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je n'écris pas une hiftoire, mais des vies. Et ce n'eft pas toujours dans les exploits les plus éclatants & les plus fignalés que paroiffent le plus la vertu ou le vice de ceux qui les exécutent, (b) mais fouvent la moindre petite action, une fimple parole, un jeu, font beaucoup mieux connoître les mœurs des hommes, que les combats les plus fanglants, les batailles rangées, & les prifes de villes. Comme donc les peintres qui font des portraits, recherchent fur-tout la reffemblance dans les traits du vifage, & particuliérement dans les yeux, où éclatent les fignes les plus fenfibles des mœurs & du naturel, & négligent les autres parties, il faut qu'on me permette de même de rechercher dans l'ame les principaux traits, les traits les plus marqués, afin qu'en les raffemblant je faffe de la vie de ces grands hommes up portrait vivant & animé, & qui leur reflemble; laiffant

fidélité de l'histoire demande un détail exact & circonftancié de toutes les actions des hommes; mais les vies ne demandent que les traits principaux, & ceux qui peuvent le plus contribuer à la reffemblance. Plutarque les compare fort bien aux portraits, où l'on ne recherche pas tous des linéaments d'un vifage, mais feulement ceux qui

le caractérisent le plus,
(b) Mais fouvent là moin-
dre petite action, une fim-
ple parole un jeu, font
beaucoup mieux connoître les
maurs. C'eft auffi en cela
que ces Vies de Plutarque
font admirables; il peint
fi bien ces grands hommes
d'après nature, qu'il fem-
ble qu'on les voye & qu'on
vive avec eux,

à d'autres le détail des fieges, des batailles & de toutes ces autres grandes actions.

C'est une chofe généralement reçue pour conftante, (c) qu'Alexandre, du côté de fon pere, defcendoit d'Hercule par Caranus, (d) & que, du côté de fa mere, il defcendoit d'Achille par Neoptoleme. On dit que Philippe, encore très-jeune, étant à Samothrace, fuc initié aux myfteres de cette ifle (e) avec Olympias, qui étoit encore enfant, & que là il devint amoureux de cette Princeffe, qui étoit orpheline de pere & de mere, & qu'il l'obtint enfin en mariage de fon frere Arymbas. La nuit qui précéda celle où les mariés devoient être enfermés enfemble dans leur chambre nuptiale, Olympias fongea qu'elle entendoit un furieux tonnerre, que la foudre tomba fur fon ventre; que de ce coup

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pas fi bien fuivies; car il manque plufieurs races. Il fuffit de favoir qu'Olympias étoit fille de Néoproleme & foeur d'Arymbas ou Arybbas.

(e) Avec Olympias qui étoit encore enfant. Les femmes fe faifoient initier à ces myfteres comme les hommes; & dès leur enfance comme on le voit ici, & dans la premiere scene du Phomion de Térence, où Davus dit:

il s'alluma un grand feu, & que ce feu s'étant partagé en plufieurs brandons, qui fe répandirent de côté & d'autre, fe diffipa & s'évanouit. Et Philippe, quelque temps après fon mariage, fongea qu'il cachetoit d'un anneau le ventre de la Reine, & que la gravure de cet anneau étoit un lion.

Tous les autres Devins tenoient ce songe pour fort fufpect, & difoient qu'il avertiffoit Philippe de prendre garde de fort près à fa femme, & de veiller à fa conduite. (f) Mais Ariftandre de Telmefe dit que ce fonge marquoit feulement que la Reine étoit groffe, car on ne cachete point les vaiffeaux vuides, & qu'elle accoucheroit d'un fils qui feroit très courageux, & qui tiendroit de la nature du lion. On dit auffi qu'on avoit vu quelquefois dans le lit d'Olympias un grand ferpent étendu auprès d'elle. L'on affure même que ce fut cela principalement qui refroidit l'a

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Ferietur alio munere ubi hera pepererit.
Porro alio autem ubi erit quero natalis dies,
Ubi initiabunt.

(f) Mais Ariftandre de Telmefe. C'eft celui qui accompagna Alexandre dans fes expéditions, & qui lui fervit de devin & de facrificateur. C'étoit le Calchas d'Alexandre. L'explication qu'il donne au fon

ge du Roi, marque un homme d'efprit, qui veut éloigner de l'imagination du Prince toutes les idées fâcheufes que l'explication des autres Devins y pou voient faire naître. Telme fe, ville de la Lycie.

mour & les careffes de Philippe; de forte qu'il n'alloit plus fi fouvent coucher avec elle; (g) foit que ce ferpent lui fît craindre que fa femine n'effayât fur lui quelques forcelleries & quelques drogues, ou que par respect, il s'éloignât de fa couche, qu'il croyoit occupée par un être plus grand que lui.

On conte auffi. la chose d'une autre manicre. On dit que toutes les femmes de ces quartiers-là, de toute ancienneté, font sujettes à être faifies de l'efprit d'Orphée, & de la fureur divine qui s'empare des Bacchantes aux orgies de Bacchus; que de-là on les ap-pelle Clodones & Mimallones (h); qu'elles courent avec de grands cris, & qu'elles font plufieurs chofes femblables à celles que font les femmes Hédoniennes & les Thraciennes qui habitent autour du mont Hémus. Il femble même que de ce que font ces Thraciennes, on a tiré le mot grec Thref cevein (i), pour dire vaquer curieusement & fuperftitieufement au culte des Dieux. Or Olympias étoit plus adonnée à ces fortes de

(g) Soit que ce ferpent lui fit craindre que fa femme n'effayat fur lui. C'eft pluôt par le foupçon qu'il eur de quelque infidélité d'Olympias; car Philippe n'étoit pas affez ignorant des affaires du monde pour ne pas favoir que ces

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fuperftitions que toutes les autres; & fe mettant fouvent à la tête de ces furieufes & de ces enthoufiaftes, elle les promenoit d'une A maniere plus étrange & plus effroyable; car elle traînoit après elle dans les chœurs de ces Bacchantes de grands ferpents privés, qui fe gliffant fouvent hors des corbeilles & des vans mystiques où on les portoit, & s'entortillant autour des thyrfes de ces femmes & de leurs couronnes, épouvantoient les affistants.

Cependant Philippe après fon fonge ayant envoyé à Delphes, Cheron de Mégalopolis, on dit qu'il lui rapporta un oracle de la part du Dieu, qui lui ordonnoit d'offrir des facrifices à Jupiter Ammon, & d'honorer particuliérement ce Dieu. On ajoute qu'il perdit un œil, & juftement celui qu'il avoit mis au trou de la porte, & dont il avoit vu ce Dieu couché avec fa femme fous la forme d'un ferpent. Olympias, au rapport d'Eratofthene, lorfqu'elle envoya fon fils Alexandre à l'armée, lui découvrit à lui feul le fecret de fa naiflance, & l'exhorta fur cela à n'avoir que des penfées dignes du fils d'un fi grand Dieu. D'autres affurent qu'elle rejettoit ces contes comme une impiété, & qu'elle difoit d'ordinaire: Alexandre ne ceffera-t-il donc jamais de me mettre mal avec Junon?

Alexandre naquit le fixieme jour du mois

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