Page images
PDF
EPUB

vaife fortune? Il n'a pas fait une démar„,che en arriere, il a fongé aux périls de ,,l'Etat, & non pas aux fiens; & tout le ,,changement qu'on a vû en lui durant ce „temps-là, eft qu'au lieu qu'il n'avoit ac,,coutumé de fortir qu'accompagné de deux cents gardes, il fe promena tous les jours, fuivi feulement de cinq ou fix Gentils,,hommes. Il faut avouer qu'une adverfité foutenue de fi bonne grace & avec tant de force, vaut mieux que beaucoup de prosperités & de victoires. Il ne femble pas „fi grand, ni fi victorieux, le jour qu'il ,,entra dans la Rochelle, qu'il me le parut ,,alors: & les voyages qu'il fit de fa maifon à l'Arsenal, me femblent plus glorieux pour lui, que ceux, qu'il a faits de-là les ,,monts, & desquels il eft revenu avec Pignerol & Suze. Il connoît, que les plus nobles & les plus anciennes conquêtes font celles des cœurs & des affections; que les lauriers font des plantes infertiles, qui ne „donnent au plus, que de l'ombre, & qui ,,ne valent pas les moiffons & les fruits ,,dont la paix eft couronnée. Il voit, qu'il n'y a pas tant de louanges à étendre de ,,cent licues les bornes du Royaume, qu'à ,,diminuer un fou de la taille, & qu'il y a ,,moins de grandeur & de véritable gloire

C 2

„à dé.

,,à défaire cent mille hommes, qu'à en met,,tre vingt millions à leur aife, & en fureté. "Auffi ce grand Efprit, qui n'a été occu,,pé, jusqu'à préfent, qu'à fonger aux ,,moyens de fournir aux frais de la guerre, ,,à lever de l'argent & des hommes, à pren,,dre des Villes & à gagner des batailles, ,,ne s'occupera déformais qu'à rétablir le repos, la richeffe & l'abondance." 14

§. VIII.

* MAROT & RONSARD.

Il me refte encore à parcourir quelques endroits du Temple du goût de Mr. de Voltaire,

[ocr errors]

14 Voiture naquit à Amiens: fon Pere étoit marchand de vin en gros, fuivant la cour: c'est pourquoi il fut élevé à Paris. Il fuivit Mr. le Duc d'Orleans en Lan guedoc dans les troubles du royaume: de-là il fut envoyé pour quelques affaires en Espagne pour contenter fa curiofité. Il fur fort estimé à Madrid, & il y fit des vers Efpagnols que tout le monde croyoit être de Don Lopès de Vega, tant la diction en étoit pure! Le Duc d'Olivares, premier Miniftre en Efpagne, lui témoigna beaucoup de bienveillance: il fit deux voyages à Rome, & fut envoyé à Florence porter la nouvelle de la naiffance de Louis XIV. Il eut diverfes charges; il fut Maître d'Hôtel chez le Roi, & Introducteur des Ainbaffadeurs chez le Mr. le Duc d'Orleans. Cependant

taire: je le ferai le plus fuccintement qu'il me fera poffible. Il réduit Marot à fept feuillets. Rouffeau n'auroit-il pas un peu de part dans une décifion auffi rigoureufe; & Mr. de Voltaire ne jugeroit il pas le maître auffi févérement, pour décréditer le difciple, & pour rendre méprisable ce qu'on appelle communément le Stile Ma rotique. Quant à moi je penfe, que, de quatre ou cinq tomes des Oeuvres de Marot, on en compoferoit un feul, qui pourroit n'être rempli que de très-jolies Pie

ces 16

6. IX.

comme la cour eft le fejour de l'envie, fa naiffance lui étoit fouvent reprochée par des railleries & des bons mots. C'est lui qui a renouvelé l'ufage des rondeaux, qui étoit comme perdu depuis le temps de Marot. Il mourut à l'âge de cinquante & un an. Ses œuvres ne furent publiées qu'après fa mort en un feul volume, qui fut reçu du public avec tant d'approbation qu'il en fallut faire deux éditions en fix mois.

Is Clement Marot naquit à Cahors en Querci, vers l'an mil quatre cents nonante fept, & mourut à Turin en 1544. âgé de 49. ans, profcrit de fon pays, & fu gitif de Geneve, où il avoit été condamné au fouer.

16 Marot avoit fi bien connu le génie de la langue françoife, dans le ftile fimple & naïf, que les plus grands

poëtes de nos jours, tels que la Fontaine & Rouffeau ont voulu écrire dans son goût, & ont emprunté fon ftile, dans les épitres familieres, & furtout dans les épigrainmes. Je conviens que ce ftile ne vaut rien dans la poëfie noble & élevée: auffi perfonne ne s'en eft il ferví; Ronfard même, qui vint peu de temps après Marot, ne l'employa point, il s'en forma un nouveau, mais plus defectueux que celui de ce poëte, parce, qu'il s'exprima d'une maniere obscure; mêlant des mots grecs & latins avec les françois. Il naturalifa une fi grande quantité de termes étrangers, que les lecteurs ne le comprirent qu'avec peine. Cependant il acquit d'abord une grande réputation: mais bien loin qu'elle se soit foutenue, ainsi que celle de Marot, quelque temps après fa mort on commença à l'eftimer beaucoup moins, & dans le fiècle de Louis XIII. à peine le lifoit-on. Il eft étonnant qu'il ait joui, je ne dis pas après fa mort, de fa réputation, mais qu'il l'ait acquife pendant fa vie, car tous les lecteurs, qui ne savent pas le grec, trèsfouvent ne devoient pas l'entendre: citons en ici une preuve.

Ha que je fuis marri que la muse françoise

Ne peut dire ces mots comme fait la grégeoise,
Ocymore, dyfpotme, oligochronien!

Certes, je les dirois du fang Valéfien.

Expliquons d'abord ce que ces trois mots fignifient, & remarquons qu'ils font défigurés par la façon dont ils font rendus & écrits en françois. Ocymore, il eut fallu écrire ocumore, parce que l'y autrement de des Grecs eft leur v, & fe prononce neceffairement comme un u en françois, Ronfard auroit du donc écrire ocumore, & duspotme, parce qu'il y a un t dans le Grec. Ve

nons à la fignification de ces termes: ocumore, ὠκύμορος veut dire qui a une courte destinée, ce mot là eft compofé de wxv's prompt, & de poiga deftin. Duspotme dureros fignifie infortuné: il est compofé de dus & de TOTμos, le fort; la particule dus eft toujours prife pour exprimer les terines de mal, de difficile, de mauvais, &c. Oligochronien, yoxgórios veut dire, qui eft d'un temps fort bref; ce mot eft formé de "ayos peu, & de xgóvos le temps.

Avant d'expliquer ce que difoit Ronfard, remarquons qu'il falloit qu'un lecteur fût tout ce que nous venons de voir pour qu'il eût quelque idée de ce que vouloit lui apprendre cet auteur. Actuellement voici la pensée de Ronfard: il faifoit une épitaphe fur la mort de François L. & fur celle de Marguerite de France, & il difoit: ,,Ha que je fuis fâché que la langue françoise ne puisse „pas exprimer, ainfi que la greque, par un feul mot, „,qui a une courte destinée, qui est infortuné, & qui ,,ne dure qu'un temps fort brief! je dirois tout ce,,la de la race des Valois." Ronfard ne parloit pas plus clairement à fa maîtreffe qu'aux autres personnes: il lui dit, dans une piece de vers qu'il lui adreffe, n'étes vous pas ma chere entelechie, svrsaixue, qui fignifie proprement perfection, acte parfait. Ce mot a été inventé par Ariftote pour définir la nature de l'aine, qu'il ne connoiffoit pas, & que nous ne connoiffons pas plus que lui: mais moyennant son entelechie il ne reftoit pas court lorsqu'il étoit obligé de parler de l'ame. Ce mot tire encore d'affaire tous les jours les philofophes fcolaftiques. Je ne ferois donc pas furpris, que quelque Profeffeur Dominicain ou Cordelier, careffant dans un

www

« PreviousContinue »