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tion du fujet. Voici encore une critique de Despréaux, qui me paroît très- juste. 134 Tous ces pompeux amas d'expreffions frivoles Sont d'un déclamateur amoureux de paroles,

Il faut, dans la douleur, que vous vous abaissiëz; Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez : Ces grands mots, dont alors l'acteur emplit sa bouche, Ne partent point d'un cœur que fa mifere touche. Il eft certain que Despréaux (& fon Commentateur en convient) avoit en vue, dans ces vers, la premiere fcene de la Mort de Pompée, où, d'abord après les quatre premiers vers, Ptolomée traduit une longue tirade de Lucain, belle, fi l'on veut, dans un poème épique, mais déplacée entierement dans le commencement d'une tragedie, où l'on ne fauroit expliquer trop fimplement & trop clairement le fujet qu'on va traiter. Despréaux a fagement remarqué, à l'occafion de cette faute, qu'elle eft même contraire à la raifon. Ce font-là, dit-il, dans la préface de fa traduction du Traité du fublime, des chofes, que Longin appelle fublimes, & qu'il auroit beaucoup plus admirées dans Corneille, s'il avoit vécu du temps de Corneille, que ces grands mots dont Ptolomée remplit fa bouche au commencement

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14 Despréaux, Art. Poët. Chant. III.

de

de la mort de Pompée, pour exagérer les vai nes circonstances d'une déroute qu'il n'a point vue. Il n'y a rien en effet de plus ridi cule, qu'un Roi, qui fait une defcription pompeufe d'une bataille à laquelle il ne s'eft point trouvé, & qui la fait dans fon Confeil, qui fait auffi bien que lui qu'il parle d'une chofe qu'il ne connoît que trèsmédiocrement, & fur une rélation dont une partie peut être trompeufe.

On prétend que Despréaux, peu content de critiquer les ouvrages de Corneille, a encore affecté de décrier fon goût. Les partifans du Poëte tragique veulent en fai re un crime à Despréaux: ils ne peuvent lui pardonner ces vers.

25 Mais ce -parfait Cenfeur se trouve rarement.
Tel excelle à rimer, qui juge fortement;
Tel s'eft fait, par fes vers, diftinguer dans la. Ville,
Qui jamais de Lucain n'a diftingué Virgile.

Mais pourquoi faire un crime à Despréaur d'une chofe jufte & véritable? Il eft certain, que Corneille eftimoit infiniment Lucain, & qu'il l'égaloit à Virgile. N'étoit-ce pas là manquer de goût? Despréaux n'eft pas le feul homme illuftre, dans la République

25 Art. Poët. Chant. IV.

des

des lettres, qui ait fait ce reproche à Corneille. Le fage la Bruyere prétend, que fon goût étoit fi peu für 26 qu'il ne jugeoit de la bonté de fes pieces, que par l'argent qui lui en revenoit. Les journalistes de Trévoux, pour défendre Corneille & blâmer Despréaux leur ennemi, font, à ce fujet, un grand éloge de Lucain, & l'élevent le plus haut qu'il leur eft poffible. On reproche, difent-ils, à Corneille, d'avoir eftimé Lucain; & fur cela on l'accufe d'avoir le goût peu fur, & de juger fottement. Une décifion fi magiftrale & fi noblement exprimée, foutenue même de tant de traits lancés contre la belle traduction de la Pharfale en vers François, où Brébeuf eft auffi Lucain que Lucain même, n'empêcheront pas un grand nombre d'excellens connoiffeurs de trouver dans Lucain dans fon Traducteur, des penfees brillantes, fans être fauffes; des fentimens généreux; une expreffion pleine de force; des peintures qui frappent, un vrai fublime. A quoi fert tout ce verbiage? Despréaux n'a point reproché à Corneille d'avoir eftimé Lucain, mais de l'avoir autant eftimé que Virgile. Il ne s'agit pas de favoir, s'il y a de beaux endroits dans la Pharfale: il eft question de pro

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26 Caractères &c. Chap. des jugemens. Subra

prononcer entre le mérite de Virgile & de Lucain; comme ayant tous les deux fait un Poême épique. Or tous les gens qui auront le goût für & éclairé, conviendront que l'Enéide eft un Poëme épique plus parfait que la Pharfale, quoique ce dernier ouvrage foit fort beau. Quant à ce que dit Mr. de la Bruyere, fur la maniere dont Corneille jugeoit de la bonté de fes pieces, il eft für qu'il n'a presque fait que répéter ce que Corneille avoit dit lui même. Despréaux le félicitant fur le fuccès de fes tragédies & fur la gloire qui lui en revenoit: Oui, dit-il, je fuis fou de gloire, & affamé d'argent. C'eft à ces paroles que Despréaux fait allufion, dans les fix vers fui

vans:

27 Je fais qu'un noble esprit peut, fans honte & fans crime,

Tirer de fon travail un tribut legitime:

Mais je ne puis fouffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoutés de gloire & d'argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d'un Libraire,
Et font d'un art divin un métier mercenaire.

Voilà toutes les différentes critiques que Despréaux a faites, fur les ouvrages & fur le caractère de Corneille. Je les crois jus

$7 Art Poët. Chant. IV.

tes,

tes, fages & équitables: & je ne pense point qu'il ait fongé à diminuer le mérite & la réputation de ce grand Poëte: mais il s'eft cru obligé de dire ce qu'il penfoita Ne lui a-t-il pas rendu juftice dans plufieurs endroits? J'en placerai ici quelques uns, que ma memoire me fournit au hafard.

28 En vain contre le Cid un Miniftre fe ligue; Tout Paris pour Chiméne a les yeux de Rodrigue: L'Academie en corps a beau le cenfurer;

Le public révolté s'obstine à l'admirer.

9 Et parmi tant d'auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connoît qui te peuvent louër,
Oui, je fais qu'entre ceux, qui t'adreffent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.

30 Muses, dictez fa gloire à tous vos Nourriffons: Son nom vaut mieux, pour eux, que toutes vos leçons.

Que Corneille, pour lui rallumant fon audace,
Soit encor le Corneille & du Cid & d'Horace.

6. X.

SUR MR. RACINE.

Il eft temps de venir au portrait que Mr. de Voltaire a fait, de l'illuftre Racine:

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