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plus-part n'avoient guères que l'esprit de leur temps, non cet efprit qui passe à la derniere poftérité.

Déjà de leurs foibles écrits

Beaucoup de graces font ternies:

Ils font comptés au rang des beaux efprits;
Mais exclus du rang des génies.

Je conviens d'abord, avec Mr. de Voltaire, que Balzac a un mérite bien inférieur à celui que lui ont attribué fes contemporains; je penfe encore qu'on peut dire la même chofe de Pavillon & de Peliffon. Quant à Benferade, fans vouloir difputer avec Mr. de Voltaire, je me contenterai d'oppofer le fentiment de Defpréaux au fien. Il ne m'appartient pas de vouloir décider entre deux auffi grands hommes.

Non noftrum inter vos tantas componere lites 4.

Voici comment penfoit, fur Benferade, le
Poëte de la raison: C'eft le furnom, que
Mr. de Voltaire donne lui même à Des-
préaux.

Que de fon nom chanté par la bouche des belles
Benferade en tous lieux amufe les ruelles s.

Les plus belles paroles fur lesquelles, le fameux Lambert ait fait des airs, font de Ben

fe

Virgil. Eclog. 3:

ferade. Il y a encore des Ballets faits par le même auteur, qui ne font point méprifables. Il eft vrai, que fon ouvrage des Métamorphofes d'Ovide eft médiocre: cependant on y trouve, de temps en temps, quelques morceaux fpirituels du nombre desquels eft ce Rondeau.

Ce garçon chafte, & qui fut refifter,

Avoit vingt ans, au moins, à bien compter:
Il plut aux yeux d'une Reine fort belle,
Qui déploya tout ce qui fur en elle
De plus charmant afin de le tenter.

Mais n'ayant pu jamais le furmontér
Elle fe mit à le perfécuter

10 Et fit périr, par une mort cruelle,
Ce garçon chafte.

Plus d'une fois effaya Jupiter

E

D'en faire un autre, & fi bien l'imiter

Que fa figure enfin fut toure telle:

Mais en ayant égaré le modéle,

Le plus court fut de le reffufciter

Ce garçon chaste.

Voici encore un autre Rondeau du même ouvrage, qui me paroît bon.

Ocyroé changée en Jument.*

Qu'on diroit bien des choses fortement
Sur cette fille & fur fon changement:

s Boileau, art poëtiq. dernier chant.

Tant

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Tant de fcience à la fois dans la tête,
Une harangue à faire toujours prête,
Et n'avoir plus que le henniffement.
Si l'on difoit aufli qu'apparemment
Des juftes Dieux le profond jugement
Punit l'orgueil arrivé jusqu'au faîte,
Qu'on diroit bien!

Nous ne faurions parler fort furement
Ni de l'instinct ni du raifonnement.
Et que fait-on ce que pense une bête;
Une favante, & qui fe fait de fête,
N'eft pas toujours fi loin d'une Jument
Qu'on diroit bien..

Au

6 Nous placerons encore ici deux autres rondeaux de Benferade, qui ne le cedent pas aux deux que nous avons rapportés. Comme l'ouvrage d'où nous les prenons eft devenu rare, nous croyons faire plaifir à ceux de nos lecteurs qui ne l'ont pas :

Deucalion & Pirra.

A coups de pierre ils ne s'attendoient guere
De repeupler l'univers folitaire.

Deucalion & Pirra feuls jetoient,

Non fans horreur, les os de leur grand' mere.

Simples cailloux en langage vulgaire

Eroient ces os, Sur la foi du mistere

Le grand debris du monde ils rajuftoient
A coups de pierre.

Tous deux avoient leurs pareils à refaire,

Ce n'étoit pas une petite affaire.

De leur travail, comme ils s'y comportoient

Corps, têtes, bras, mains, jambes, pieds, fortoient

Au-refte, en voulant tâcher de réhabiliter 6 Benferade, par l'approbation de Boileau, je ne faurois déguifer à mes Lecteurs, que dans un autre endroit, cet habile juge l'accufe d'avoir abufé des pointes & des jeux de mots.

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Je ferois mieux, j'entends, d'imiter Benferade: -
C'est par lui qu'autrefois mis, en ton plus beau jour
Tu fus, trompant les yeux du Public, de la Cour,
Leur faire à la faveur de tes bluettes folles,
Goûter comme bons mots, tes quolibets frivoles.

Ils firent là ce qu'on ne voit plus faire
A coups de pierre.

Pan & Syrinx.

A quel ufage où foit mis l'amour même,
Il a fouvent une amertume extréme.
A ses plaifirs Pan un peu trop enclin
Avec Syrinx veut unir fon deftin,
Et quiteroit pour elle un diademe.
Elle le fuit, elle en eft feche & blême;
Lui pour la vaincre use de stratagèine.
Elle eft adroite, & du monde malin
A quelque ufage.

N'en pouvant plus, par la bonté supreme
Elle eft changée en roseau: Pan blaspheme;
De ce rofeau delicat tendre & fin

fin

Il fait fa flute, & n'eft-ce rien en
Que de pouvoir employer ce qu'on aime
A quelque ufage?"

Ces

Ces derniers vers de Boileau ne détruisent point les louanges qui fe trouvent dans ceux que j'ai déjà cités. Je crois qu'on peut conclurre de leur oppofition, que Benferade a fait de bons & de mauvais ouvra ges. C'eft ce que Mr. de Voltaire auroit du dire, du moins, dans une note, s'il jugeoit à propos de le fupprimer dans le texte de fon ouvrage.

§. V.

SEGRA I S.

Il me paroît que Segrais 7 auroit encore plus de raifon de fe plaindre de Mr. de Voltaire. Je conviens, qu'il a fait un mauvais Opera; qu'il y a apparence, qu'il n'est point l'auteur de Zaïde, que Mr. Huet a donné à Madame de la Fayette; fa traduction de l'Enéide de Virgile eft un ouvrage très-médiocre, quoi qu'il s'en faille bien qu'il foit écrit du ftile de la Pucelle de Chapelain, comme le prétend Mr. de Voltaire. Je choifis, de cet ouvrage, au hafard, quelques vers, que ina mémoire me four

7 Jean Renaud de Segrais, gentilhomme ordinaire de Mademoiselle, Ducheffe de Montpenfier, naquit à Caen le 22 Août 1624. & mourut le 25 Mars 1701. âgé de 77 ans.

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