Page images
PDF
EPUB

fcéne du quatrieme acte, ceux de Monime prête à prendre le poifon que lui envoye Mithridate, font bien auffi nobles & auffi magnanimes, que ceux de Cornélie: je crois même, que dans les fentimens des Héroïnes de Racine, on fent quelque chofe de plus vrai, de plus touchant, & par confequent de plus agréable. Ce qui affecte le cœur & l'efprit plaît toujours plus, que ce qui ne touche fimplement que l'efprit. Qui peut n'être point émû, agité, ravi & en même temps attendri, par les fentimens nobles & tendres d'Iphigénie embraffant fon Père, qui va la faire conduire à la mort?

Ceffez de vous troubler, vous n'êtes point trahi. Quand vous commanderez, vous ferez obéi. Ma vie eft votre bien: vous voulez le reprendre, Vos ordres fans détour pouvoient fe faire entendre. D'un œil auffi content, d'un cœur auffi foumis Que j'acceptois l'Epoux que vous m'aviez promis, Je faurai, s'il le faut, victime obéiffante, Tendre au fer de Calchas une tête innocente; Et refpectant le coup par vous même ordonné, Vous rendre tout le fang que vous m'avez donné. Si pourtant ce respect, fi cette obéiffance

Paroît digne à vos yeux d'une autre récompense; Si d'une Mere en pleurs vous plaignez les ennuis, J'ofe vous dire ici qu'en l'état où je fuis,

Iphigénie Act. IV. Scéne iv.

Peut

Peut-être affez d'honneurs environnent ma vie,
Four ne pas fouhaiter qu'elle me soit ravie,

Non que la peur du coup, dont je fuis menacée,
Me false rappeler votre bonté paffée;

Ne craignez rien, mon cœur de votre honneur jaloux Ne fera point rougir un Pere tel que vous; Et fi je n'avois eu que ma vie à défendre, J'aurois fû renfermer un souvenir fi tendre. Mais à mon trifte fort, vous le favez, Seigneur, Une Mere, un Amant, attachoient leur bonheur. Un Roi digne de vous a cru voir la journée Qui devoit éclairer notre illuftre Hymenée. Déjà fûr de mon cœur à fa flamme promis, Il s'eftimoit heureux, vous me l'aviez permis. Il fait votre deffein, jugez de fes allarines; Ma Mere eft devant vous, & vous voyez fes larmes. Pardonnez aux efforts que je viens de tenter Pour prevenir les pleurs que je leur vais coûter, Les fentimens d'Iphigénie n'ont pas moins de grandeur que ceux de Cornélié. Avec quelle fermeté cette jeune Princeffe ne voit elle point l'approche de la mort! Avec quel courage ne va-t-elle point à l'autel, où elle doit être facrifiée! Peut-on rien dire de plus grand, que l'affurance qu'elle donne à fon Pere, qu'elle ne fera jamais paroître une crainte qui puiffe paroître indigne d'elle? Elle eft moins fenfible à la perte de la vie, qu'à la douleur de fa mere, & ce qu'elle dit de fon Amant eft fi tendre,, fi

M

bien amené, & fi noble en même temps, qu'il eft impoffible aux, fpectateurs de ne pas répandre des larmes, & de n'être pas faifis de la plus forte douleur, en voyant une Princeffe auffi digne de vivre, prête à être immolée.

'R

J'ai dit, en parlant des Héros de Corneille, qu'ils s'élevoient par leurs fentimens, infiniment au deffus des autres mortels. Ils ne font point cependant fupérieurs, même dans les endroits où ils font les plus grands, à ceux de Racine. Qu'on examine attentivement les beautés fublimes des caractères les plus brillans de Corneille: on n'en trouvera aucunes, auxquelles on ne puiffe comparer celles, dont Racine a enrichi le caractère de Mithridate. Rien n'eft plus beau (& je ne fai même fi quelque chofe l'eft autant) que la mort de Mithri date.

Ceffez, & retenez vos larmes l'un & l'autre.
Mon fort de fa tendreffe & de fon amitié
Veur d'autres fentinens que ceux de la pitié:
Et ma gloire, plutôt digne d'être admirée,
Ne doit point, par des pleurs, être deshonorée.
J'ai yengé l'Univers autant que je l'ai pû.
La mort dans ce projet m'a feule interrompu.

sa Mithridate Acte V. Scéne derniere.

En

[ocr errors]

Ennemi des Romains & de la Tyrannie,
Je n'ai point de leur joug fubi l'ignominie:.
Et j'ofe me fatter qu'entre les Noms fameux
Qu'une pareille haine a fignalés contre eux,
Nul ne leur a plus fait acheter la victoire,
Ni de jours malheureux plus rempli leur Hiftoire. *
Le Ciel n'a pas voulu qu'achevant mon deffein
Rome en cendre me vit expirer dans fon fein:
Mais, du moins, en mourant un plaifir me confole;
J'expire environné d'ennemis, que j'immole:
Dans leur fang odieux j'ai pû tremper mes mains;
Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.

[ocr errors]

Mon Fils, fongez à vous; gardez vous de prétendre
Que de tant d'ennemis vous puiffiez vous défendre,
Bientôt tous les Romains de leur honte irrités
Viendront ici, fur vous, fondre de tous côtés.
Ne perdez point le temps que vous laiffe leur fuite,
A rendre à mon tombeau des foins, dont je vous
quitte:

Tant de Romains fans vie en cent lieux disperfés Suffifent à ma cendre, & l'honorent aflez. Que ceux qui veulent élever, pour les fentimens, les Héros de Corneille au-deffus de ceux de Racine, lifent s'il eft poffible, fans prévention, ce morceau. Je fuis certain, qu'ils décideront moins hardiment qu'ils ne font, & qu'ils conviendront qu'il n'eft point d'endroit de Corneille, quelque noble & quelque grand qu'il foit, auquel on ne puiffe oppofer quelque endroit de

Ra

Racine, qui ne lui cédera point pour la nobleffe des fentimens & pour la grandeur des penfées.

Les Partifans de Corneille vantent beaucoup l'art qu'il y a dans fes pieces. Il eft vrai qu'il y en a infiniment: mais il n'y en a pas moins dans celles de Racine; & fi on ne l'apperçoit pas autant, c'eft à caufe du naturel qui y regne; on peut dire hardiment, qu'il eft fi bien employé & fi habilement mis en œuvre, qu'il ne paroît abfolument qu'aux yeux des véritables connoiffeurs.

[ocr errors]

Quant aux portraits, on ne fauroit disputer à Corneille d'être un grand peintre. Mais, oferois-je le dire, ces portraits, à force d'être grands & fublimes, ne font pas toujours reffemblans: ils s'éloignent même quelquefois de la Nature. Racine, aucontraire, ne s'écarte jamais de cette même Nature; il la confulte par-tout, comme l'oracle de la vérité; il l'embellit par des idées nobles & fublimes: mais il ne la déguife jamais affez, pour qu'on puiffe la mécon noître. Les Portraits de Corneille peuvent être comparés aux Tableaux du Pouffin. Ce peintre avoit fait fes principales études d'après les figures antiques: auffi fes Tableaux font-ils, corrects, favans mais ils

con

« PreviousContinue »