Voilà dans ce petit nombre de vers, le lieu de la Scéne fixé & déterminé. On fait qu'il eft dans un Cabinet qui fépare les appartemens de Titus & de Berenice: il étoit impoffible de pouvoir mieux placer la Scéne, pour conferver l'étroite unité de lieu." Le fpectateur eft inftruit que Titus eft amoureux de Berenice, qu'Antiochus avoit aimé avant l'Empereur cette Reine, qui Alattée d'être adorée de Titus, avoit impofé à lui Antiochus un éternel filence, & lui avoit ôté l'efpérance de pouvoir jamais être écouté. Cependant, ce même Antiochus aime toujours Berenice, il veut la voir, il veut l'entretenir. Les fpectateurs fentent clairement, que l'amour de Titus & celui d'Antiochus font les objets principaux qu'on va leur offrir. Tous les fujets de Racine font dévelop pés dès la premiere Scéne, avec le même art. Orefte & Pylade, dans Andromaque, mettent d'abord dans un grand jour le fu jet de cette tragédie.. Dans Britannicus, Agrippine & Albine font la même chose.. Dans Mithridate, la premiere Scéne entre Xipharès & Arbate eft un chef-d'œuvre de l'art. Celle d'Agamemnon & d'Arcas ne lui céde en rien. Mais, parmi toutes ces belles Scénes, celle qui eft la plus favante E 2 & la & la plus fpirituelle, c'eft la premiere de Bajazet. Il falloit déterminer le lieu de la Scéne, & ce lieu étoit l'intérieur du Serrail: il étoit contre la vraiffemblance d'y introduire d'autres hommes que des Eunuques. Racine a tiré avantage de cette difficulté. ACOMAT. Vien, fui moi. La Sultane en ce lieu fe doit rendre OSMIN. Et depuis quand, Seigneur, entre-t-on dans ces lieux, Quand tu feras inftruit de tout ce qui se passe, Et que d'un oeil content je te vois dans Byfance! ' deux perfonnages qui font fur le théatre. L'un arrive nouvellement de l'armée; & l'autre a formé de grandes intrigues à Conftantinople: les fecrets mutuels qu'ils vont fe révéler, inftruiront à fond les fpectateurs du fujet de la piece, du lieu ou elle doit être repréfentée; & les inftruiront fans qu'ils s'en apperçoivent, pour ainfi dire. Il fal loit, en vérité, l'adreffe de Racine, pour ménager auffi avantageufement, une fitua tion très difficile. Ceux qui voudront connoître toute la beauté de certe Scéne, doi vent confidérer, en la lifant, comment Ra cine y trace infenfiblement, le plan de toute la piece; fans qu'il paroiffe que le poëte s'en mêle. Les difficultés s'applanif fent d'elles-mêmes, & les questions réciproques & intéreffantes, que fe font les deux Acteurs, paroiffent fi naturelles, que les lumieres qu'elles fourniffent aux fpectateurs, pour l'intelligence du fujet, font attribuées uniquement, à la fituation où fe trouvent les Acteurs, & point du tout à la néceffité où le poëte fe trouve de développer le fujet qu'il va traiter. Si Racine a obfervé, avec foin, la régle de l'unité de lieu, s'il a fixé l'endroit principal de la fcéne, avec beaucoup d'art; il n'en a pas moins employé, pour faire fenE 3 tir tir la durée de fes pieces, pour apprendre, adroitement & imperceptiblement, aux fpectateurs, qu'elles ne paffoient guéres celle de leur représentation, & qu'il ne profitoit pas même de la licence des vingt-quatre heures, qu'Ariftote & les autres critiques qui ont écrit fur les théatres, ont accordée aux poëtes tragiques. Dans la premiere Scéne de Britannicus, qui eft un chef-d'œuvre, & qui va de pair avec celle de Bajazet, dont je viens de parler; par la manière dont le fujet de la tragédie eft développé, Agrippine fixe l'heure, & pour ainfi dire, le moment où la piece commence. ALBINE. 36 Quoi! tandis que Néron s'abandonne au sommeil, Albine, il ne faut pas s'éloigner un moinent. 36 Britannic. A&t. I. Scen. j. 1 Bri Britannicus le gêne, Albine, & chaque jour, Je fens que je deviens importune à mon tour. Dans ces quatorze vers, il y a un art inexprimable. Le lieu de la fcéne eft déterminé dans l'antichambre de Néron; les principaux caractères de la piece y font crayonnés; la crainte d'Agrippine, la feinte bonté de Néron, l'infortune de Britannicus, enfin le moment où la piece commence, y eft marqué clairement par ces trois vers. La Mere de Cefar veille feule à sa porte. Je veux l'attendre ici. Les chagrins, qu'il me caufe M'occuperont affez tout le temps qu'il repofe. On voit qu'Agrippine a devancé le lever de Néron. La piece commence le matin; Britannicus eft empoisonné à diner; & cette catastrophe arrive avant la nuit. Racine en inftruit adroitement les fpectateurs, dans la derniere Scéne. 37 Cefar de tant d'objets en même temps frappé 37 Britannicus Act. V. Scen. dern... Ces |