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France à Londres, sous le titre de résident. En juillet août, septembre et octobre 1763, elle fut nommée ministre plénipotentiaire auprès du roi de la Grande-Bretagne. Sa constance et sa perspicacité dans ses travaux, rappellent une femme de son pays (la Bourgogne), Mademoi- ' selle Bard, Celle-ci, dans une condition moins élevée, mais qui ne laisse pas d'avoir son héroïsme, suivait par amour pour la botanique, sous des habits d'homme et comme domestique, M. de Commerson dans ses herborisations sur les monts glacés du détroit de Magellan, et dans les pays brûlans du continent méridional. La chevalière d'Eon reçut plusieurs marques de satisfaction de la cour de France. Elle en obtint entr'autres gratifications, en 1757, un brevet de lieutenant de dragons; en 1758, un brevet de capitaine de dragons; en 1760, une pension de 2000 livres; en 1763 la croix de Saint-Louis, quoique la durée de ses services militaires ne lui eût point encore acquis de titres pour la solliciter; et c'est cette même cour qui la disgracie au mois de novembre 1763! Le refus qu'elle fit de descendre de la place de ministre plénipotentiaire à celle de secrétaire d'ambassade; les appointemens de l'ambassadeur de France en Angleterre, le comte de Guerchy, dont elle ne s'était pas servie avec autant d'économie que cet ambassadeur l'eut desiré; l'attachement qu'elle conserva au maréchal de Broglie, et le bien qu'elle eut le courage de dire de lui, lorsqu'il fut exilé, sont les principaux motifs qui servirent de prétexte à l'injustice qu'elle éprouva, Elle mit le sceau à sa disgrace, en faisant imprimer, pour l'appui de sa cause, lettres, mémoires et négociations particulières qui avaient eu lieu pendant son ambassade. Ces différentes pièces compromettaient quelques-uns des personnages les plus

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puissans de la cour de France. Aussi-tôt sa perte fut résolue. On devait l'enlever à Londres, et la resserrer étroitement dans un des cachots de la Bastille. Louis XV donna son agrément à ce projet; mais dans la correspondance qu'il conservait depuis long-tems avec elle, il lui indiqua les moyens de se tenir sur ses gardes pour déconcerter les ravisseurs. Ces évènemens lui firent perdre ses titres et sa fortune; mais ils ne lui ôtèrent ni la confiance de Louis XV, ni son amour pour sa patrie. Pendant sa prospérité, l'impératrice Élisabeth lui fit des offres brillantes pour l'attacher à son service; et pendant son infortune, en 1770, l'Angleterre lui eut donné les grades militaires et politiques qu'elle avait eus en France, si elle avait voulu prendre des lettres de naturalisation. Dans l'une et l'autre conjoncture, son attachement pour son pays lui fit rejeter ces propositions. Elle passa quatorze années à Londres, partageant son tems entre l'étude et le soin de veiller à la gloire et aux intérêts de la France et de ses alliés. En 1764, plusieurs chefs du parti opposé à celui qui avait fait la paix, lui offrirent 40,000 livres sterling, si elle voulait les instruire de certaines particularités, et leur confier plusieurs papiers relatifs aux négociations qui avaient eu lieu. Elle garda ses secrets. En 1766, elle communiqua aux alliés de la France des découvertes qui les intéressaient. Louis XV, parfaitement instruit de sa conduite, lui envoya, en 1766, le brevet d'une pension de douze mille livres, avec l'assurance d'une meilleure fortune dans un tems plus opportun. Il avait tenté d exécuter ce dessein, lorsqu'il descendit au tombeau. Les comtes de Maurepas et de Vergennes, ayant appris quel était le sexe de la chevalière d Eon, par sa correspondance avec Louis XV, sollicitèrent son rappcl. Il y eut deux

négociations pour cet objet. Dans la première, la chevalière d'Eon réclame que son innocence soit reconnue publiquement: on élude la demande; elle reste à Londres. Dans la seconde, on convint d'un traité. Les principaux articles étaient : Un silence absolu imposé à elle et à ses adversaires, au sujet des querelles qu'elle avait eues; la continuation de la pension de 12 mille livres, et quitter les habits qu'elle portait, la loi ne permettant pas ce déguisement. Elle arriva à Versailles le 17 août 1777. En prenant les habits de son sexe, au mois d'octobre 1777, elle adopta le titre de chevalière d'Eon. Les graveurs de Londres la représentèrent de diverses manières; en Officier de dragons, en Ministre, en Pallas. Cette dernière estampe, gravée en 1773, est une de celles qui ont été le mieux accueillies. Les seules ressemblantes parurent à Paris en 1779. On les doit au burin de J, B. Bradel. L'une d'elles est en grand, et c'est la meilleure de toutes; une autre se trouve à la tête de la Vie de la chevalière d'Éon, par de la Fortelle, 1779, in-8°.

L'Éloge funèbre de la duchesse de Penthièvre, de la maison d'Est, et celui du comte d'Ons-en-Bray, composés en vers latins, furent les premiers fruits de son génie naissant. On les imprima dans l'Année littéraire et autres ouvrages périodiques. Quelque tems après, elle donna au public un Essai historique sur les différentes situations de la France, par rapport aux finances, 2 vol. in-12, 1754; et deux volumes de Considérations politiques sur l'administrations des peuples anciens et modernes. Ces deux productions supposent bien des recherches, de grandes vaes, et une longue expérience. Son Mémoire instructif sur la vie et les ouvrages du savant abbé Lenglet Dufresnoy, parut en 1755, dans la sixième lettre de l'Année littéraire. La

plupart des auteurs de Dictionnaires biographiques sur les gens de lettres, l'ont depuis inséré dans l'article de cet abbé. Elle rédigea, en 1757, à la demande du ministre de la guerre et du ministre des affaires étrangères, ses Mémoires sur la Russie. Elle était si jeune, que les ministres furent étonnés des connaissances qu'ils trouvèrent dans cette production. Elle publia aussi : Mémoires pour servir à l'Histoire générale des Finances, 1758, 2 vol. in-12. - Lettres, Mémoires et Négociations particulières du chevalier d'Eon, 1764, in-8°. Suite aux Négociations particulières du chevalier d'Eon, 1765, in - 12. Ces deux derniers ouvrages sont relatifs aux causes de sa disgrace.

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Éloge funèbre du marquis de Tavistock. Cette pièce, en vers lapidaires, composée en 1767, fut si agréable à la nation, et à la famille de celui dont elle avait fait l'éloge, qu'on la jugea digne d'être gravée sur le monument du marquis, et qu'on l'imprima dans les papiers publics des trois royaumes. Les Loisirs du chevalier d'Eon, 1774, 13 vol. grand in-8°. Les deux premiers volumes parurent en 1770. Ces Loisirs renferment les observations de la chevalière d'Eon, et sa manière de penser sur les sujets les plus importans de la jurisprudence, de la science du gouvernement et de l'histoire. Ces différens objets portent l'empreinte d'une érudition profonde et de recherches utiles. Pièces relatives aux démélés entre Mademoiselle d'Eon et Caron de Beaumarchais, 1778, in-8o. Il paraît, par ces pièces, que la chevalière d'Eon eut à se plaindre du peu de probité de l'auteur du Barbier de Séville. Beaumarchais avait été chargé, en 1775, de négocier avec elle pour la faire revenir en France. Véritable constitution d'une République, traduite de l'anglais de Marchamont Need'ham, an 8.

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BEAUMONT, (ANNE-LOUISE MORIN DU MENIL, Dame ÉLIE DE) née à Caen, en 1729. Les qualités du cœur et de l'esprit furent son apanage. Elle unissait beaucoup de douceur à une gaieté charmante, qu'elle dut sans doute aux actions de bienfaisance qui remplirent le cours de sa vie. Le ciel lui départit

Le talent d'embellir les plus petites choses,

Et, sur ce qui déplaît, l'art de semer les roses.

L'on ne sortait point de sa conversation, sans se trouver plus d'esprit qu'on ne croyait en avoir.

Elle avait trente ans, lorsqu'elle épousa M. Élie de Beaumont. Il était sans fortune, et rien alors ne présageait la célébrité qu'il a depuis obtenue. On raconte une anecdote qui peut donner une idée du caractère de Madame Élie de Beaumont, Elle était presque sans dot; car, d'après la coutume de Normandie, son frère enlevait les deux tiers des biens de sa famille. Quelques mois avant son mariage, ce frère mourut : alors ses parens voulurent la contraindre à renoncer à l'établissement projeté ; mais ce fut en vain. Elle persista dans sa résolution, en disant: que M. Élie de Beaumont l'ayant choisie tandis qu'elle avait peu de fortune, elle était 'charmée d'en avoir une plus considérable à lui offrir.

En 1777, elle participa avec son époux à l'institution de la Fête des Bonnes-Gens, qu'ils créèrent à Canon, en Normandie. Quoiqu'ils fussent parmi leurs vassaux, quand cette fête se célébrait, ils oubliaient leur dignité, pour ne s'occuper que de celle de la vertu. Madame Elie de Beaumont mourut à Paris le 12 janvier 1783.

Elle ne mettait jamais son nom à ses ouvrages. On ignore le motif qui l'a portée à se couvrir du voile de

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