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rang sera récompensée d'une médaille d'argent petit module; que celle qui a été classée au second rang vaudra à son auteur une médaille de bronze; que la troisième enfin sera encouragée par une mention honorable.

L'ouverture des plis cachetés joints à ces travaux ayant fait connaître que M. Achille Millien est l'auteur des deux poëmes classés au premier et au second rang, et que M. Louis Oppepin, de Nevers, est l'auteur de « Fleur et Bengali », l'Académie a décidé que les deux premières récompenses se fondraient en une seule et qu'il sera décerné:

A M. Achille MILLIEN, une médaille d'argent;
A M. Louis OPPEPIN, une mention honorable.

LA PAIX,

PAR. M. ACHILLE MILLIEN,

LAURÉAT.

Artem impendere vero.

Sur le chemin poudreux le galop d'un cheval
Fait résonner au loin tous les échos du val.
D'où vient ce cavalier couché sur l'encolure
Du vaillant animal dont il presse l'allure?

Où va-t-il ?... C'est la nuit, nuit de mai, nuit d'amour,
Tiède comme un beau soir, claire comme le jour.

Il s'élève du sol que tapissent les mousses

Un bruit mystérieux avec des senteurs douces,
Et parfois un accord indécis et voilé

Descend des profondeurs de l'azur étoilé.

Les rossignols chanteurs veillent ; la lune blanche
Et l'essaim des zéphyrs se glissent sous la branche...
Mais vainement la nuit épanche, ô voyageur,

Son calme autour de toi : l'orage est dans ton cœur!

C'est un souffle infernal de colère et de haine

Qui contracte ton front farouche et qui t'entraîne
Par la route déserte, à l'heure de minuit!

- Ce rival détesté, dont l'image te suit
Sans cesse dans la foule et dans la solitude,
Dont le nom seul, troublant ta rare quiétude,
Suffit pour t'attrister longtemps; tu l'as pu voir
Passer joyeux, moqueur et triomphant ce soir!
L'âpre ressentiment d'une offense reçue,
Un levain concentré d'ambition déçue

Ont jeté dans ton âme un courroux sans raison.
Tout ton corps a tremblé d'un funeste frisson,

Le vertige t'a pris, une fièvre soudaine

A versé comme un flot embrasé dans ta veine.
Se venger, quelle joie !... et non point à demi!
Du sang, il faut du sang, le sang de l'ennemi !
Son succès n'est-il pas une injure suprême?
Demain... c'est trop attendre !... eh bien! à l'instant
Prépare-toi !... qu'on selle en hâte le cheval! [même !
Va trouver, défier et punir ton rival!

Pars donc ! - Et, vers le toit où cet homme sommeille,
Oubliant, l'insensé ! que ta rancune veille,

Te voici galopant aussi prompt que l'éclair!

Cependant des accords se répandent dans l'air.
C'est, parmi les champs bleus de l'étendue immense,
Le concert solennel des astres qui commence :

<< Loin du tracas servile et des troubles humains,
Depuis l'instant où Dieu nous traça nos chemins,
Nous roulons à travers les hauteurs infinies.
Orbes majestueux ! célestes harmonies!
Aujourd'hui comme hier et demain et toujours,
Les soleils poursuivant un immuable cours,
Dans l'ordre qu'entrevit le prophète extatique,
De la paix, de l'amour entonnent le cantique,
Ineffable prélude au cantique éternel
Que les justes un jour chanteront dans le ciel ! »
L'homme qui sent ses doigts se crisper sur la rêne
Et dont la passion possède en souveraine
L'âme alors asservie aussi bien que les sens,
D'une oreille irritée écoute ces accents.

Il ne modère pas sa course, il l'accélère,
Tandis que, d'une voix à la fois forte et claire,
Un choeur de rossignols anime le buisson
Et que, pour admirer leur suave chanson,
Dans la nature tout semble faire silence.

« A l'heure où l'ouragan gronde avec violence,
Le rossignol se tait, la fleur tremble: aujourd'hui

L'oiseau s'ébat en paix, car l'ouragan a fui
Et la fleur ne craint plus l'haleine desséchante.
Allégeance et repos ! Tout sourit et tout chante,
Tout respire l'espoir, tout aime, tout bénit
Et le gai rossignol, qui veille sur son nid,
Raconte aux bois émus son amour et sa joie ! »

Moins ardent, le cheval sur les cailloux qu'il broie
S'élançait par l'allée à l'abri des vieux troncs.
Le cavalier surpris donna des éperons,

Mais du même concert d'autres notes encore
Pénétraient dans son sein qu'un feu constant dévore,
Chaque être, chaque chose envoyait au passant
Un salut fraternel, un appel caressant.

Ici c'était la voix des sources cristallines

Qui bruissaient dans l'ombre au flanc vert des collines:

« Si la tempête trouble un instant le flot pur,
Notre limpidité revient vite et l'azur

Se reflète au miroir de notre onde sans ride.
Voyageur, quel désire brûle ton âme aride?
Quelle soif te consume? Arrête-toi d'abord :
Le bassin est profond et la fleur croit au bord!
Porte, cher inconnu, notre eau vive à ta lèvre;
Sa fraîcheur salutaire apaisera ta fièvre

Et ton cœur comme nous réfléchira le ciel,
Étant comme nous calme et sans fange et sans fiel! »

L'allure du cheval sur la route sonore
Était plus lente enfin, quoique rapide encore.
Les feuillages frôlés par un soufle sans bruit
Se balançaient au gré des zéphyrs de la nuit
Et voici que bientôt d'harmonieux murmures
S'exhalèrent partout du milieu des ramures:

O passant soucieux, tu nous fuis vainement.
Lorsqu'un nuage obscur voile le firmament,
Nous le chassons au loin, nous, les brises agiles.

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