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Il y a dans les fables de la Fontaine, un fond de philofophie qu'on trouve rarement dans les meilleurs ouvrages: il avoit puifé les fentimens philofophiques qu'il répandus dans presque toutes fes fables, chez les auteurs anciens les plus diftingués, dont la lecture faifoit fa principale occupa tion. C'eft un fait, que nous apprend Mr. l'Abbé d'Oliver; & les preuves qu'il en donne, font convaincantes. On ne s'imagineroit pas 67, dit-il, que la Fontaine faifoit fes délices de Platon & de Plutarque. J'ai tenu les exemplaires qu'il en avoit; il font notés de fa main à chaque page: 5 j'ai pris garde, que la plupart de fes notes étoient des maximes de morale ou de politique, qu'il a femées dans fes fables. Ces maximes font fi parfaitement placées, & fi bien ajustées. au fujet à propos duquel elles font citées, qu'il eft presque impoffible de reconnoître qu'elles ayent été prifes dans un autre ouvrage, pour être placées dans celui de la Fontaine. Les réflexions les plus ferieufes & les plus fenfées font ménagées avec tant d'art, qu'elles femblent naître néceffairement de la fable dans laquelle elles font employées.

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7 Hist. de l'Academie françoise Tom. II. p. 340.

La

La Fontaine a pris beaucoup de fes fables dans Efope, dans Phédre & dans quelques autres auteurs anciens: mais il ne s'eft pas fi fort attaché à fes originaux, qu'il ait voulu en être le traducteur. Il a imité, il eft vrai, les écrivains grecs & latins, mais il les a égalés.

Aux fables ordinaires, dans lesquelles les animaux, & même les chofes inanimées, ont l'ufage de la parole, la Fontaine en a joint un grand nombre d'une autre espéce, qui font de petites hiftoires morales, gracieufement contées, & qui pourroient être véritables. C'eft, ordinairement, dans ces fortes de fables qu'il a mis fes plus beaux préceptes de morale. Je me contenterai de citer ici un exemple, qui ne peut manquer de plaire à tous les gens de génie; puisque c'eft, peut-être, le plus court, mais le meil leur panégyrique qu'on ait fait de l'esprit, la plus naïve & la plus vive fatyre de l'impertinence des riches ignorans.

68 Entrre deux Bourgeois d'une Ville
S'emut jadis un différent.

L'un étoit pauvre, mais habile;

L'autre riche, inais ignorant.

68 Fable 160.

Celui

Celui-ci fur fon concurrent
Vouloit emporter l'avantage;
Prétendoit que tout homme fage

Etoit tenu de l'honorer.

C'étoit tout homme fot: car pour quoi révérer
Des biens dépourvûs de mérite?

La raifon m'en femble petite,

Mon ami, difoit-il fouvent,

Au favant:

Vous vous croyez confidérable:

Mais dites moi, tenez vous table?

Que fert à vos pareils de lire inceffamment?

Ils font toujours logés à la troifieme chambre;
Vêtus au mois de Juin, comme au mois de Decembre;
Ayant pour tout laquais leur ombre feulement.

La République a bien affaire

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De gens qui ne dépensent rien:
Je ne fai d'homme néceffaire,

Que celui, dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en ufons, Dieu fair, notre plaifir occupe L'Artifan, le vendeur, celui qui fait la jupe,

Et celle, qui la porte, & vous qui dédiez
A Meffieurs les gens de Finance

De méchans livres bien payés.
Ces mots, remplis d'impertinence,
Eurent le fort, qu'ils méritoient.

L'hoin

69 Voyez la fable 188. fur l'ame des bêtes, & la 38. fur l'aftrologie judiciaire, &c. Bernier avoit voyagé jusques dans les Indes à l'exemple des philofophes anciens. Quand il revint de ses voyages, il publia fes Doиtes philofophiques, fon meilleur ouvrage, & qui font im

L'homme lettré fe tut: il avoit trop à dire;
La guerre le vengea bien mieux qu'une fatire.
Mars détruifit le lieu que nos gens habitoient:
L'un & l'autre quitta fa Ville.
L'ignorant refta fans afile,

Il recut par-tout des mépris;

L'autre recut par tout quelque faveur nouvelle :
Cela décida leur querelle.

Laiffez dire les fots: le favoir a fon prix.

II y a encore, dans plufieurs Fables de la Fontaine, des traits de phyfique, qu'il y a placés d'une maniere très-ingénieufe. Ce n'eft pas qu'il s'appliquât beaucoup à la phyfique: mais les converfations & les entretiens journaliers qu'il avoit eus avec Bernier, le Traducteur & l'abréviateur des ouvrages de Gaffendi, l'avoient rendu phyficien 69, pour ainfi dire, fans qu'il s'en apperçut. Ce Bernier logeoit, avec lui, chez Madame de la Sabliere, qui avoit un génie fupérieur, & qui aimoit les fciences & les favans. La Fontaine difoit, en parlant de fon efprit, qu'il avoit beauté d'homme, avec

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primés à la fuite de fon abrégé de la philofophie de Gaffendi. Voici ce qu'il dit dans la preface de fes Doutes. Il n'en eft pas de la philofophie comme des arts, „plus on s'exerce dans les arts, plus on s'y fait savant : ,,thais plus on fpécule fur les chofes naturelles, plus on

grace de femme. Cette Dame pourvut, pendant vingt ans, aux befoins de la Fontaine, qui peut être, fans elle, après avoir mangé le peu de bien qui lui reftoit, fe feroit trouvé dans de grands embarras.

Le premier maître de la Fontaine fut Malherbe: ce fut dans les écrits de ce poëte, qu'il puifa le goût de fes premiers ouvrages. Mais enfuite il prit Horace, Virgile & Terence pour guides. Il crut entrevoir, dans les auteurs Latins, une certaine naïveté noble & ingénieufe, qu'il ne trouvoit point dans Malherbe, qui lui paroiffoit pé

cher

,,decouvre qu'on y eft ignorant. Il y a trente à quarante ,,ans que je philofophe, fort perfuadé de certaines cho,,fes, & voilà que je commence d'en douter; bien pis, ,,il y en a dont je ne doute plus, désespérant de pou voir y jamais rien comprendre." Si les voyages operoient fur plufieurs de nos philofophes modernes fi décififs, la même retenue que fur Bernier, on ne fauroit affez leur confeiller de voyager.

70 François Rabelais naquit à Chinon, ville de Tou. raine, vers l'an 1483. & mourut non à Meudon, comme l'ont écrit quelques auteurs, mais à Paris, dans la rue des Jardins fur, la paroiffe de St. Paul en 1553. Une des plus rares éditions de Rabelais eft celle-ci : Les œuvres de Mr. François Rabelais contenants la vie, faits & dits heroïques de Gargantua & de fon fils Pan

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