Page images
PDF
EPUB

fournit, & je prie les Lecteurs de juger, s'ils font du goût de ceux de Chapelain.

Non, cruel! tu n'es point le fils d'une Déesse;
Tu fuças, en naissant le lait d'une tigreffe :

Et le Caucafe affreux, t'engendrant en courroux, Te fit l'ame & le cœur plus durs que fes cailloux. Je placerai ici les vers originaux de Virgile: ceux qui entendent le Latin pourront d'abord juger fi Segrais eft un traduc teur fi mauvais.

[ocr errors]

8 Nec tibi diva parens, generis nec Dardanus Auffor, Perfide? Sed duris genuit te ́cautibus horrens

Caucafus, hircanæque admorunt ubera tigres.

Voici encore un paffage de la même traduction.

D'autres Peuples fauront l'art d'animer le cuivre
Leurs marbres fembleront & refpirer & vivre,
D'autres de l'Eloquence emporteront le prix,
Ou décriront l'Olympe, & fon riche lambris:
Ton art, Peuple Romain, ton illuftre science
Sera d'affervir tout à ta vafte puissance,

De te rendre, en tout lieu, dans la guerre & la paix,
L'effroi des ennemis, & l'amour des fujers.

Voici les vers Latins: j'ofe dire, que je les trouve fort bien rendus dans les François.

9 Excudent alii fpirantia mollius æra:

Credo equidem, vivos ducent de marmore vultus.

Virg. Æneid. Lib. IV.

9 Virg. Æneid. Lib. VI.

Ove

[ocr errors]

Orabunt caufas meliùs; cœlique meatus ~
Defcribent radio, & furgentia fidera dicent.
Tu regere Imperio populos, Romane, memento:
Hæ tibi erunt artes; facisque imponere morem,
Parcere fubjectis, & debellare fuperbos.

Plus j'examine la traduction de Segrais, &
plus je fuis perfuadé, que c'eft lui faire.
une injuftice, que de la comparer à la Pu-
celle de Chapelain. Mais enfin, quand

Mr. de Voltaire auroit raifon fur cet Article, il n'en feroit pas moins vrai, que Segrais auroit fait d'affez bonnes églogues, & qu'en qualité de poëte Paftoral, il auroit été loué par Defpreaux.

Que Segrais dans l'Eglogue en charme les forêts. Si cette louange d'un Poëte, juge fevere, ne doit pas être prife à la lettre, elle eft toûjours de quelque poids, quoiqu'en dife Mr. de Voltaire. Segrais a fait un Poëme Paftoral fous le titre d'Athis, dans lequel il a parfaitement exprimé cette douce & ingénieufe fimplicité qui fait le principal caractère de l'Eglogue 10.

§. VI.

10 Peut-on voir des vers plus tendres & plus naturels que ceux que Segrais fait dire à un amant dédaigné, qui veut flêchir fa maitreffe?

Arrête fugitive: hé quoi fuis-je à tes yeux,

Un tigre dévorant, un monftre furieux?

[merged small][merged small][ocr errors]

Je paffe à un Auteur qui me paroît encore plus refpectable que ceux que je viens de tâcher de juftifier en partie: c'eft St. Evremont. Mr. de Voltaire le place parmi les Auteurs qui font exclus du rang: des génies: l'Europe entiere dément cette décifion. Jamais perfonne ne penfa peut-, être auffi profondément, auffi folidement, & en même temps auffi naturellement, que St. Evremont. Lorsque Mr. de Voltaire l'appelle l'inégal St. Evremont, qu'enrend-il par cette épithéte? Veur-il dire, fimplement, comme il l'infinue dans une note, qu'il étoit mauvais Poëte? En cela, je fuis entierement de fon opinion. Mais à peine les vers forment-ils le demi-quart de fes ouvrages: & prefque tous ces mêmes vers n'ont paru qu'après fa mort; il ne les avoit point destinés à voir le jour Quant à fes ouvrages en Profe, je ne fais aucune difficulté de dire, que je les trouve

pres

Ce que tu crains en moi n'est rien qu'une étincelle,
Du beau feu qui t'anime, & qui te rend fi belle :
Mais il brule en tes yeux, & brule dans mon cœur;
Il caufe te beauté comme il fait ma langueur.

[ocr errors]

presque tous excellens. Mr. le Clerc 11 qui avoit certainement de l'efprit & de Férudition, & que l'Europe regarde encore aujourd'hui comme un des plus grands hom mes qu'elle ait eus, dit que Mr. de St. Evremont étoit plein de bon fens & de pénétration. Un ami de Mr. de Voltaire, eftimé généralement dans la République des Lettres, s'exprime dans ces termes, en parlant des Réflexions fur les divers génies du Peuple Romain par Mr. de St. Evremont. ,,Il a traité ces matieres en homme confommé dans la fcience du monde, & dans la ,,connoiffance des affaires civiles. & mili,

** Bibliotheque choifie, Tom. IX. pag. 326.

12

,,tai

Dans plufieurs endroits de fon Diction. Hift. & Crit. & dans fes nouvelles de la République des lettres, dans les penfées diverfes fur les Cometes, &c.

13 Monfieur de Saint Evremont, ayant effuyé quelques désagrémens du Cardinal Mazarin, quita le fervice de France, & fe retira en Angleterre, où il paffa le refte de fa vie. Les Anglois l'eftimerent fi fort, qu'a près fa mort ils l'enterrerent dans l'Eglise de Westmunster, ott font inhumés les Rois d'Angleterre, & lui éleverent un fort beau tombeau. Ils ont placé dans le mêine temple la fepulture de Newton, & celle de Mademoifelle Olfield célebre actrice. Pour faire mieux fentir aux François la barbarie qu'ils ont eue d'enterrer Mademoiselle le Couvreur, dont la réputation fera immor

taires. Il eft fi bien entré dans le génie ,,de ces anciens Romains, il a demêlé avec ,,tant d'art leurs différens intérêts & les ,,vues particulieres de leurs chefs, que je ,,ne crois pas hafarder beaucoup, en difant „qu'il ne s'est encore rien fait de meilleur fur l'hiftoire Romaine." Mr. Bayle 12 penfoit ainfi que Mr. Desmaizeaux, fur le compte de St. Evremont, & j'oferois avancer ici hardiment qu'il n'est pas un feul auteur contemporain ou poftérieur à Mr. de St. Evremont, qui, lorsqu'il a parlé de lui, n'ait convenu, que c'étoit un génie 13 au deffus du médiocre,

§. VII.

telle, dans un terrain auprès de la Grenouillere; ou Mr. d'Argental, hoinme de qualité, ayant beaucoup de mézite & d'efprit, aidé de deux de ses amis, la porta pen. dant la nuit, & inhuma en cachete une perfonne, qui pendant fa vie avoit iiluftré la France par fes talens, & fait l'adiniration de l'Europe.

Mr. de Saint Evremant mourut âgé de plus de quatre vingts dix ans avec la plus grande tranquillité! il ne vou lut être affifté d'aucun prêtre, ni d'aucun miniftre, mais il vit tous fes amis jusqu'au dernier moment. Il laissa un legs aux pauvres de toutes les differentes communions, & de toutes les differentes fectes qui font à Lons dres. S'il étoit revenu de fa maladie, il n'auroit pas eu l'occafion de tenir le même discours que Furetiere, l'au -teur d'un très bon dictionnaire, qui lui occafionna de

« PreviousContinue »