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même jusqu'à prétendre que celles-ci sont inutiles et sentent le pédantisme. Évidemment, il ne faut point les placer hors de propos ou avec affectation. Cela va de soi, d'ailleurs, puisque c'est l'euphonie qui doit en déterminer l'usage.

Mais cette tendance paraît fâcheuse et cette théorie erronée. Il existe entre elles et les réformes phonétiques de l'orthographe une corrélation nuisible à notre langue. Les unes et les autres procèdent du même système : la désuétude des règles érigée en tolérance vulgaire, puis l'asservissement du français à l'ignorance du plus grand nombre.

C'est ici le cas de rappeler un exemple déjà emprunté à M. Darmesteter.

Soit l'expression: Un savant aveugle, si savant se lie avec aveugle (savan t'aveugle), il sera l'adjectif et aveugle le substantif. Si l'on fait un repos entre les deux mots, aveugle deviendra l'adjectif, savant le substantif: un savant aveugle, c'est-à-dire un savant qui est aveugle.

Il est sûr qu'un homme d'instruction incertaine et bornée supprimera toute liaison dans une phrase où se trouvent des participes passés, s'il ignore les règles de leur accord ou s'il hésite à les appliquer dans le rapide courant de la conversation.

La doulce langue de France » risque alors de devenir, par ce moyen, un parler heurté, rocailleux, saccadé, que la voix découpera en tranches sèches, en sons rauques, en notes gutturales. Les lettres finales des mots seront bientôt oubliées et perdues. Et, si l'orthographe phonétique prévalait en même temps, il n'est pas besoin d'entrer en de longs développements pour se rendre compte de ce que deviendrait le français écrit d'après cette façon quelque peu sauvage et grossière de le prononcer.

Les liaisons élégantes et justes assouplissent, nuancent, soutiennent la parole; elles lui donnent une harmonie légère, discrète, subtile. L'honnête homme les doit observer en causant, comme il respecte l'orthographe en écrivant. Qu'il laisse dire et faire les sots et les excentriques, sans perdre son temps à vouloir, à leur suite, couper encore la queue du chien d'Alcibiade.

RAPPORTS DE SERVICE.

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CHAPITRE XIII

LOGIQUE

La logique est l'art de penser.

C'est un système raisonné de règles pour diriger l'esprit dans la poursuite de la Vérité, qui est son objet propre et essentiel.

Le logicien fixe les règles de l'observation applicables à l'emploi des sens et du sens intime, et les règles du raisonnement (ou de la démonstration) applicables au travail qui tire les conséquences des principes de raison.

Les questions logiques se ramènent toutes aux deux grands problèmes de la méthode, c'est-à-dire des moyens les plus sûrs pour atteindre la Vérité, et de la certitude, c'est-à-dire des caractères auxquels se reconnaît la conformité de nos jugements avec la réalité des choses. Au fond, ces deux problèmes, méthode et certitude, n'en font qu'un : la méthode étant le moyen et la certitude étant le but de l'intelligence humaine.

§ I. MÉTHODE

La methode est la voie qui mène au vrai. Telle est son importance que Descartes disait qu'il lui devait tout.

En effet, l'ordre que l'homme introduit dans ses idées lui facilite et lui féconde ses travaux. Par la méthode, on se rend compte de ce que l'on sait et de ce que l'on ignore, on retient ce que l'on a appris: on compare, on apprécie, on conclut. La méthode est à l'esprit ce que la lumière est à la vue; à quoi bon une intelligence dans laquelle il ne fait pas

clair?

Aussi, tous les mérites, tous les progrès d'une science dépendent-ils de la méthode qu'elle emploie : une méthode neuve donne des résultats imprévus; une méthode rigoureuse, des résultats précis ; une méthode vague, des résultats aléatoires et confus. C'est faire œuvre de méthode que de calculer et construire un pont ou un navire, de bâtir une gare ou une usine et d'en évaluer le coût.

L'étude de la méthode comprend deux parties :

1° De la méthode en général, c'est-à-dire des procédés communs à tout travail raisonné de l'esprit humain;

2o Des méthodes particulières, c'est-à-dire des procédés particuliers aux différentes espèces de sciences.

Les qualités fondamentales de toute bonne méthode sont celles-ci :

Elle doit être simple, abréviative et sûre.

Les règles suivantes sont donc applicables à la méthode en général :

Prendre pour base des propositions évidentes.

Enchainer les jugements de la façon la plus rigoureuse. Vérifier tous les résultats obtenus. «L'expérience, a dit Vauvenargues, est la démonstration des démonstrations. >>

La méthode peut et doit varier suivant bien des considérations, par exemple, selon l'objet auquel l'esprit s'applique, le but qu'il se propose, le degré d'intelligence dont il jouit.

« Il est, a dit Aristote, des méthodes diverses pour les esprits différents; pour quelques-uns, il suffira que les principes soient énoncés pour être admis; d'autres, au contraire, demandent que tout soit rigoureusement démontré. »>

Mais, si divers que puissent être les procédés d'une méthode, il y a deux opérations intellectuelles qui sont essentielles à tout travail raisonné : l'analyse et la synthèse.

L'analyse est le procédé par lequel l'esprit isole et distingue. les éléments. Elle va du composé aux éléments particuliers qui le constituent.

Ainsi, par l'analyse, le chimiste reconnait l'hydrogène et l'oxygène comme éléments constitutifs de l'eau ; et le psychologue discerne des facultés et des manières d'être diverses dans l'âme.

Ce procédé ne doit pas être confondu avec la division, qui sépare un tout en parties distinctes et divisibles, restant identiques les unes aux autres, mais non en ses éléments premiers et irréductibles.

L'analyse est, par excellence, le procédé de recherche et de découverte. Quiconque écrit un rapport devra en faire usage, pour déterminer tous les éléments d'une affaire qui se présente à lui entourée d'incertitudes ou de contradictions. La synthèse est le procédé par lequel l'esprit combine en un tout des éléments ou des objets.

Ainsi, par la synthèse, le chimiste combine de l'hydrogène et de l'oxygène et en fait de l'eau; et le psychologue, après avoir séparé les facultés et les opérations de l'âme, les conçoit dans l'unité du moi.

La synthèse donne des résultats inverses de ceux de l'analyse, puisqu'elle ramène à l'unité la multiplicité des faits. Elle est, par excellence, le procédé de démonstration et d'enseignement.

Dans un rapport, les conclusions seront souvent une synthèse.

L'analyse et la synthèse peuvent toutefois également servir tantôt à découvrir, tantôt à démontrer une vérité ; la préférence pour l'une ou l'autre des deux méthodes dépend de l'objet auquel l'esprit s'applique.

Les anciens donnaient aux mots analyse et synthèse un sens moins précis. Ils entendaient par analyse ou méthode de résolution, toute marche que suit l'esprit quand il cherche la vérité, et par synthèse ou méthode de composition la marche de l'esprit qui démontre une vérité déjà trouvée.

Ainsi, selon Euclide, l'analyse consiste à poser la chose en question comme accordée, puis à chercher dans la série des propositions auxquelles cette proposition peut se rattacher s'il n'en est pas une qui soit évidente ou qui ait déjà été démontrée. La synthèse, suivant lui, est le procédé qui part d'une proposition admise en principe pour en déduire, comme conséquence, la proposition à démontrer.

Cette théorie de la méthode générale était construite sous l'influence des habitudes de la géométrie, tandis que la théo

rie moderne subit plutôt l'influence des sciences physiques et naturelles.

Aussi les géomètres sont-ils restés plus fidèles que les philosophes au langage de l'ancienne logique.

L'analyse est, pour eux, le procédé qui consiste à chercher la valeur d'une inconnue par l'étude de ses caractères essentiels, avec le seul secours du calcul et de la transformation des formules. Ainsi l'on procède par analyse lorsque, étant donné ce problème: Inscrire un carré dans un triangle, on dit: Représentons par r le côté du carré cherché, par b la base et par h la hauteur du triangle donné; en supposant le problème résolu, on verra que le côté æ du carré est parallèle soit à la base, soit à la hauteur; par suite, on aura la proportion bh: :x:h-x; d'où l'on conclut, en vertu de la théorie des proportions: b+h: hx; c'est-à-dire que le côté du carré est une quatrième proportionnelle à trois lignes connues: la base du triangle, sa hauteur et la somme de sa base et de sa hauteur.

La synthèse des géomètres consiste à faire la démonstration par la construction et l'examen d'une figure. Ainsi l'on procède par synthèse lorsque, sachant déjà la solution du problème ci-dessus, on l'expose de la façon suivante :

Le côté du carré inscrit est une quatrième proportionnelle aux trois lignes suivantes : 1° la somme de la base et de la hauteur du triangle donné ; 2o sa base; 3° sa hauteur. Cette proposition se prouve ensuite par une construction.

Le sens attaché par les géomètres aux mots d'analyse et de synthèse vient surtout de ce qu'on a primitivement désigné sous le nom d'analyse, pris comme synonyme d'abstraction, l'algèbre, c'est-à-dire la substitution du calcul aux figures.

Méthodes particulières. La logique doit fixer les règles propres à chaque méthode particulière. Mais l'introduction nécessaire à cette étude, c'est une classification au moins élémentaire des sciences. La voici, résumée le plus possible.

Pour que cette classification soit naturelle et logique, on doit y établir les genres, les familles, les classes, etc., en

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