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des dégâts nombreux disent moins qu'importants; un service considérablement chargé, cela montre que celui qui écrit a employé un long adverbe en attendant que lui vienne une idée. Mille autres exemples aboutiraient à ceci, qu'il fallait dire autrement, si toutefois on ne voulait pas dire autre chose. En résumé, autant les épithètes bien choisies et placées avec discrétion relèvent le style, autant des épithètes banales et prodiguées alourdissent, énervent l'expression. Aristote dit qu'il faut les employer non comme nourriture, mais comme assaisonnement. Marmontela raison de comparer les épithètes oiseuses aux bracelets et aux colliers dont un mauvais peintre surchargerait les Grâces. Plus sévère encore, Quintilien comparait le discours surchargé d'épithètes à une armée qui compterait autant de valets que de soldats : le nombre des hommes serait doublé et la force militaire diminuée d'autant.

Il est important de distinguer suivant une gradation croissante d'intérêt trois sortes d'épithètes d'ornement.

1o Les épithètes de nature sont des adjectifs désignant la qualité la plus frappante des objets; presque inséparables du substantif, elles n'ajoutent à peu près rien à l'idée qu'il présente de blancs flocons de neige, les tendres embrassements, la sombre nuit.

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C'est l'abus de ce genre d'épithètes qui rend ridicule le mot de Chapelain : les doigts inégaur de la belle Agnès.

2o Les épithètes de caractère, plus expressives déjà, servant à désigner un homme ou une chose par sa qualité distinctive, par l'attribut qui le sépare de son espèce. Ainsi Bossuet appelle Cromwell un de ces esprits remuants et audacieur qui sont nés pour changer le monde.

3o Les épithètes de circonstance sont les meilleures et les plus dignes d'être recherchées. Elles ne désignent ni une classe, ni un individu; elles se rapportent d'une manière toute particulière à une situation donnée, et par suite peuvent être variées à l'infini.

Ainsi La Bruyère distingue par des épithètes de circonstance Corneille et Racine.

<«<Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieur dans la raison est manié par le premier, et par

l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion... Corneille est plus moral, Racine plus naturel. » Si de ces beaux vers de Racine :

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Fatigua vainement une mer immobile,

on retranche les deux épithètes, l'expression est dépouillée de toute valeur.

Enfin, terminons en remarquant qu'il est bon de poser en règle qu'une seule épithète suffit, la plupart du temps, à un subtantif et que, dans le cas contraire, les épithètes seront unies entre elles par des conjonctions, sauf quand l'écrivain cherche à produire un effet d'accumulation.

La place qui convient à l'épithète, c'est le plus près possible du substantif, afin d'éviter toute obscurité dans l'expression; et, d'ordinaire, le français réclame l'épithète après le substantif, excepté dans quelques constructions qui résultent de l'euphonie ou de l'usage. Parfois encore la place de l'épithète est déterminée par l'effet que l'on veut créer.

Telle est l'opposition accusée dans ce vers de Racine :

« Pour réparer des ans l'irréparable outrage. »

Et Bossuet, parlant de la pompe funèbre du grand Condé, dit:

« Ces colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant. »

Des équivalents. On nomme équivalents ou bien les formes différentes que peuvent prendre certains mots ou certaines racines, ou bien des expressions qui se substituent sans peine à d'autres expressions.

Ainsi le substantif peut être, dans certains cas, employé au singulier ou au pluriel: Le soleil a toujours été cher à l'homme, ou bien aux hommes.

Le substantif pluriel peut être remplacé par un collectif au singulier:

La Grèce a triomphé de Rome triomphante,

au lieu des Grecs et des Romains.

De même Boileau dit que le vieillard regrette les plaisirs

dont la jeunesse abuse.

Un adjectif est l'équivalent d'un substantif employé comme complément d'un autre substantif:

Et mes cris éternels

L'arrachérent du sein et des bras paternels,

pour de son père.

On dit encore ardeur studieuse au lieu d'ardeur pour l'étude; la tendresse maternelle pour la tendresse d'une

mère.

On peut également dire:

Je rougis de pleurer ou je rougis de mes larmes. Il demande la mort ou il demande à mourir. Dites-moi vos espérances ou dites-moi ce que vous espérez.

Dans les verbes, les temps et les modes peuvent souvent permuter. Par exemple, dans la vivacité de la narration, le présent remplace avec avantage le passé. Bossuet raconte la bataille de Rocroy:

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Mais il fallut enfin céder; c'est en vain qu'à travers les bois Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le prince la prévenu; les bataillons enfoncés demandent quartier. »

Dans la fin de cette période, le mélange du passé au présent s'explique parce que, voulant donner une idée frappante de la rapidité des conceptions et des mouvements du prince, l'orateur représente l'action comme déjà faite avant même l'arrivée de Beck; c'est aussi pour cela que le passé vient à son tour remplacer le présent.

L'infinitif est un heureux équivalent des modes personnels dans les imprécations; l'on peut dire : Et je renoncerais à mes projets! ou: Moi! renoncer à mes projets!

Le mode infinitif étant le plus court et le plus clair, on peut en multiplier le retour à l'aide de certains auxiliaires tels que aller, savoir, voir, pouvoir, etc.: Nous allons tout dompter. Nous pourrons rire à l'aise. Je vais faire la joie de ces

enfants.

Le pluriel dans les verbes peut se substituer au singulier:

Thésée rendant justice au malheureux Hippolyte se dit à soimême:

Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,
Rendons-lui les honneurs qu'il a trop mérités.

L'actif et le passif peuvent également s'employer: Phèdre brile ou est brûlée d'un feu secret. Au lieu de, l'ardeur dont il était animé, Bossuet aurait pu dire, l'ardeur qui l'animait. A la place de, l'odeur de la poudre enivre le cheval, le cheval est enivré par l'odeur de la poudre.

Le participe présent est remplacé avec avantage par une proposition incidente explicative. Au lieu de: Ce grand prince ne pouvant voir... Bossuet a dit: ce grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus.

L'adverbe se remplace dans le style élevé par un adjectif. C. Delavigne dit de Jeanne d'Arc arrivant au bûcher: Tranquille, elle y monta; au lieu de tranquillement.

Il est souvent utile de substituer à nos adverbes en ment une préposition suivie d'un substantif: avec franchise vaut mieux que franchement, ou bien un substantif accompagné d'un adjectif à pas lents est préférable à lentement.

La métaphore. On verra dans le paragraphe consacré aux figures de pensée, de mots, de grammaire ou de construction, un assez grand nombre de figures, parmi lesquelles domine la métaphore. Celle-ci est au fond, pour le nom, ce que l'image, l'épithète est pour l'adjectif. Comme l'épithète, on l'emploie dans la langue parlée; mais on devra en user avec plus de réserve encore dans le style du rapport. Il sera donc moins bien de dire que tel agent s'est porté au secours d'un noyé avec le courage d'un lion qu'avec un courage digne d'être signalé.

Enfin on évitera dans le style d'un rapport ce que l'on pourrait appeler un déclassement de l'expression, c'est-à-dire ce qui appartiendrait à un style moins simple. On ne dira donc pas : L'ordre règne maintenant sur les chantiers, mais l'ordre est rétabli... etc.

On se gardera des expressions de sentiments; l'on ne

perdra pas de vue qu'un rapport est une relation impersonnelle des faits et des choses et non la réflexion de la sensibilité de l'auteur. On n'emploiera pas un mot sans l'avoir mesuré, examiné au point de vue de l'idée qu'il représente, sans l'avoir exactement subordonné aux mots qui l'encadrent, sans avoir vu s'il est dans le ton. Et ce mot sera le terme propre s'il dit tout ce qu'on veut exprimer, sans crainte qu'on puisse supposer qu'il veut ou peut dire autre chose.

La connaissance des mots est d'un long apprentissage; elle s'acquiert insensiblement par la lecture, ainsi que par le contrôle des mots sur lesquels on a des doutes; on apprend plus vite la syntaxe que la multiplicité de leurs applications.

LES MOTS DANS LE RAPPORT

LE

MOT

PROPRE

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Rapport du mot et de l'idée.
Sens, valeur de circonstance.)
Termes techniques
Neologismes......

Épithète...

Métaphores...

Proserire la périphrase.
Eviter le terme im-

propre.

Exemple: Les zéphyrs... ont fondu l'écorce des

eaux.

Adjectif qui parait attribuer la vie à un être inorganisé, ou à une idée abstraite.

Ne l'employer que si on ajoute au nom une idée nécessaire ou, tout au moins, utile.

Réduites à celles qu'emploie le langage courant les travaux marchent rapidement.

Eviter qu'elles ne sortent du ton du style administratif.

Le mot banal: Des dégâts nombreux.

Le mot pretentieux ou trop fort pour le cas : Le chantier est un dédale.

Les locutions plates... avec pertes el fracas.

Les mots vieillis et les vieilleries: Le flambeau de la sédition, les ténèbres de l'ignorance!

Le galimatias.

Il n'y a pas à proprement parler de synonymes.

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