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CHAPITRE XV.

DEPUIS long-temps madame d'Estou

teville avoit commencé les démarches nécessaires pour casser le mariage de madame de Rieux. J'en attendois l'effet avec impatience, mais sans inquiétude.

Athénaïs et moi nous semblions avoir changé de famille: attentive, caressante, prévenant tous les désirs de mon père, elle lui faisoit connoître des sentiments doux et tendres dont le charme l'étonnoit. Peut-être même l'aimoit-il avec un peu de foiblesse, et notre amour rajeunissoit son cœur.

Pendant qu'Athénaïs s'occupoit de mon père, je restois près de madame d'Estouteville: jamais légère, rarement sérieuse, son esprit m'amusoit en m'eclairant.

Un jour que je me promenois avec elle dans le parc, nous entrâmes dans une de ces grandes allées droites, et à perte de vue. Nous aperçûmes mon père avec Athénaïs; ils venoient à nous."Eugène, me dit madame "d'Estouteville, si pendant que ces "deux personnes sont encore loin, "nous nous amusions à en médire un

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peu...., qu'en pensez-vous? J'ai bien "envie de faire un beau retour sur les imprudences d'Athénaïs." Oh! m'écriai-je, parlons plutôt des nô"tres."-" Des nôtres, reprit-elle d'un "air surpris...., à la bonne heure: vous

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"avez raison; votre père vaut mieux

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que nous: en consentant à nous "réunir tous, il a changé en bonheur uos imprudences. Il reste donc "trois personnes que j'aime assez, mais que je ne considère guère......... D'abord, si monsieur Eugène avoit "bien voulu accorder à son père le "droit d'éloigner le moment de sa "confiance; si du moins il s'étoit dit, qu'un cœur blessé, qu'un caractère

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un peu trop susceptible conseillent "mal, monsieur Eugène auroit respecté les préventions de son père, "et seroit venu moins souvent chez "madame d'Estouteville."

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D'abord, répliquai-je, si madame "la maréchale ne m'avoit pas attiré

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par sa bonté, par son air d'intérêt,

"de bienveillance........"-" Je vous

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"entends, me dit-elle, cet air doux, bienveillant, que sans le respect, vous

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appelleriez la coquetterie de la vieil"lesse!"Coquetterie ou bonté,

"madame la maréchale s'étoit si bien "emparée de mon cœur, que je me regardois comme son fils, même avant "d'aimer sa fille."

Athénaïs et mon père approchoient; nous continuâmes tous notre promenade. Combien nous jouissions d'être ensemble. Je donnois le bras à madame d'Estouteville. Athénaïs étoit près de moi: elle s'appuyoit sur mon père. Recueillis dans notre bonheur, disant quelques mots à de longs intervalles, nous éprouvions ce calme de l'ame qui ne laisse qu'une seule impression; nous étions comme séparés du reste de la vie: le passé, l'avenir, l'instant qui

devoit suivre, tout étoit loin. Je dis à Athénais:

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Être avec les gens qu'on aime, cela suffit: Rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal.

Elle me regarda, et je lui demandai si elle ne croyoit pas cette pensée de La Bruyère plus vraie qu'une autre que je ne voulois pas répéter.-"Ah!" me répondit-elle, d'un air timide et tendre, “il fait si beau aujourd'hui ! "ne parlons pas des jours d'orages."

A l'instant où nos parents apprirent qu'Athénaïs étoit libre, ils fixèrent le jour de notre union.

C'est à la campagne, c'est loin du monde que je reçus la main d'Athé

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