus loin elle se dérobe, parfois même elle semble se contredire. Plus on médite sur le texte et sur le sens des Dialogues, plus on sent vivement à quel point il est malaisé d'en fournir une analyse rigoureusement systématique. Et pourtant, au milieu de ces libres discussions et de ces théories qui fuient ou qui se voilent, un regard habitué aux perspectives platoniciennes voit briller certains points lumineux, et se détacher du fond, en apparence mobile, des parties fixes, nettes, admirablement déterminées par un langage original et éclatant. C'est autour de ces points fortement éclairés qu'il faut savoir grouper, avec toutes sortes de précautions, les passages qui sont douteux ou vagues; à procéder autrement, on est à peu près sûr de s'égarer et de manquer le but.

L'auteur du mémoire no 1 a montré un certain instinct de la difficulté et il a pris de sages précautions pour l'aborder sans trop de risques. Il a bien fait de se demander ce qu'est l'Idée platonicienne; 1° en Dieu; 2° dans l'esprit de l'homme; 3° dans le monde et dans les choses. Mais au lieu de rester fidèle à cette méthode et d'y persévérer en consultant attentivement les textes sur chacune de ces questions et en éclairant les passages obscurs au moyen de ceux qui brillent en pleine lumière, il devine et conjecture; on peut même dire qu'il tâtonne. En effet : il attribue à Platon un langage et des pensées qui ne sont ni de lui, ni de son époque. « Nous disons, - écrit-il page 73, que les Idées de Platon sont des

lois et non des principes. » Puis il se pose à lui-même cette objection: Si les Idées de Platon sont des lois, pourquoi Platon ne l'a-t-il pas dit? » Et il répond: « dispute de mots; Idée signifie Loi.» Voilà on en conviendra, une façon bien commode de dénouer une grave difficulté.

Si l'auteur eut suivi non pas cette voie de libre interprétation, mais le procédé que nous indiquions plus haut, il aurait vu, à la lumière dex textes les plus explicites, que l'Idée platonicienne n'est jamais une loi au sens moderne du mot. Il aurait constaté que l'Idée, du moins à la prendre au dernier sommet de la dialectique, est essentiellement une cause, un principe. L'Idée du bien, dit Platon, est la cause qui fait que les choses bonnes sont bonnes ; l'Idée du juste est la cause qui fait que les choses justes sont justes ; et ainsi de même pour les Idées du beau, du vrai, etc. (1). A bien comprendre Platon, la loi serait plutôt l'effet, dont l'Idée serait la cause, puisque l'Idée est un principe d'unité, de fixité, de permanence. Au reste, l'auteur est si peu affermi dans cette opinion erronée qu'ailleurs (p. 353), il avoue que les Idées sont des principes et se condamne lui-même. Il donne de l'essence de l'Idée d'autres définitions encore, non moins diverses, non moins contradictoires, sans s'inquiéter de les concilier. Il connaît cependant la doctrine platonicienne; il la comprend même parfois; mais au-delà d'une certaine profondeur, sa vue se trouble. Il a néanmoins habilement décrit la marche de la dialectique. Il a même expliqué d'une façon assez ingénieuse le but du Parmenide qui serait, d'après lui, de démontrer que les contraires doivent nécessairement se mêler pour qu'il y ait de la réalité, de l'être, de la vie dans le monde; mais on ne comprend plus alors ce que dit plus bas

(1) Phédon, page 100, C. D. E où Platon se sert du mot airía.

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