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§ VII. k

VOITURE.

Mr. de Voltaire a fort maltraité Voiture: il paroît, qu'il ne l'eftime point du tout. Jofe n'être point, dans cette occafion, de Ton fentiment. Je crois même en avoir quelques raifons qui me paroiffent plaufibles. Voiture, dit-il, eft celui de tous ces illuftres du temps, qui eut le plus de gloire,

celui dont les ouvrages le méritent le moins; fi vous en exceptez quatre ou cinq petites pieces de vers, &, peut-être, autant de lettres.... Cependant Voiture a été admiré; parce qu'il eft venu dans un temps où l'on commençoit à fortir de la barbarie, 5 où l'on couroit après l'efprit, fans le connoître. Il est vrai, que Despreaux l'a comparé à Horace; mais Despreaux étoit alors fort jeune: il payoit vo-. lontiers ce tribut à la réputation de Voiture, pour attaquer celle de Chapelain, qui paljoit alors pour le plus grand génie de l'Europe. *Cette critique de Mr. de Voltaire fe réduit

à deux

grands démêlés avec fes confreres les Academiciens, qui le mirent hors de leur corps. Il demandoir à un de fes amis, qui avoit pris foin de lui pendant une maladie très-grande, à combien pouvoit monter la depenfe? Cet ami prit le mémoire, & fe mit à lire: tant "pour la viande de vos bouillons, tant pour vos mede

à deur points. Le premier, c'eft que les ouvrages de Voiture ne valent rien; le fe cond, c'eft que Boileau ne les a loués que pour faire de la peine à Chapelain; & d'ailleurs, dans le temps qu'il les a loués, il étoit très-jeune, & n'avoit point encore un goût formé. J'examinerai d'abord ce der nier Article; parce que, s'il eft vrai, que Boileau ait loué, dans tous les temps, les ouvrages de Voiture, cela influera fur le cas qu'on en doit faire; &, dès-lors, l'autorité d'un juge tel que notre Horace moderne, formera un préjugé confidérable. Il eft vrai, que je trouve dans les premiers ouvrages de Boileau, l'éloge de Voiture: mais je le trouve auffi dans ceux qu'il a faits lors de fa plus grande gloire & cet éloge eft d'autant moins fufpect, qu'il eft en Profe, & qu'il ne doit rien de fon prix à la néceffité de la rime; il eft même donné dans l'occafion, qui intéreffoit le plus Boileau: je veux dire,

au

cins, tant pour votre chirurgien, tant pour votre apoticaire, tant pour le porte- Dieu & fon compagnon, tant pour les deux prêtres qui vous ont adminiftré l'extrême-onction: à ces deux derniers articles Furetiere s'écria: Ha Monfieur, vous n'avez ruiné en fa

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au fujet de la dispute fur la fuperiorité des anciens & des modernes. Je passerois, ditil, en écrivant à Mr. Perrault, condamnation fur la Satyre fur l'Elégie; quoiqu'il y ait des Satyres de Regnier admirables, & des Elégies de Voiture, de Sarazin, de la Comeffe de la Suze, d'un goût infini. Il ne s'agiffoit point, en parlant ainfi de Voiture, d'établir fa réputation, aux dépens de celle de Chapelain: ils étoient morts depuis longtemps l'un & l'autre lorsque cette lettre a été écrite. Mr. de Voltaire dira peut-être que Boileau, dans un autre endroit, a blâme Voiture. J'en conviens: il a condamné le penchant qu'il avoit pour les jeux de mots; mais ça été avec toute la circonfpection poffible, & en mêlant beaucoup de louanges à une légére critique.

Le Lecteur ne fait plus admirer dans Voiture
De fon froid jeu de mots l'infipide figure.
C'eft à regret qu'on voit cet auteur fi charmant
Et pour mille beaux traits vanté fi justement,
Chez foi toûjours cherchant quelque fineffe aiguë
Présenter au Lecteur fa penfée ambiguë.

Je pourrois encore dire, (fi je voulois rejetter cette décifion de Boileau,) qu'elle fe trouve dans un ouvrage qui eft indigne de lui, & qu'on regarde comme un foible enfant de fa vieilleffe. Mr. de Voltaire ofe

roit-il dire le contraire, lui qui, dans le portrait qu'il fait de Boileau, lui reproche ce même ouvrage?

La régnoit Despréaux, leur maître en l'art d'écrire,
Lui, qu'arma la raison des traits de la Satyre,
Qui, donnant le précepte & l'exemple à la fois,
Etablit d'Apollon les rigoureufes loix.

Il revoit fes enfans avec un oeuil févére, De la trifte équivoque, il rougit d'être Pere; Er rir des traits manqués du pinceau foible & dur, Dont il défigura le Vainqueur de Namur; Lui-même il les efface, & femble encor nous dire, Ou fachez vous connoître, ou gardez vous d'écrire. Sans vouloir que toutes les lettres de Voiture foient charmantes, je me contenterai de foutenir, qu'il en eft plufieurs qui font très-bonnes, & c'eft, à mon gré, outrer les chofes, que de n'en trouver que trois ou quatre de paffables.

Monfieur de Voltaire cite plufieurs paffa ges de quelques lettres de Voiture. Je conviens que ces paffages font mauvais, je conviens même qu'il en auroit pu rappor ter bien d'autres qui ne valent pas mieux, mais qu'auroient ils prouvé? Qu'il y avoit plufieurs lettres de Voiture, & même la moitié, fi l'on veut, qui font mauvaises; les autres, qui font réellement bonnes, ne le feroient pas moins cependant. Combien d'auteurs n'ont pas fait d'excellens & de TOм. XI. C

pi

pitoyables ouvrages! La différence du fentiment de Mr. de Voltaire au mien ne confifte qu'en ce que j'admets, pour le moins, le tiers des lettres de Voiture, comme bonnes, & que lui ne veut en reconnoître que trois ou quatre comme telles. Au refte j'uferai du même privilége, que Mr. de Voltaire. Il a voulu détruire Voi

rure par fes propres ouvrages; & moi je le défendrai par l'endroit dont il s'eft fervi pour lui nuire. Je placerai ici un paffage de la lettre que Voiture écrivit, après que la Ville de Corbie eut été reprise sur les Efpagnols: il y fait l'éloge du Cardinal de Richelieu. Je foutiens, que depuis que l'Academie Françoife eft établie, parmi ce grand nombre d'Eloges, qu'on y a prononcés fur ce Miniftre, il n'en eft pas un meilleur: le voici.

,,Nos ennemis font à quinze lieues de ,,Paris, & les fiens font en dedans. Il a ,,tous les jours avis, que l'on fait des pra ,,tiques pour le perdre. La France & l'Espagne, par maniere de dire, font conju,,rées contre lui feul. Quelle contenance a ,,tenu parmi tout cela cet homme que l'on ,,difoit qui s'étonneroit au moindre mau,,vais fuccès, & qui avoit fait fortifier le Havre pour s'y jetter à fa premiere mau

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