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trés-disposés à croire qu'il ne saurait pas bien cultiver comme eux. Pour leur inspirer de la confiance, commençons donc par leur prouver que nous sommes de bons cultivateurs suivant leur méthode; faisons-nous pour point de départ une bonne réputation, et puis nous pourrons peu à peu nous éloigner de la route battue sans rencontrer cette opposition formidable qui paralyse tous les efforts et démonte la patience la plus obstinée. Quand, durant plusieurs années, vos ouvriers constatent que vous connaissez aussi bien qu'eux tous les détails de la vie agricole, alors ils prennent confiance en vous et ne craignent pas de vous suivre, petit à petit, dans la carrière d'innovation où vous les faites marcher avec vous, et où vous ne pourriez faire un pas sans eux.

Et alors vos voisins se disent: Je connais M. N... pour un bon cultivateur: puisqu'il emploie aujourd'hui de nouveaux procédés, ce procédé doit être avantageux.

Telle était la méthode recommandée par l'agronome; maintenant voyons le cultivateur à l'œuvre.

Le 23 avril 1829, il avait entrepris l'exploitation directe du domaine de Maizery, dont il portait bientôt la contenance à 183 hectares.

Durant les premières années, il étudie le sol de sa ferme et les méthodes de ses voisins: il ne se distingue d'eux que par le soin plus attentif avec lequel il applique les mêmes méthodes. Mais peu à peu il met à profit le résultat de ses observations.

Les terres arables renfermaient un grand nombre de pierres qui entravaient l'action des instruments. Il y fait passer une charrue renforcée suivie d'ouvriers armés de pioches et employa le produit de l'épierrement à drainer les parties humides et marécageuses

du domaine. Le drainage, continué au moyen de tuyaux, assainit plus de 10 hectares de terre. Il fit creuser une mare improductive, planter des arbres pour l'ombrager et y recueillit les eaux du drainage. Puis rassemblant, et y mélangeant en temps opportun les eaux pluviales, il créa et arrosa un pré de deux hectares. Un ingénieux système de chéneaux mobiles en tôle lui permettait d'y faire couler les purins de la ferme et de tripler ainsi la récolte.

Les routes vicinales étaient dans un déplorable état; il fournit gratuitement des ouvriers et des matériaux pour en améliorer la viabilité.

Les batiments furent transformés d'après les meilleurs modèles. Il y établit une machine à vapeur pour faire mouvoir une batteuse, un moulin à farine et une scie circulaire. Grâce à ce dernier appareil il débitait rapidement et à peu de frais les bois nécessaires aux constructions et à l'exploitation.

Ce fut en 1829 qu'il établit à Maizery la première machine à battre du canton; puis il introduisit successivement le coupe-racines Dombasle, les charrues anglaises Hornsby, les râteaux à cheval de Howard, la faneuse Nicholson, la faucheuse-moissonneuse Lallier, la moissonneuse Samuelson.

Ses soins se portèrent en même temps sur l'amélioration du bétail. Il importa dans ses étables les reproducteurs Durham, les vaches suisses, la race écossaise sans cornes.

Parmi les visiteurs auxquels il montrait, avec la plus gracieuse obligeance, les travaux qu'il avait effectués à Maizery, il en est qui remarquèrent avec surprise, les dimensions multiples et diverses qu'offrait, dans la même étable, la hauteur des plafonds et des

mangeoires, et la multiplicité des races que renfermait la bergerie.

Ces dépenses lui procuraient-elles un bénéfice immédiatement réalisable?

Là n'est point la question, répondait M. Lapointe; l'agriculteur n'est point un être égoïste qui travaille seulement pour lui et pour le présent, il doit songer à ses semblables et à l'avenir. Pour inventer un procédé nouveau, il faut en effet aussi bien que pour explorer une contrée nouvelle, affronter un danger, s'imposer un sacrifice. M. Lapointe pensait avec raison que ce devoir incombait à tous ceux qui possèdent des loisirs, de l'intelligence, des capitaux.

C'est en se basant sur les résultats précis de ses expériences, suivies avec une judicieuse constance, que M. Lapointe parvint à déterminer les races, les méthodes, les constructions qui s'adaptent le mieux à notre sol et à notre climat.

Combattant un jour les écrivains agricoles qui veulent donner aux écuries et aux étables une hauteur de 4 mètres, « ils ne s'imaginent pas, put dire avec certitude M. Lapointe, quelle difficulté ils créent à leurs adhérents, surtout pendant la fenaison, où l'on manque de bras », et il établit qu'en donnant aux écuries une hauteur de 2,75, l'air est toujours pur et la chaleur modérée.

M. Lapointe n'avait adopté aucun des assolements enseignés par la théorie. Les circonstances, disait-il, font les assolements; il avait débuté par d'énergiques jachères et sur un sol parfaitement net de mauvaises herbes, créé de vastes prairies artificielles qui lui procuraient tout à la fois l'abondance fourragère et l'amélioration du sol.

Il introduisit dans son canton les avoines de Hongrie et de Sibérie; parvint presque à y populariser la charrue Dombasle; donna le premier, avec M. Durbach, l'exemple des moissons mises en moyettes; introduisit le nouveau système de poulerie et fit de Maizery l'un des établissements agricoles les plus complets du département.

Mais ces résultats, si remarquables fussent-ils, ne suffisaient pas à l'activité de M. Lapointe.

Dès 1840, il entreprenait la mise en culture du domaine d'Imsbach, qu'il destinait à l'aîné de ses fils.

Ce domaine, d'une contenance de 300 hectares environ, appartenait à la famille de M. Lapointe depuis 1703; il était resté inculte pendant un siècle. La rudesse du climat provenant de l'altitude, l'absence de calcaire, la nature acide et siliceuse du sol, l'irrégularité du terrain, la présence de tourbières dans les vallées, opposaient à la culture de sérieux obstacles.

Vers 1810, quelques bâtiments d'exploitation en bois et en paille y avaient été élevés et la ferme louée à un paysan du voisinage.

Mais il n'y existait aucun chemin. Une grange presque inaccessible aux voitures, une bergerie où l'on ne marchait que courbé et une modeste maison de ferme étaient les seuls bâtiments qu'il y trouva.

Les prairies, d'une superficie d'environ 30 hectares, anciens étangs tourbeux à fond d'argile imperméable, produisaient un foin rare et de la plus mauvaise qualité.

Les terres, couvertes de genêts et de bruyère, étaient à de longs intervalles défrichées et cultivées jusqu'à épuisement total par le fermier. Elles ne se regarnissaient d'herbe que très-lentement et constituaient par conséquent une maigre pâture.

M. Lapointe débuta comme à Maizery, il détermina les plus mauvaises terres du domaine, 30 hectares environ, et les planta en épicéas, en mélèzes, en pins sylvestres, afin d'économiser des frais de culture que les récoltes n'auraient pu rembourser.

Puis il construisit 6000 mètres de chemins, une grange pour 25000 gerbes, une étable pour 80 têtes de race bovine, un atelier de forge et de charronnage, un grenier à grain, une cave à pommes de

terre.

L'eau étant abondante et de bonne qualité, il fit de l'irrigation le principal moyen d'amélioration durable. Les vallées furent élargies au moyen de canaux à faible pente mordant dans les champs voisins, des ados établis dans la cuvette des étangs et des vallons, de nombreuses écluses construites avec prises d'eau, et le produit des prés rapidement porté au triple et notablement amélioré.

Possesseur assuré de richesses fourragères, M. Lapointe étudie la question du bétail.

Il essaya d'abord la race écossaise sans cornes : elle ne convenait pas au pays; il la remplaça par la race du Glane et améliora cette race par un croisement de sang Durham.

A l'exposition de Paris, en 1852, il acheta deux remarquables béliers South-Down, qui, croisés avec les brebis du pays, furent la souche d'un magnifique troupeau de 300 brebis et remplacèrent avantageusement une partie des bêtes à cornes.

Après de nombreux essais, M. Lapointe adopta la culture semi-pastorale et appliqua l'assolement suivant aux meilleures terres du domaine: 1o avoine sur pâturage rompu ; 2o jachères; 3o seigles fumés; 40 trèfle; 50 seigles fumés; 6 pommes de terre;

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