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§. IX.

17 CORNEILLE.

Je paffe aux trois derniers Auteurs, fur lesquels j'ai encore quelque chofe à oppo

fer

réduit une jeune nonain, l'appellât par distraction ma chere entelechie: mais un poëre, qui compofe ses vers à loifir, fi ce mot lui échappe, doit l'effacer, quand fa maîtresse ne sait pas le grec.

Defpréaux eftimoit autant Marot, qu'il meprifoit Ronfard: il exhorte les poëtes qui écrivent dans le genre fimple & naif de regarder Marot comme leur modele. Imitons de Marot l'élegant badinage

Et laiffons le burlesque aux plaifans du Pont-neuf. Le même Despréaux, qui jugeoit fi favorablement de Marot, condamnoit Ronfard avec mépris.

Marot bientôt après fit fleurir des balades, Tourna des triolets, rima des mafcarades, A des refreins réglés affervit les rondeaux, Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux, Ronfard qui le fuivit, par un autre méthode Réglant tout, brouilla tout, fit un art à fa mode, Et toutefois longtemps eut un heureux destin: Mais fa Mufe en françois parlant grec & latin, Vit dans l'age fuivant, par un retour grotesque, Tomber de fes grands mots le fafte pédantesque. 17 Pierre Corneille, naquit à Rouen le 6 Juin 1606, & mourut à Paris lė 1 Octobre 1684. étant doyen de l'Academie françoife, où il avoit été reçu le 22 Janvier 1647. Ce fut lui qui forma le théatre françois, pour la tragédie, ainfi que Moliere le perfectionna pour la

fer à Mr. de Voltaire. Le premier eft Mr. Corneille. Je trouve que ce qu'on en dit dans le Temple du goût eft très-juste mais je penfe qu'on n'en dit point affez, & que la critique eft trop fuccinte.

Ce

Comédie. Les tragédies qu'on avoit compofées pour le théatre françois avant Corneille, péchoient également par la conduite, & par les mœurs: c'étoient presque toujours de froides déclamations, des pensées ampoulées ; l'enflure y étoit employée pour le fublime, & les éve nemens fans vraiffemblance pour des fituations intéreffantes. C'est ce que l'on peut voir dans la tragedie de Pi rame & Thisbé, par Theophile, poëte qui ne manquoit pas d'imagination, mais qui n'avoit aucun gofr pour le théatre, ni aucune exactitude pour la verfification. C'étoit encore bien pis avant Theophile, qui vécut fous le regne d'Henri IV. & au commencement de celui de Louis XIII. La tragédie, fous François I. n'étoit qu'un dialogue informe, quelquefois indécent, fouvent burlesque, fur les plus auguftes mystères de la religion. La comédie dans ce même temps étoit une mauvaise farce qui n'amuferoit pas aujourd'hui la plus vile populace. On commença fous Henri IV. à faire quelques pieces plus honnêtes; sous Louis XIII. nos poëtes comiques imiterent les comédies efpagnoles; il y avoit dans leurs poëmes de la conduite, des évenemens intéreflans; le dialogue avoit le ton de celui des gens polis & bien élevés: mais les mœurs & les ridicules des hommes n'y étoient presque pas dépeints. Enfin Corneille donna fa comedie du Menteur, piece excellente, imitée de celle de Dom Lopès. Moliere vint, & donna à la Comédie

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Ce grand & fublime Corneille,
Qui plut bien moins à notre oreille
Qu'à notre efprit, qu'il étonna;
Ce Corneille qui crayonna
L'ame d'Augufte, de Cinna,
De Pompée & de Cornelie,
Jettoit au feu fa Pulcherie,
Agéfilas, & Surena;

Et facrifioit fans foibleffe,
Tous ces enfans infortunés,
Fruits languiffans de la vieilleffe,
Trop indignes de leurs aînés.

Mr. de Voltaire, qui a critiqué fi févérement tant d'Auteurs, fe contente de condamner les dernieres pieces de Corneille: helas! grand Dieu! les premieres ont- elles jamais été lues ou récitées dans le Temple du goût? Quoi dans ce Temple on auroit oui Melite, la Galerie du Palais, Medée, l'illufion, &c. En ce cas il auroit été fort injufte de bruler Pulchérie, Agéfilas & Surena; car ces pieces font infiniment plus paffables que celles que je viens de citer. Perfonne n'a

mieux

françoise, par fon Mifantrope, fon Tartufe, fon Ecole des femmes, fes Femmes favantes, &c. le même degré de perfection que Pierre Corneille avoit donné peu de temps auparavant à la Tragédie par celle du Cid, des Horaces & de Cinna. Corneille laiffa alors Rotrou & Tristan, qui avoient été fes rivaux & fes émules, dans

mieux déterminé le véritable prix du grand Corneille, que Mr. Defpréaux; & perfonne n'étoit mieux en état de le faire que lui. On a contrarié pendant un temps fa fage décifion: aujourd'hui un homme de goût n'oferoit penfer autrement que lui. Cor neille 18, dit-il, eft celui de tous nos Poëtes qui a fait le plus d'éclat en notre temps, & on ne croyoit pas qu'il pût y avoir jamais en France un Poëte digne de lui être egalé. Il n'y en a point en effet qui ait eu plus d'élevation de génie, ni qui ait plus compofe. Tout fon mérite pourtant à l'heure qu'il eft, ayant été mis par le temps dans un creuset, fe réduit à huit ou neuf pieces de théatre, qu'on admire, & qui font, s'il faut ainfi parler, comme le midi de fa poëfie, dont l'Orient & l'Occident n'ont rien valu: encore dans ce petit nombre de bonnes pieces, outre les fautes de langue qui y font affez fréquentes, on commence à s'appercevoir de beaucoup d'endroits de déclamation, qu'on n'y voyoit

point

les premieres tragedies qu'il avoit compofées, bien au dessous de lui; quoique nous ayons de ces deux auteurs deux tragedies, qui font encore eftimées aujourd'hui: la premiere eft le Venceslas de Rotrou, & la feconde la Mariane de Tristan.

18 Reflexions Critiques sur Longin. Reflex. VII.

point autrefois. Ainfi non-feulement on ne trouve point mauvais qu'on lui compare au jourd'hui Mr. de Racine, mais il fe trouve me me quantité de gens qui le lui préferent.

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Mr. de Voltaire convient lui-même de ces endroits de déclamation qui fe trouvent dans les plus belles pieces de Corneille, en droits qui paroiffent merveilleux aux gens qui n'ont point de goût, & qui font con damnés par ceux qui en ont. C'est à C'est à propos du Caton de Mr. Addiffon Poëte Anglois, que Mr. de Voltaire remarque très judicicufement combien Corneille s'eft aban donné, même dans fes meilleures pieces, au génie & au ftile de la déclamation. Le premier Anglois 19, dit-il, qui ait fait une pieee raisonnable, & écrite d'un bout à l'autre avec élégance, c'est l'illuftre Mr. Addiffon. Son Caton d'Utique eft un chef-d'oeuvre pour la beauté des vers. Le rôle de Caton eft à mon gré fort au deffus de celui de Cornelie dans le Pompée de Corneille. Car Caton eft grand fans enflure, & Cornelie, qui d'ailleurs n'eft pas un perfonnage néceffaire, vife quel quefois au galimathias. Je n'oferois me fervir du mot de galimathias, en parlant de plufieurs endroits empoulés & qui ne font

19-Lettres fur les Anglais. Lettre XXI.

que

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