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entretenir entre les deux fexes, pour la tranquillité & pour l'augmentation des familles. Je demande fi un homme qui méditera fur les vers fuivans, cù Aftolphe & fon ami, après avoir cherché avec foin, une pucelle, ne trouvent qu'une Catin, concevra une bonne opinion des filles qui paroiffent les plus fages & les plus innocentes.

De la chappe à l'Evêque, hélas ils se battoient,
Les bonnes gens qu'ils étoient.

Quoi qu'il en foit, Joconde eut l'avantage
Du prétendu pucelage.

La belle étant venue en leur chambre le foir,
Pour quelque petite affaire,

Nos deux aventuriers près d'eux la firent seoir;
Louérent fa beauté, tâcherent de lui plaire;
Firent briller une bague à fes yeux.

A cet objet fi précieux,

Son cœur fit peu de réfistance.

Le marché fe conclut, & des la même nuit,
Toute l'Hotellerie étant dans le filence,

Elle vient les trouver fans bruit.

Au milieu d'eux ils lui font prendre place,
Tant qu'enfin la chofe fe paffe

Au grand plaifir des trois, & furtout du Romain,
Qui crut avoir rompu la glace.
Je lui pardonne, & c'eft en vain
Que de ce point on s'embarraffe;
Car il n'eft fi fotte après tout
Qui ne puiffe venir à bout

De

De tromper à ce jeu le plus fage du monde.
Salomon, qui grand Clerc étoit,

Le reconnoît en quelque endroit,

Dont il ne fouvint pas au bon homme Joconde.
Il se tint content pour le coup,
Crut qu'aftolphe y perdoir beaucoup.
Tout alla bien, & maître pucelage
Joua des mieux fon perfonnage.*

Un jeune gars pourtant en avoit effayé. Quoique ces vers foient bien capables d'infpirer des fentimens très-défavantageux pour le beau fexe; il y en a encore dans le même Conte, qui font, a mon avis plus pernicieux: ce font ceux, dans lesquels il eft parlé de ce livre où Aftolphe & fon Compagnon Joconde écrivent les noms de toutes les belles qu'ils avoient mifes à mal pendant leur voyage. L'idée eft finguliere & plaifante: mais elle n'en eft pas moins contraire aux égards qu'on doit avoir pour tout ce qui peut contribuer au bien de la Société.

Joconde approuva fort le deffein du voyage.

Il nous faut dans notre équipage,

Continua le Prince, avoir un livre blanc,

Pour mettre le nom de celles,

Qui ne feront pas rebelles,
Chacune felon fon rang.

Je confens de perdre la vie,

Si devant que fortir des confins d'Italie,
Tout notre livre ne s'emplit,

Et

Et fi la plus févére à nos vœux ne se range.

Nous fommes beaux, nous avons de l'efprit;
Avec cela, bonnes lettres de change:
Il faudroit être bien étrange,
Pour réfifter a tant d'appas,

Et ne pas tomber dans les lacqs
De gens, qui fémeront l'argent & la fleurette,
Et dont la perfonne eft bien faire.
Leur bagage étant prêt, & le livre fur-tout,
Nos galans fe mettent en voie.

Je ne viendrois jamais à bout

De nombrer les faveurs que l'amour leur envoie ;
Nouveaux objets, nouvelle proie.

Heureufes les beautés qui s'offrent à leurs yeux!
Et plus heureuse encor celle qui peut leur plaire!
Il n'eft, en la plupart des lieux,
Femme d'Echevin ni de Maire,
De Podeftat, de Gouverneur,

Qui ne tienne à fort grand honneur,
D'avoir en leur Registre place, &c.

Je ne faurois mieux finir ce que j'ai à dire fur les Contes de la Fontaine, qu'en citant Despréaux, qui ayant fait une Differtation, pour montrer que la Fontaine étoit fupérieur à l'Ariofte, dans la maniere de conter agréablement, & qu'il avoit mieux compris l'idée & le caractère de la Narration, (ce font fes propres termes) a cependant condamné févérement, dans un autre endroit, la licence qu'il a prife, & la maniere libre dont il a écrit.

80 Que votre ame & vos mœurs peintes dans vos

ouvrages,

N'offrent jamais de vous que de nobles images.
Je ne puis eftimer ces dangereux auteurs
Qui de l'honneur en vers infaines déferteurs,
Trahiffant la vertu fur un papier coupable,

Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice ai-
mable.

La Fontaine reconnut fur la fin de fes jours, combien fes Contes étoient pernicieux, il les condamna publiquement. Voici ce que dit à ce fujet Mr. l'Abbé d'Olivet, dans fon Hiftoire de l'Académie. 81 Prêt à recevoir le viatique, il détefta fes Contes, les larmes aux yeux, & fit amende honorable devant Meffieurs de l'Academie, qu'il avoit priés de fe rendre chez lui par députés pour être témoins de fes difpofitions préfentes; proteftant, que s'il revenoit en fanté, il n'employeroit fon talent pour la poésie, qu'à écrire fur des matieres pieufes, qu'il étoit réfolu à paffer le reste de fa vie, autant que les forces le permettroient, dans l'exercice de la pénitence. Quand la Fontaine n'auroit' point été dévot, dans les derniers momens de fa vie, il auroit du, comme honnête homme, être faché d'avoir compofé ces Contes; puis

80 Despréaux Art. poët. Chant. IV.

puisqu'ils ne font guéres moins contraires au citoyen qu'au Chrétien.

Je viens aux ouvrages pofthumes, dont on a publié un ample recueil. Mr. de Voltaire a raifon de vouloir en fupprimer la plus grande partie. La Fontaine convenoit, que tous fes ouvrages n'étoient pas d'un prix égal; il avoit voulu effayer trop de genres différens: il nous apprend lui même que c'étoit-là fon défaut.

Papillon du Parnasse, & semblable aux abeilles,
A qui le bon Platon compare nos merveilles,
Je fuis chofe légére, & vole à tous sujets,
Je vais de fleur en fleur & d'objets en objets;
A beaucoup de plaifir je mêle un peu de gloire.
J'irois plus haut peut-être au Temple de Mémoire,
Si dans un genre feul j'avois ufé mes jours.
Mais quoi! je fuis volage en vers comme en amours.

Mr. l'Abbé d'Olivet prétend, que le même efprit qui préfidoit à la conduite de la Fontaine, préfidoit à fes compofitions. Esprit fimple, ingenu, fenfé, galant; mais inconftant, diftrait, pareffeux, il ne mettoit pas toujours la derniere main à fes ouvrages: mais jusqu'aux morceaux qu'il a le plus négligés, tout décele en lui un grand Maître.

81 Hiftoire de l'Academ. pag. 344. Tom. II.

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