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déjà si pleine de séductions. Il fut envoyé à Toulouse, pour étudier le droit, et y apprit la nouvelle de la mort de son père. Ce malheur le força de suspendre les graves occupations dont il attendait son avenir, et le réduisit à un tel état de détresse, qu'il adressa une épître à l'évêque d'Amiens pour lui demander de quoi payer ses dettes et revenir dans son pays. De retour à Issoudun, et ayant quatre sœurs à soutenir, il entra d'abord chez un procureur et en sortit pour prendre l'emploi de secrétaire auprès de plusieurs prélats. C'est de là que, quelques années après, il passa au service du duc de Nevers, et enfin à la cour qui l'accueillit avec distinction.

Voilà, en peu de mots, ce que l'histoire nous apprend de François Habert. Or, que dans son emploi de secrétaire auprès de plusieurs prélats, il ait feuilleté la bibliothèque de ses maîtres et trouvé le livre de Jean Raulin, cela est fort vraisemblable, car le Chemin vers le Paradis qui venait de paraître, était dans toutes les mains et très à la mode, dit-on. Curieux comme on l'est à son âge, notre jeune homme a dû sans aucun doute en prendre quelque connais

sance.

En tout cas, une de ses fables le donne fortement à conjecturer.

Jugez vous-mêmes :

Le Lion, le Loup et l'Asne.

(FABLE MORALE.)

Le fier lion, cheminant par la voie,
Trouva un loup et un asne basté,
Devant lesquels tout court s'est arresté,
En leur disant: Jupiter vous convoie!

Le loup, voyant cette beste royale
Si près de soi, la salue humblement :
Autant en fait l'asne semblablement,
Pour lui montrer subjection loyale.

O mes amis! maintenant il est heure,
Dit le lion, d'oster les grands péchés,
Desquels nos cœurs se trouvent empêchés:
Il est besoin que chacun les siens pleure.

Et pour avoir, de la majesté haute,
Du Dieu des cieux, pleine rémission,
Besoin sera qu'en grand'contrition
Chacun de nous confesse ici sa faute.

Ce conseil fut de si grand'véhémence,
Qu'il fut soudain des autres approuvé,
Dont le lion fort joyeux s'est trouvé;
Et ses péchés à confesser commence :

Disant qu'il a, par bois, montagne et plaine,
Tant nuit que jour, causé, las! divers maux,
Et dévoré grand nombre d'animaux,
Bœufs et chevreaux, et brebis portant laine.

Dont humblement pardon à Dieu demande,
En protestant de plus n'y retourner.
Ce fait, le loup le vient arraisonner,
Lui remontrant que l'offense n'est grande.

Comment, dit-il, Seigneur plein d'excellence,
Puisque tu es sur toutes bestes roi,
Eh! qui pourra te donner quelque loi,
Lorsque sur nous tu as toute puissance?

Il est loisible à un prince de faire
Ce qu'il lui plaît, sans contradiction.
Partant, Seigneur, je suis d'opinion
Que tu ne peux, en ce faisant, mal faire.

Ces mots finis, le loup, fin de nature,
Vint réciter les maux par lui commis:
Premièrement, comme il a à mort mis
Plusieurs passants pour en avoir pasture.

Puis, que souvent, trouvant en lieu champêtre,
Moutons camus, de nuit, en clos et parcs,
Il a bergiers et les troupeaux épars,
Pour les ravir, afin de s'en repaistre.

Enfin, qu'il a, en suivant sa coutume,
Fait plusieurs maux aux juments et evi ux,
Les dévorant par monts et par vaux :
Dont il en sent en son cœur amertume.

Sur ce répond, en faisant bonne mine,
Le fin lion: Ceci n'est pas grand cas:
Ta coutume est d'ainsi faire, est-ce pas?
Puis, à cela t'a contraint la famine.

Lors dit à l'asne: Or, conte-nous ta vie,
Et garde bien d'en omettre un seul point;
Car si tu faux, je ne te faudrai point.
Tant de punir les menteurs j'ai envie !

L'asne, craignant de recevoir nuisance,
Répond ainsi : Mauvais sont mes forfaits,
Mais non si grands que ceux-là qu'avez faits;
Et toutefois j'en reçois déplaisance.

Quelque temps fust que j'étais en servage,
Sous un marchand qui bien se nourrissait,
Et au rebours pauvrement me pansait,
Combien qu'il eust de moi grande avantage.

Le jour advint d'une certaine foire,
Où, bien monté sur mon dos, il alla :
Mais arrivé, à jeun me laissa là,
Et s'en va droit à la taverne boire.

Marri j'en fus, car celui qui travaille,

Par juste droit, doit avoir à manger.
Or, je trouvai, pour le compte abréger,
Ses deux souliers remplis de bonne paille.

Je la mangeai sans rien dire à mon maistre,
Et ce faisant, l'offensai grandement,
Dont je requiers pardon très-humblement ;
N'espérant plus telle faute commettre,

- O quel forfait ! ô la fausse pratique !
Ce dit le loup fin et malicieux :
Au monde n'est rien plus pernicieux
Que le brigand ou larron domestique.

Comment! la paille au soulier demeurée
De son seigneur, manger à belles dents!
Et si le pied eust été là-dedans,
La tendre chair eust été dévorée !

Pour abréger, dit le lion à l'heure,
C'est un larron, on le voit par effet;
Or je crois juste, et j'ordonne de fait,
Suivant nos lois anciennes, qu'il meure.

Plutost ne fut la sentence jettée,

Que maistre loup le pauvre asne étrangla :
Puis, de sa chair chacun d'eux se soûla:

Voilà comment elle fut exécutée.

Par quoi appert que des grands on tient compte;
Qu'en faisant mal, ils sont favorisés :

Mais les petits, sans cesse méprisés,

N'ont pour loyer que la peine et la honte.

(TISSOT, p. 148.)

Je ne vous ferai remarquer ni les défauts de mise en scène, ni la simplicité naïve de cette pièce, ce n'est pas mon dessein. Mais si nous rapprochons cette

fable morale du récit du prédicateur que je vous rappelais tout à l'heure, nous y trouvons sans contredit plus d'une différence. Toutefois ces dissemblances ne sont qu'à la surface: le tissu de la fable est le même, les personnages les mêmes à peu près; il y a toujours une confession, une absolution complète des crimes des grands, et le pauvre âne, innocent et sot, ne trouvant pour loyer de ses peccadilles que la peine et la honte.

Ces deux apologues ont donc, il est impossible de le nier, un air de parenté. Comment croire après cela que François Habert n'ait eu connaissance du récit de Jean Raulin?

Voyons maintenant le petit chef-d'œuvre de notre grand fabuliste du dix-septième siècle.

Redire cette fable devant vous, Messieurs, serait une injure, si ce n'était pas pour chacun de nous un savoureux plaisir d'entendre des poésies aussi parfaites que celle-là.

Les Animaux malades de la peste.

(Liv. VII. Fable 1". La Fontaine, p. 143.)

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés: On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie ;

Nuls mets n'excitaient leur envie :

Ni loups, ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie :

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