Page images
PDF
EPUB

"une lettre qu'elle a voulu vous écrire." -"Pourquoi n'a-t-elle pas daigné me parler ?" "Parce que monsieur d'Estouteville s'y est opposé. Lorsque ce mariage sera certain; quand les "articles seront signés, il permettra que

[ocr errors]

66

vous revoyez sa nièce : jusque-là, elle "est retournée à son couvent avec ma "fille, qui a désiré l'accompagner.

[ocr errors]

L'air, le ton de madame d'Estouteville étoient bien changés. Depuis l'instant où je la priai de demander pour moi la main d'Amélie, elle ne me regarda plus qu'avec une humeur qu'il lui étoit impossible de maîtriser.

Je la croyois blessée de ne m'avoir pas vu penser à sa fille ; de voir marier Amélie la premiere. Je lui répétai que jamais je n'aurois voulu épouser une femme que le monde crût un grand

parti, ou que j'eusse aimée vivement.— "J'espère cependant, répliqua la ma"réchale, que vous aimez un peu Amé "lie, puisque vous désirez l'épouser." -"Tout ce qu'on m'a dit de son carac "tère convient parfaitement au mien." -" En effet, reprit-elle avec une émo"tion qui me surprit, il est impossible "d'avoir un caractère plus doux, plus "sensible. Amélie se croyoit malheu

[ocr errors]

reuse sans se plaindre, elle jouira de "la fortune avec modération; mais "lisez sa lettre."

"Elle n'étoit pas cachetée; la maréchale s'aperçut que je le remarquai. "C'est monsieur d'Estouteville qui

་་

a ouvert cette lettre. Sophie nous "l'avoit envoyée fermée. En vérité, a-til dit, je crois que le mot de mariage tourne la tête aux jeunes filles :

[ocr errors]

"aussi, pour toute réponse, il lui a fait "demander depuis quand elle croyoit que sa cousine pût écrire à qui que " ce soit sans son aveu.

Pendant ce temps, je lisois la lettre d'Amélie. Vous trouverez peut-être monsieur d'Estouteville un peu sé"vère, me dit la maréchale; mais ma "fille et ma nièce sont élevées comme je l'ai été moi-même, comme on l'étoit autrefois. Mon père disoit tou"jours pour qu'un mariage soit heureux, c'est aux parents seuls à faire "le calcul des probabilités."

[ocr errors]

J'appuie sur tous ces détails, mon fils: d'abord ils me sont si présents que je crois entendre encore la voix de madame d'Estouteville; ensuite parce qu'ils vous expliqueront comment tout le bien qu'on disoit d'Amélie a dû me

[ocr errors]

décider à l'épouser. D'ailleurs, je l'avouerai, la sécheresse, la dureté de ses parents augmentoit mon intérêt pour elle; leur sévérité n'étoit point le résultat d'un systême réfléchi, mais l'absence de toute affection du cœur..

"Ces détails vous expliqueront aussi pourquoi je n'ai pu parler à Amélie avant mon mariage. Au surplus cette manière de disposer de ses enfants, sans les consulter, étoit en usage parmi les personnes de notre rang; ainsi dans tout cela rien ne devoit ni me surpren dre, ni m'arrêter.

"Voici la lettre d'Amélie :

Madame d'Estouteville m'a dit, Monsieur, que vous étiez disposé à unir votre sort au mien; soumise

entièrement à mon oncle, qui a rendu toute justice à vos vertus, je ne m'oc cupe plus de mon bonheur, mais le vôtre m'inquiète.

Je me suis réservé le droit de vous rappeler que ma fortune est absolument nulle. Destinée au cloître, j'ai peu cultivé les talents qui font réussir dans le monde; j'en ignore les convenances, les habitudes; je n'en désirois point les avantages. Je crains même que la retraite, en me laissant plus sensible qu'une autre à toutes les peines de la vie, ne m'ait fait sentir par avance le vide de ses consolations.

Voilà, monsieur, ce que j'ai cru devoir vous dire; si ces aveux ne vous arrêtent point, ils seront assez présents à mon

[blocks in formation]
« PreviousContinue »