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que pure déclamation dans les plus excellentes pieces de Corneille: mais je dirai, hardiment, que ces endroits font vicieux, déplacés, & qu'il s'en trouve malheureuse.. ment dans toutes les pieces de Corneille, je n'en excepte aucune. Le cinquieme acte des Horaces, outre qu'il caufe une dupli cité d'action dans la piece, ne contient presque que les plaidoyers de deux décla mateurs. La premiere Scene de Cinna eft une tirade de foixante à quatre vingts vers qui ne fignifient rien, qui font très - inutiles à la piece, & qu'on fupprime entierement aujourd'hui. Dans Rodogune il y a deux récits infupportables, & d'une longueur af freuse.

En relevant les défauts de Corneille il s'en faut bien que je veuille rabaiffer la gloire qu'il s'eft fi justement acquife. Je le regarde comme un de ces génies heureux que trente fiècles produifent à peine; je le confidere cómme le Pere du théatre françois; j'admire la grandeur de fes fentimens, la nobleffe de fes idées, la variété & la majefté de fes caractères: mais je fuis bien éloigné de vouloir comme les Journalistes de Trevoux, faire l'apothéose non feulement de fes défauts, mais encore de fes dernieres pieces. On fera furpris, qu'il

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y ait eu des gens qui ayent entrepris ferieufement la defenfe d'Agéfilas, de Suréna, de Pulchérie: que ne fait point faire l'efprit de parti! il s'agiffoit de critiquer Boileau, & d'abaiffer Racine, que les Moliniftes n'aiment point. L'Agefilas 20, difent ces Journalistes, n'eft pas comparable aux chefs d'oeuvres de Corneille, ni même, à fon Attila: mais c'eft fe jouer du public que de traiter de piece miferable, une comédie Héroïque d'un goût nouveau, où parmi les perfonJonnages d'un caractère fingulier, Agefilas & Lyfandre paroiffent tels que l'Hiftoire nous les fait connoltre; une piece dont le denouement eft

o Memoires, &c. du mois de Mai 1717. Article LVIII.

* Pradon a fait une tragédie qui cft fuperieure à toutes les autres qu'il a compofées, & dans la quelle il y a deux fort belles fcenes. Despréaux compare en vain Regulus avec Pirame: cette derniere piece de Pradon eft fort mauvaise, & Regulus a de très beaux endroits; la fcene de Regulus avec fon fils a fait pleurer toute la France; & cette piece s'eft foutenue au théatre pendant affez longtemps, je l'ai vu jouer encore il y a quelques années dans les provinces. Quoique l'on ne puiffe mettre au rang des bonnes tragedies celle de Re gulus, je la placerai volontiers à la tête des médiocres, ainsi que je préfere à tous les madrigaux celui de l'Ab

eft un effort Héroïque d'Agéfilas, qui triomphe en même temps de l'amour & de la vengeance. Il n'eft rien d'auffi fingulier que cette prétendue Apologie de l'Agéfilas. Quoi! parce qu'une piece eft d'un goûit nouveau, elle est bonne? Il faut favoir auparavant fi ce goût nouveau eft bon.

Or il a été trouvé

fi mauvais, que depuis, pas un feul auteur de diftinction n'a daigné l'imiter. Agéfilas & Lifandre paroiffant tels que l'Histoire nous les fait connoître, rendent-ils excellente la piece dans laquelle ils font introduits? Si Pradon 21 avoit fait une piece où il eût introduit Neron fur la fcene, fans dou

bé Cotin, autre victime de l'humeur fatirique de Des préaux. Voici ces vers charmans.

Iris s'eft rendue à ma foi:

Qu'eût elle fait pour fa défense?

Nous n'etions que nous trois, elle, l'amour & moi,
Et l'amour fut d'intelligence.

Despréaux étoit quelquefois, non-feulement injufte avec les bons auteurs, qu'il critiquoit mal à propos, inais encore avec les médiocres, qu'il immoloit à la risée de fes lecteurs, fans diftinguer ce qu'ils avoient de bon, & de mauvais: bien different en cela de l'illustre Bayle qui dans les extraits qu'il faifoit des livres les plus médiocres, avoit l'art de trouver de l'or au milieu de l'alliage qui le couvroit. Bayle étoit un fage philofophe, & Despréaux un poëte fatirique fpirituel.

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doute, il l'eût dépeint comme un méchant homme: en conclurra-t-on qu'il eût fait une bonne tragédie? Dans celle d'Hippolite, où Pradon vouloit lutter avec Racine, il dépeignit Phedre & Thefée tels que l'hiftoire les fait connoître les Journa liftés de Trévoux devroient tenter de faire l'apologie & l'éloge de cette piece. Un

de leurs favans confreres a déjà voulu prou ver ce paradoxe. Je refpecte trop fon mé rite pour le nommer, & pour ne pas lui pardonner ce mauvais jugement, en faveur de tant d'excellens qu'il a donnés. Quant au denouement d'Agéfilas que les Journa liftes vantent fi fort, il est assez fimple, & l'auteur le plus médiocre peut introduire fur la fcene un perfonnage qui à la fin de la piece, triomphe de l'amour & de la vengeance, c'eft-à-dire céde fa maitreffe, & pardonne à fon ennemi. Je pourrois citer ici vingt pieces très-mauvaifes qui fe terminent par ce triomphe de l'amour & de la vengeance.

Tous les efforts des Journalistes de Tréyoux n'ont pu détruire, & ne détruiront

22 Despréaux Art Poëtiq. Chant. IV.
23 Interdum fpeciofa locis morataque recte

Fabula; nullius veneris, fine pondere arte

Ja

mais les juftes & fages critiques que Despréaux a faites de certains défauts de Corneille: je vais les parcourir le plus fuccintement qu'il me fera poffible.

Que dès le premier vers l'action préparée,
Sans peine du fujet applaniffe l'entrée.

Je me ris d'un Acteur qui lent à s'exprimer De ce qu'il veur d'abord ne fait pas m'informer; Et qui débrouillant mal une pénible intrigue, D'un divertissement ne fait une fatigue. Il eft certain, que Mr. Despréaux avoit en vue, dans ces vers, le commencement de quelques pieces de Corneille, & furtout, celle de Cinna. Avoit-il tort? Pour le justifier entierement, je placerai ici les premiers vers de la premiere fcene de cette tragédie. On verra d'abord un tas de confufes merveilles, qui n'offrent, comme dit Horacc, que 23 d'harmonieufes paroles à l'oreille. Impatiens défirs d'une illuftre vengeance, Dont la mort de mon Pere a formé la naissance, Enfans impétueux de mon reffentiment,

Que ma douleur féduite embraffe aveuglément,

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Vous prenez fur mon ame un trop puiffant empire, &c. Tout le refte de la fcene eft écrit dans le

même goût, & ne fert de rien à l'explica

tion

Valdius oblectat populum, meliusque moratur,
Quàm verfus inopes rerum, núgæque canora. Horat.
‚ De Art. Poët. Vers) 322.

TOM. XI.

D

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