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Il me donnera l'occafion de parler du mé rite de ce grand Poëte tragique, & de le comparer, autant que mes lumières pour ront me le permettre, avec Corneille, fon digne rival.

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- Plus pur, plus élégant, plus tendte,
Et parlant aux cœurs de plus près;
Nous attachant, fans nous furprendre,
Et ne fe démentant jamais;
Racine obferve les portraits
De Bajazet, de Xiphares,
De Britannicus, d' Hippolite;
A peine il diftingue leurs traits;
Ils ont tous le même mérite,

Tendres, Galans, doux & difcrers:
L'amour, qui marche à leur fuite,
Les croit des Courtifans François.

Mr. de Voltaire convient d'abord, que Racine eft plus pur, plus élégant, plus tendre que Corneille: dès qu'on fait la langue françoife, & que l'on a un cœur, il eft impos fible de n'être pas de fon fentiment. Mais il femble blâmer les caractères de plufieurs Héros que Racine a faits amoureux: ce vers

Tendres, galans, doux & difcrets/

paroît même dire, qu'il en a fait d'aima bles Petits-Maitres: & les deux, qui le fuis vent, confirment mon doute.

L'amour qui marche à leur fuite,
Les croit des& Courtilans FrançoistTM

Je conviens avec Mr. de Voltaire, de cette uniformité, ou plutôt, de cette reffemblance de quelques perfonnages de Racine. Mais cette reffemblance n'eft point un défaut; parce quelle ne fe trouve jamais dans la même piece: & quant à l'amour de Bajazet, de Britannicus, de Xipharès, &c. il a dû être dépeint tel qu'il eft, pour relever un amour d'une autre efpece, fi j'ofe me fervir de ce terme, auquel il eft oppofé. Il y a dans toutes les tragédies de Racine, un amour fimple & ordinaire peint d'après celui que tous les cœurs tendres reffentent, & un amour théatral, fait pour exciter la terreur, la pitié & toutes les grandes paffions qui font l'ame de la tragedie. Ainfi, dans Phedre, l'amour d'Hippolyte & d'Aricie eft un amour ordinaire, qui plaît, parce qu'il eft dépeint tel que celui que nous fentons tous les jours, dans nos cœurs; & celui de Phedre eft un amour théatral, qui produit les plus grands mouvemens, & qui excite tour à tour, la pitié & la terreur. Dans Bajazet l'amour de Roxane produit les mêmes effets; & celui d'Atalide ne fait qu'attendrir. Dans Mithridate, la paffion de ce Prince pour Monime eft véritablement theatrale; au contraire celle de Xipharès pour la même Princeffe eft con

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Racine a retiré un

forme à nos mœurs. grand avantage, en donnant à quelques-uns de fes Héros, des foibleffes, qui nous font chéres; il nous les a rendus, par-là, plus aimables: Les femmes, furtout, font beaucoup plus touchées d'un amour tendre & naturel, que d'une paffion violente, qui produit toujours de funeftes effets. J'ai confulté fouvent des femmes d'efprit, fur ce qu'elles penfoient des caractères d'Atalide & de Roxane je n'en ai trouvé aucune qui ne m'ait dit que celui d'Atalide lui plaifoit beaucoup plus que celui de Roxane: cependant ce dernier produit tous les événemens de la piece.

Ceux qui condamnent Racine d'avoir mis trop d'amour dans fes pieces n'ont aucune idée du théatre. La terreur & la pitié étant les paffions principales que doit exciter la tragédie, rien n'eft plus propre à les produire, que les effets que caufe ordinairement un amour malheureux: c'eft le fentiment du plus habile critique moderne, qui femble en avoir fait une regle, dans fon art Poëtique.

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Bientôt l'amour, fertile en tendres fentimens,
S'empara du théatre, ainfi que des Romans.

De cette paffion la fenfible peinture

Elt, pour aller au cœur, la route la plus fure.

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Il est vrai que Despréaux, en prescrivant le précepte de mettre de l'amour dans les tragédies, veut que cet amour foit ménagé avec art, & qu'il ferve à ennoblir les caractères, plutôt qu'à les dégrader.

Peignez donc, j'y consens, les Héros amoureux:
Mais ne m'en forgez pas des Bergers doucereux.
Qu'Achille aime autrement que Tircis & Philéne,
N'allez pas d'un Cyrus nous faire un Artaméne.
Et que
l'amour fouvent de remords combattu
Paroiffe une foibleffe, & non une vertu.

C'eft dans l'obfervation de ces préceptes que Racine a excellé. Avec quelle dignité n'a-t-il pas toujours allié l'amour & la grandeur? Il introduit fur le théatre, Mithridate, battu, perfecuté, fugitif, & cependant amoureux; & de qui amoureux? D'u ne jeune fille de dix-huit à vingt ans. Comment conferver la gloire de Mithridate? Pour moi je crois qu'il n'y avoit que Racine au monde, capable de pouvoir fauver une pareille fituation. Que dis-je, fauver? il en a tiré un avantage infini, & l'amour de Mithridate produit tout ce qu'il y a de grand dans fa tragédie. Avec quelle nobleffe, avec quelle grandeur d'ame parle-t-il à fa maîtreffe? On eft embaraffé de ce qu'un vieillard, un guerrier malheureux, mais intrépide, dira à une jeune perfonne,

dont

dont il craint avec raifon, de n'être point. aimé: écoutons le parler.

Ainfi prête à fubir un joug qui vous opprime,
Vous n'allez à l'autel que comme une victime:
Ee moi tyran d'un cœur, qui fe refuse au mien,
Même en vous possedant, je ne vous devrois rien.
Ha! Madame, eft-ce là dequoi me fatisfaire?
Faut-il que deformais, renonçant à vous plaire,
Je ne prétende plus qu'à vous tirannifer?

Mes malheurs, en un mot, me font ils péprifer?.:
Ha! Pour tenter encor de nouvelles conquêtes,
Quand je ne verrois pas des routes toutes prêtes,
Quand le fort ennemi m'auroit jeté plus bas:
Vaincu, perfecuté, fans fecours, fans états,
Errant de mer en iner, & moins Roi que Pirate,
Confervant, pour tout bien, le nom de Mithridate,
Apprenez, que fuivi de ce nom glorieux,

Par tour de l'univers j'attacherois les yeux,

Et qu'il n'est point de Roi, s'ils font dignes de l'être,
Qui, fur leur Trone affis, n'enviaffent peut-être
Au deffus de leur gloire un naufrage élevé
Que Rome & quarante ans ont à peine achevé.

Quand on fait parler, fur ce ton, un Héros, d'amour, cette paffion rend fon ca ractère plus grand, fi j'ofe le dire; & quoi- • que l'amour foit une foibleffe, il fert alors à relever les vertus, & les autres qualités qui lui paroiffent d'abord les plus oppofées. Au refte, fi Racine, en peignant, ces Héros amoureux, a confervé la bienséance,

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