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Je l'ai vaincu, Princeffe, & le Dieu des combats
M'y favorifoit moins que vos divins appas:
Ils conduifoient ma main, ils enfloient mon courage;
Cette pleine victoire eft leur dernier ouvrage;

C'est l'effet des ardeurs qu'ils daignoient m'infpirer. Ne pourroit-on pas, avec jufte raison, ajou, ter Céfar aux Heros de Roman de Despréaux? Je fuis certain, qu'il figureroit parfaitement dans le Dialogue qu'a fait cet auteur. Hélas, lui diroit Pluton, à quoi penfez vous, Jules Céfar? Il faut que votre cervelle foit entierement dérangée.

Faitesvous attention à tous ceux qui vous écoutent? Et pour qui les prenez vous, lorsque vous voulez leur perfuader, que vous vous battiez à Pharfale pour l'amour de Cléopatre? La furprife de Pluton augmenteroit encore bien d'avantage, lorsque Céfar lui répondroit.

Tout iniracle eft facile où mon amour s'applique.
Je n'ai plus qu'à courir les côtes de l'afrique;
Qu'à montrer mes Drapeaux au refte épouvanté
Du parti malheureux qui m'a perfécuté:
Rome n'ayant plus lors d'ennemis à me faire,
Par impuiffance enfin prendra foin de me plaire,
Et vos yeux la verront par un fuperbe accueil,
Immoler à vos piés fa haine & fon orgueil.
Encore une défaite, & dans Alexandrie

Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie:
Et qu'un jufte refpect conduifant fes regards
A votre chaste amour demande des Céfars.

Il me femble d'ouïr Pluton s'écrier: Ha! Cefar, vous êtes tout à fait devenu fou, le changement de climat vous a été préjudiciable,

les chaleurs de l'Egypte ont dérangé votre cerveau. Quoi! Cefar veut que Rome humiliée vienne tomber aux piés d'une Reine; il Deut que cette même Rome lui demande de répudier une Romaine, pour prendre une Etrangére, qui donnera des Maîtres aux Romains! He! depuis quand avez vous ces vifions cornues, vous qui penfiez fi différemment lorsque vous viviez? Est-ce que vous avez bû de Teau du fleuve Lethé, qui vous a fait perdre la mémoire de vos anciens fentimens? Si Pluton eût connu la tragédie de la Mort de Pompée, il auroit pu combattre les fentimens ridicules de Céfar par ceux qu'il y a dans la même piece, & qui font dignes d'un véritable Romain. Il auroit dit, fans doute, à cet Empereur: Et quoi! Céfar, avez vous oublié, dans un inftant, ce que vous avez répondu à Ptolomée, lorsqu'il vous a dit? Seigneur, montez au Trône, & commandez ici. Vous avez rejeté très noblement cet offre, comme indigne d'un Romain.

59 Connoissez vous Céfar de lui parler ainsi?
Que m'offriroit de pis la fortune ennemie,

A moi,

49 A&t. III. Scéne ij.

A moi, qui tiens le Trône égal à l'infamie?

Certes, Rome, à ce coup, pourroit bien se vanter D'avoir eu jufte lieu de me perfécuter;

Elle, qui d'un même œil les

Qui ne voit rien aux Rois,

donne & les dédaigne;

qu'elle aime ou qu'elle craigne ;

Et qui verfe en nos cœurs, avec l'ame & le fang, Et la haine du nom, & le mépris du rang. Comment accorder l'idée que Céfar & les Romains avoient des Rois, avec la promeffe de ce même Céfar à Cléopatre? Il y a, dans tout cela, un contrafte qui frappe, & qui feroit aujourd'hui tomber une nouvelle piece: cependant ce contrafte fe trouve dans une des meilleures pieces de Corneille. Je laiffe aux véritables connoiffeurs, qui jugent fans paffion, à décider fi Corneille a toujours fait parler les Romains en Romains, & fi comme le prétend Mr. de St. Evremont, il ne les a jamais fait descendre de leur grandeur, même en leur prétant les foibleffes de l'amour. Que diroient les ennemis de Racine, s'il avoit fait dire à Céfar, que Rome viendroit demander un Empereur à une Reine, & qu'il eût dit, un inftant auparavant, au frere de cette Reine?

Vous qui devez respect au moindre des Romains. On trouve, dans les pieces de Corneille des endroits, où le poëte, en élevant l'es

prit des fpectateurs, l'ément, l'excite & lui caufe les plus forts mouvemens: il l'étonne par les grands objets qu'il lui présente, & le tient dans une furprife qu'on peut con fidérer comme une efpéce d'admiration, qui ne détruit cependant, ni ne diminue les effets produits par la crainte & la terreur, comme lorsque Cléopatre prend la réfolution de faire mourir fes deux fils, plutôt que de quitter la Couronne.

II

Qui fe vange à demi, court lui même à fa peine.
Il faut ou condamner, ou couronner fa haine.
Dût le Peuple en fureur, pour fes Maîtres nouveaux,
De mon fang odieux arrofer leurs tombeaux';
Dût le Parthe vainqueur me trouver sans défense;
Dúr le Ciel égaler le fupplice à l'offense:
Trône, à t'abandonner je ne puis consentir.
Par un coup de tonnere il vaut mieux en fortir;
Il vaut mieux mériter le fort le plus étrange.
Tombe fur moi le Ciel, pourvu que je me venge:
J'en recevrai le coup d'un vifage remis.

Il est doux de périr après ses ennemis :

Et de quelque rigueur que le destin me traite,
Je perds moins à mourir, qu'à vivre leur fujette.

y

a dans ces vers, une force qui frappe, qui étonne les fpectateurs, qui les emeut, qui leur caufe des mouvemens auxquels ils ne fauroient réfifter: l'esprit eft élevé, faifi, enchanté: mais le cœur n'en eft pas moins effrayé; l'admiration enfin ne diminue rien

de la terreur 60 Racine a parfaitement, imité Corneille, dans ces endroits qui paroiffent inimitables. Dans Iphigénie, dans Bajazet, dans Athalie, il y a plufieurs morceaux qui ne font point inférieurs à celui que je viens de citer, Tel eft, par exem ple, l'emportement d'Athalie.

61 Qui, ma juste fureur, & j'en fais vanité,
A vengé mes Parens fur ma Poftérité.

J'aurois vû maffacrer & mon Pere & mon Frere,
Du haut de fon Palais précipiter ma Mere,

Et, dans un même jour, égorger à la fois,

Quel fpectacle d'horreur! quatre vingts fils de Rois?
Et pourquoi? pour venger je ne fai quels Prophetes,
Dont elle avoit puni les fureurs indifcretes.

Et moi, Reine fans cœur, Fille fans amitié,
Esclave d'une lache & frivole pitié,

Je

60 On voit encore un exemple de cette admiration, qui ne diminue rien de la terreur, dans l'imprécation que fait Camille contre Horace fon frere, lorsqu'il lui apprend qu'il a tué fon amant pour fauver la gloire de Rome.

Rome l'unique objet de mon reffentiment,

Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant,
Rome qui t'a vu naître, & que ton cœur adore,
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore.
Puiffent tous fes voifins enfemble conjurés
Sapper fes fondemens encor mal affurés:
Et fi ce n'eft affez de toute l'Italie,

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;

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