Page images
PDF
EPUB

"Une fois décidé à épouser Amélie, je ne voulois ni la laisser un jour de plus chez son oncle, ni donner à l'amour le temps de me subjuguer.

"Je ne peux rendre l'espèce de cha grin que j'aperçus dans les yeux de madame d'Estouteville, lorsque je lui demandai sa nièce en mariage." Amé"lie! s'écria-t-elle d'un air surpris et "affligé."-"Mademoiselle d'Estaing, repris-je en baissant les yeux.""Mais vous avez, je crois, quatre ou

66

[ocr errors]
[ocr errors]

cinq cent mille livres de rente ?"— "A peu près, madame."-"J'aurois pensé que, pouvant choisir dans "toute la France, vous auriez cherché "des avantages plus considérables."J'imaginai qu'elle regrettoit ma fortune pour sa fille, et m'empressai de l'assurer que jamais je n'épouserois une

femme qui auroit d'autres avantages que ceux qu'elle tiendroit de moi.-" C'est

66

46

un goût louable autant que rare, reprit-elle. Cependant je crois ma délicatesse obligée à vous rappeler qu'A"mélie n'a aucune fortune."-" Je le

sais, madame."-" Vous êtes donc "bien décidé à vous marier?"-" As"surément, et je ne conçois pas que "madame la maréchale puisse douter "d'une résolution dont je prends la "liberté de lui parler:"-Elle me regarda d'un air étonné... puis elle reprit: "Je devrois peut-être borner là mes réflexions; cependant je vais "vous parler avec une franchise dont " votre caractère m'assure que je ne puis "jamais me repentir.... Monsieur d'Es"touteville veut que ma fille soit cha"noinesse; et je désire la marier; ik

[ocr errors]

"veut qu'Amélie se fasse religieuse : "l'austérité du cloître, cette séparation "du monde et de sa famille me paroissent une première mort à laquelle je ne puis consentir. C'est donc Amélie que je désirerois voir chanoinesse. "Du moins elle conserveroit sa liberté,

66

pourroit vivre chez moi; et,destinée à "n'éprouver que des affections douces, peut-être se trouveroit-elle heureuse." "Mais, madame, pourquoi ne pas "chercherà établir en même temps ma"demoiselle d'Estouteville et made"moiselle d'Estaing?""-"Vous nous "connoissez bien peu, reprit-elle avec

66

un sourire plein d'amertume! 'faire re"venir monsieur d'Estouteville sur une "de ses volontés, me paroît déjà une entreprise assez chimérique; jugez si "en même temps j'essaierai de le faire

[ocr errors]
[ocr errors]

changer de résolution sur le sort de "mes deux filles; car je regarde Amélie 66 comme ma fille."-Après un assez long silence que je n'avois pas envie de rompre, elle ajouta : Sophie est "L'atnée, il est juste que d'abord je

m'occupe d'elle. J'ai en vue un ma"riage considérable, et qui lui convient "sous tous les rapports. Amélie n'a que seize ans ; son caractère se formera,

et lorsqu'elle aura dix-huit ans, je "penserai à l'établir."-Je me sentois indigné de voir Amélie sacrifiée au désir de marier Sophie; aussi répondis je à madame d'Estouteville: "Je vous. "parlerai,madame, avec une égale fran46 chise: la dernière volonté de mon

père m'engage en quelque sorte à me 66 marier cette année même. J'oserai "donc vous supplier de présenter ma

"demande à monsieur le maréchal.""Je n'ai pas le droit de vous refuser, "6 me dit-elle sèchement; mais souve"nez-vous que j'aurois voulu éloigner "l'instant où il prononcera sur le sort "de Sophie et d'Amélie." Elle s'arrêta, comme si elle s'attendoit encore à me voir revenir au plan qu'elle s'étoit fait. Voyant que je persistois, elle ajouta : "Dès aujourd'hui, je ferai part à mon"sieur d'Estouteville de vos inten"tions; demain, à pareille heure, je "vous donnerai sa réponse."

Le lendemain, je me rendis chez la maréchale: "Monsieur d'Estouteville "consent à vous donner sa nièce, me "dit-elle avec une froideur marquée ; "mais Amélie craint comme moi que

vous ne regrettiez un jour de lui avoir fait de trop grands sacrifices; et vaici

« PreviousContinue »