Je l'ai vaincu, Princeffe, & le Dieu des combats C'est l'effet des ardeurs qu'ils daignoient m'infpirer. Ne pourroit-on pas, avec jufte raison, ajou, ter Céfar aux Heros de Roman de Despréaux? Je fuis certain, qu'il figureroit parfaitement dans le Dialogue qu'a fait cet auteur. Hélas, lui diroit Pluton, à quoi penfez vous, Jules Céfar? Il faut que votre cervelle foit entierement dérangée. Faitesvous attention à tous ceux qui vous écoutent? Et pour qui les prenez vous, lorsque vous voulez leur perfuader, que vous vous battiez à Pharfale pour l'amour de Cléopatre? La furprife de Pluton augmenteroit encore bien d'avantage, lorsque Céfar lui répondroit. Tout iniracle eft facile où mon amour s'applique. Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie: Il me femble d'ouïr Pluton s'écrier: Ha! Cefar, vous êtes tout à fait devenu fou, le changement de climat vous a été préjudiciable, les chaleurs de l'Egypte ont dérangé votre cerveau. Quoi! Cefar veut que Rome humiliée vienne tomber aux piés d'une Reine; il Deut que cette même Rome lui demande de répudier une Romaine, pour prendre une Etrangére, qui donnera des Maîtres aux Romains! He! depuis quand avez vous ces vifions cornues, vous qui penfiez fi différemment lorsque vous viviez? Est-ce que vous avez bû de Teau du fleuve Lethé, qui vous a fait perdre la mémoire de vos anciens fentimens? Si Pluton eût connu la tragédie de la Mort de Pompée, il auroit pu combattre les fentimens ridicules de Céfar par ceux qu'il y a dans la même piece, & qui font dignes d'un véritable Romain. Il auroit dit, fans doute, à cet Empereur: Et quoi! Céfar, avez vous oublié, dans un inftant, ce que vous avez répondu à Ptolomée, lorsqu'il vous a dit? Seigneur, montez au Trône, & commandez ici. Vous avez rejeté très noblement cet offre, comme indigne d'un Romain. 59 Connoissez vous Céfar de lui parler ainsi? A moi, 49 A&t. III. Scéne ij. A moi, qui tiens le Trône égal à l'infamie? Certes, Rome, à ce coup, pourroit bien se vanter D'avoir eu jufte lieu de me perfécuter; Elle, qui d'un même œil les Qui ne voit rien aux Rois, donne & les dédaigne; qu'elle aime ou qu'elle craigne ; Et qui verfe en nos cœurs, avec l'ame & le fang, Et la haine du nom, & le mépris du rang. Comment accorder l'idée que Céfar & les Romains avoient des Rois, avec la promeffe de ce même Céfar à Cléopatre? Il y a, dans tout cela, un contrafte qui frappe, & qui feroit aujourd'hui tomber une nouvelle piece: cependant ce contrafte fe trouve dans une des meilleures pieces de Corneille. Je laiffe aux véritables connoiffeurs, qui jugent fans paffion, à décider fi Corneille a toujours fait parler les Romains en Romains, & fi comme le prétend Mr. de St. Evremont, il ne les a jamais fait descendre de leur grandeur, même en leur prétant les foibleffes de l'amour. Que diroient les ennemis de Racine, s'il avoit fait dire à Céfar, que Rome viendroit demander un Empereur à une Reine, & qu'il eût dit, un inftant auparavant, au frere de cette Reine? Vous qui devez respect au moindre des Romains. On trouve, dans les pieces de Corneille des endroits, où le poëte, en élevant l'es prit des fpectateurs, l'ément, l'excite & lui caufe les plus forts mouvemens: il l'étonne par les grands objets qu'il lui présente, & le tient dans une furprife qu'on peut con fidérer comme une efpéce d'admiration, qui ne détruit cependant, ni ne diminue les effets produits par la crainte & la terreur, comme lorsque Cléopatre prend la réfolution de faire mourir fes deux fils, plutôt que de quitter la Couronne. II Qui fe vange à demi, court lui même à fa peine. Il est doux de périr après ses ennemis : Et de quelque rigueur que le destin me traite, y a dans ces vers, une force qui frappe, qui étonne les fpectateurs, qui les emeut, qui leur caufe des mouvemens auxquels ils ne fauroient réfifter: l'esprit eft élevé, faifi, enchanté: mais le cœur n'en eft pas moins effrayé; l'admiration enfin ne diminue rien de la terreur 60 Racine a parfaitement, imité Corneille, dans ces endroits qui paroiffent inimitables. Dans Iphigénie, dans Bajazet, dans Athalie, il y a plufieurs morceaux qui ne font point inférieurs à celui que je viens de citer, Tel eft, par exem ple, l'emportement d'Athalie. 61 Qui, ma juste fureur, & j'en fais vanité, J'aurois vû maffacrer & mon Pere & mon Frere, Et, dans un même jour, égorger à la fois, Quel fpectacle d'horreur! quatre vingts fils de Rois? Et moi, Reine fans cœur, Fille fans amitié, Je 60 On voit encore un exemple de cette admiration, qui ne diminue rien de la terreur, dans l'imprécation que fait Camille contre Horace fon frere, lorsqu'il lui apprend qu'il a tué fon amant pour fauver la gloire de Rome. Rome l'unique objet de mon reffentiment, Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant, Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie; |