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qu'il devoit à leur caractère, il ne s'eft pas moins attaché au précepte qui veut

Que l'amour foit souvent de remords combattu,
Paroiffe une foibleffe, & non une vertu.

Quel regret Mithridate n'a-t-il pas d'être forcé, malgré lui, d'aimer Monime? Quelles belles chofes ne dit-il pas à ce fujet? Quels efforts ne fait-il point, pour furmonter fa paffion?

O Monîme, ô mon Fils, inutiles courroux,

Et vous, heureux Romains, quel triomphe pour vous!
Si vous faviez ma honte, & qu'un avis fidele
De mes lâches combats vous portât la nouvelle!
Quoi des plus chéres mains craignant les trahisons,
J'ai pris foin de m'armer contre tous les poifons!
J'ai fu, par une longue & pénible industrie,
Des plus mortels venins prévenir la furie!
Ha! qu'il eût mieux valu, plus fage & plus heureux,
Et repouffant les traits d'un amour dangereux,
Ne pas laiffer remplir d'ardeurs empoisonnées
Un cœur déjà glacé par le froid des années.

Le combat de Phedre contre l'invincible penchant qui l'entraîne malgré elle vers "Hippolyte, me paroît encore un morceau parfait.

J'ai revû l'ennemi que j'avois éloigné :
Ma bleffure trop vive auffi-tôt a faigné.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée;
C'eft Venus toute entiere à fa proie attachée.

J'ai conçu pour mon crime une jufte terreur:
J'ai pris la vie en haine & ma flamme en horreur.
Je voulois, en mourant, prendre foin de na gloire,
Et dérober au jour une flamme fi noire.

Je n'ai pu foûtenir tes larmes, tes combats; Je t'ai tout avoué, je ne m'en repens pas, Pourvu que de ma inort respectant les approches, Tu ne m'affliges pas par d'injuftes reproches: Et que tes vains fecours ceffent de rappeller Un refte de chaleur tout prêt à s'exhaler. On ne fauroit mieux, felon moi, depeindre les mouvemens d'un cœur qui fuit malgré lui, une paffion qu'il condamne. Il faut convenir cependant, que Corneille a excellé dans ces fortes de peintures, & qu'il y a dans le Cid & dans Polieucte, des endroits bien beaux, où l'amour le plus violent eft combattu par la vertu la plus févére.

Un autre talent que Racine a poffedé au fuprème degré, c'eft de rendre toujours noblement, & quelquefois d'une façon fublime, les chofes les plus fimples & les plus ordinaires. Parmi cent mille exemples que je pourrois en apporter, je me' contenterai d'un feul. Il n'y a rien de plus fimple, qu'une jeune perfonne qui dit à fon Amant qu'elle veut l'éviter, parce qu'elle fent qu'elle pourroit avoir quelque foibleffe, dont elle mourroit de douleur. Voyons

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Un poignard à la main, fur Pyrrhus fe courber,
Lever les yeux au Ciel, fe frapper & tomber.

Je ne crois pas, qu'il foit poffible de narrer auffi briévement, auffi clairement, auffi vivement & auffi noblement. Si l'on examine tous les récits de Corneille, on trouvera qu'ils font presque tous d'une longueur étonnante. Dans le Cid, dans les Horaces, dans Rodogune, dans Pompée, &c. il y a des récits, dont il faudroit, s'il étoit poffible, retrancher les trois quarts.

On loue beaucoup Corneille de ce qu'il a fort bien peint la grandeur romaine ; on ne peut lui ôter ce mérite. Il est certain, que Céfar, que Pompée, que Sertorius, n'ont peut-être jamais penfé avec tant de grandeur & tant de magnanimité qu'ils penfent dans les pieces de Corneille. Mais Racine n'a-t-il pas auffi excellé dans le même genre lorsque l'occafion l'a exigé? Agrippine, Burrhus, Mithridate, font ils moins grands que les plus illuftres Héros de Corheille? La Scéne de Pompée & de Sertorius, celle d'Augufte & de Cinna, font des chefs-d'œuvres de l'efprit humain. Corneille, le grand Corneille, s'eft furpaffé lui-même dans ces deux fuperbes morceaux. Mais les Scénes d'Agrippine, celle de Mithridate & de fes fils, ne doivent rien aux plus

beaux endroits de Corneille, & vont bien de pair avec eux.

Racine a incomparablement mieux obfervé les regles principales du théatre, que n'a fait Corneille.

34 Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théatre rempli.

Ces trois préceptes, fi effentiels à la tragédie, & fi heureufement compris par Despréaux dans ces deux vers, ont été pratiqués par Racine, dans la plus étroite rigueur. L'unité d'action, l'unité de temps, l'unité de lieu font fi fenfibles dans toutes fes pieces, que ceux même, qui ignorent ces regles, en font frappés, pour peu qu'ils faffent attention à la tragédie qu'ils lifent ou qu'ils voyent représenter.

Il y a dans les endroits qui paroiffent les plus fimples dans les pieces de Racine, des beautez raviffantes pour les connoiffeurs. Avec quelle fageffe, cet incomparable poëte ne détermine t-il point, dans le commencement de Berenice, le lieu fixe de la Scéne! Avec quelle adreffe, dans les huit ou dix premiers vers de la même pie

34 Art Poët. Chant. III.
TOM. XI.

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ce,

ce, n'apprend-il pas aux fpectateurs le fujet qu'il va traiter!

35 Arrêtons un moment. La Pompe de ces lieux, Je le vois bien, Arface, eft nouvelle à tes yeux. Souvent ce Cabinet fuperbe & folitaire,

Des fecrets de Titus eft le dépofitaire:

C'est ici quelquefois qu'il fe cache à fa cour,
Lorsqu'il vient à la Reine expliquer fon amour.
De fon appartement cette porte eft prochaine,
Et cet autre conduit à celui de la Reine.
Va chez elle, dis lui, qu'importun à regret,
J'ofe lui demander un entretien fecret.

ARSACE.

Vous, Seigneur, importun! Vous, cet ami fidele,
Qu'un foin si généreux intéreffe pour elle?
Vous cet Antiochus, fon amant autrefois?

Vous, que l'Orient conte entre fes plus grands Rois?
Quoi déjà de Titus l'époufe en espérance,

Ce rang entre elle & vous met-il tant de' diftance?

ANTIOCHUS.

Va, dis-je,& fans vouloir te charger d'autres foins,
Vois, fi je puis bientôt lui parler fans témoins.

ANTIOCHUS feul.

Hé bien, Antiochus, es-tu toujours le même?
Pourrois-je, fans trembler lui dire, je vous aime?
Mais quoi? déjà je tremble, & mon cœur agité
Craint autant ce moment, que je l'ai fouhaité.
Berenice autrefois in'ôta toute espérance,
Elle m'impofa même un éternel filence, &c.

25 Berenice Act. I. Scen. j.

Voilà

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