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Et, cependant, un fripon de Libraire
Des beaux Efprits écumeur mercenaire,
Tout Bellegarde à fes yeux étaloit,
Tout Pittaval, & jusqu'à Desfontaines,
Receuils nouveaux,. & Journaux à centaines,
Et Monfeigneur vouloir lire, & bâilloit.
L'endroit fur les Muficiens ignorans, & fur
leurs admirateurs, eft encore excellent. Il
peint d'après nature.

Du grand Lully vingt rivaux fanatiques,
Plus ennemis de l'art & du bon fens,
Défiguroient, fur des tons glapiffans,
Des vers François en fredons Italiques.
Une Bégueule, en lorgnant, fe pâmoit;
Et certain fat, ivre de fa parure,
En fe mirant, chevrotoit, fredonnoit,
Et de l'index battant faux la mesure
Crioit bravo lorsque l'on détonnoir.

Le Portrait des Commentateurs eft très-ref femblant; il n'y a qu'un feul vers qui me paroît fufceptible d'une jufte critique.

La j'apperçus les Daciers, les Saumaifes,
Gens hériffés de favantes fadaifes;

Le tein jauni, les yeux rouges & fecs;
Le dos courbé fous un tas d'auteurs grecs;
Tous noircis d'encre & couverts de pouffiere;
Je leur criai de loin, par la portiere,
N'allez-vous pas, dans le Temple du Goût,
Vous décraffer? Nous, Meffieurs, point du tout:
Ce n'eft pas-là, grace au Ciel, notre étude;
Le Goût n'eft rien; nous avons habitude 1

De

De rédiger au long, de point en point,

Ce qu'on penfa: mais nous ne penfons point. Il est vrai, au pié de la lettre, qu'il eft peu de gens qui penfent moins que les Commentateurs. Ils font ordinairement oc⭑ cupés à faire des compilations, auffi indi geftes qu'ennuyeufes & nombreufes; ils compofent la moitié d'un gros volume fur un feul paffage qu'ils pourroient expli quer dans trois ou quatre lignes. Mais je n'approuve point que Mr. de Voltaire nomme, parmi les mauvais Commentateurs, peut-être les deux feuls eftimables. S'il avoit dit fimplement, que Dacier étoit un foible traducteur, jaurois été de fon fentiment: mais il le traite d'homme qui n'a écrit que des fadaifes. Ce jugement eft peu jufte, &, pour en convaincre Mr. de Voltaire, je ne veux que lui-même. Il a mis une note dans fon Temple du goût, où il s'exprime en ces termes: Quoique Dacier dé figure Horace, & que fes notes foient d'un fa vant peu fpirituel; fon livre eft plein de recherches utiles, & on loue fon travail, en voyant fon peu de génie. Si les ouvrages de Dacier font pleins de recherches utiles; fi l'on eft obligé de louer fon travail, comment n'est-il qu'un homme herifle & rempli de favantes fadaifes? Il y a, entre les

vers & la profe de Mr. de Voltaire, une contrariété manifefte. Quant à Saumaife, le jugement, qu'il en fait, eft encore fort précipité. Il croit s'excufer, en difant dans une note, que Saumaife eft un auteur savant, qu'on ne lit plus. Mais il refte à savoir, fi on ne le lit plus. Pour moi, je connois bien des gens qui le lifent. Despréaux étoit un homme d'efprit & un excellent juge dans les matieres de belles lettres: lors, qu'il a voulu parler d'un habile Commen tateur, il a cité Saumaife.

Aux Saumaifes futurs préparer des tortures.

§. II.

Il y a plufieurs odes de Mr. de la Mothe fort belles. Mr. de Voltaire convient que le nombre de ses Odes heroïques est au deffus de quinze: celle fur la déclamation, adreffée à Mademoiselle Duclos, célèbre actrice, eft une des plus belles: celle fur la fageffe du Roi fuperieure aux évenemens, eft admirable. Quant aux Odes anacreontiques elles font charmantes, & ont la naïveté & la douceur de celles d'Anacreon. Les tragé dies de Mr. de la Mothe, Romulus, les Maccabées, Inès de Caftro, ont de très beaux endroits: la verfification en eft un peu dure. L'on joue très-fouvent Inès de Caftro; cette piece fe foutiendra toujours par le grand intérêt que l'auteur y a mis. La traduction en vers de l'Iliade eft très foible, pour ne rien dire de plus. Quant aux ouvrages de Mr. de la Mothe en profe, ils font écrits avec autant d'élegance que de clarté, & l'on peut

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§. II,

LA MOTHE HOUDART.

Ce que Mr. de Voltaire dit de Mr. de la Mothe me paroît très vrai: il convient qu'il écrivoit fort bien en Profe & avec goût; qu'il y avoit infiniment d'efprit dans fes vers; mais qu'ils étoient ordinai. rement durs, fur tout ceux qu'il avoit compofés en dernier lieu 2. Tout cela eft vrai en partie: mais j'aurois fouhaité qu'il n'eût point tourné en ridicule le caractère doux & affable de feu Mr. de la Mothe,

Pour

dire qu'en général tous les ouvrages de Mr. de la Mothe, foit en vers foit en profe, font remplis de pensées folides & rendues très-fouvent d'une maniere énergique: tel eft ce vers sur les differents miracles des Apotres : ,,Le muet parle au fourd étonné de l'entendre;" & ceux-ci fur l'inutilité des fermens:

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,,S'ils faifoient dans les cœurs naître les fentimens, „Je t'en demanderois; mais qu'elle eft leur puissance? „Le vice les détruit; la vertu s'en offense.

Voici la vanité des philofophes qui cherchent à fe faire un nom par leur bifarre aufterité, parfaitement dépeinte ,,Envain ce fevere ftoique

,,Sous mille defauts abattu

,,Se vante d'une ame heroïque
,,Toute vouée à la vertu;

Pourquoi donner à un galant homme l'épithete cauftique de Papelard?

Parmi les flots de la foule infensée

De ce Parvis obstinément chassée

Tout

„Ce n'est point la vertu qu'il aime
„Mais fon cœur ivre de lui même
„Voudroit ufurper les autels;
,,Et par fa fagefle frivole

„Il ne veut que parer l'idole

„Qu'il offre au culte des mortels.

La fortune ne décide pas seulement du fort des hommes, mais encore de leur réputation & de leur gloire; malgré les talens fuperieurs qu'ils peuvent avoir, & que le › Destin_cache souvent à la posterité. Voyons cette vérité dépeinte bien noblement.

,,Les champs de Pharfale & d'Arbelle

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II eft certain que Mr. de la Mothe eft un de nos poët tes qui pense le plus, & qui fait le plus penser fes lecteurs: cela récompenfe bien le défaut d'harmonie qu'on lui reproche.

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