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CHAPITRE VIII.

Lettre du comte de Rothelin à son fils.

J'AVOIS 'AVOIS résolu, mon fils, de ne jamais vous parler de mes peines; mais je vois que même nos enfants interprètent défavorablement notre conduite, dès qu'elle sort des routes communes, et que le motif leur en est inconnu..

"Je veux bien aujourd'hui vous rendre compte des raisons qui m'ont déterminé, et ensuite je vous permets d'opter entre vos nouveaux amis et moi.

"J'ai été élevé par un père qui avoit

toute la sévérité des anciennes mœurs. Le respect qu'il nous inspiroit à tous étoit tel qu'un de ses regards suffisoit pour tout mouvoir ou tout suspendre dans sa maison. Sa volonté suprême, immuable, me paroissoit le droit naturel du chef de sa famille; la soumission de ma mère, l'état convenable d'une épouse.

"Mon père ayant éprouvé une injustice avoit quitté la cour encore jeune,, et s'étoit retiré dans ses terres. Là, sans rien regretter, sans rien vouloir, sans jamais se plaindre, il avoit acquis l'importance et l'autorité dont jouissoient autrefois les seigneurs suzerains. Juste, loyal, généreux, vraiment noble, son château étoit le rendez-vous de toute la province, Il étoit l'appui du pauvre, le conseil du riche et son estime étoit

un bien nécessaire à tous les cœurs ver

tueux.

"Il m'avoit fait entrer dans l'état militaire à seize ans ; grièvement blessé dès ma première campagne, ma santé affoiblie me força de quitter le service; je me fixai près de lui. Ses vertus, ses préceptes me donnèrent cette austérité de caractère qui m'inspire pour la foiblesse presque autant de mépris que les autres hommes en ont pour les fautes.

"Je venois d'avoir vingt-cinq ans lorsque mon père mourut. Il me recommanda de me marier; mais de ne point épouser une femme dont je serois amoureux, parce qu'elle me subjugueroit, au moins pendant ce temps de passion, et qu'ensuite elle ne pourroit revenir sans débats à la déférence, qui n'est que l'ordre dans le mariage.

"Il me conseilla de ne point épouser une femme riche, parce que la fortune immense qu'il me laissoit ne m'en donnoit pas le besoin, et que peut-être les avantages qu'elle me devroit lui inspireroient de la reconnoissance.

"Il m'ordonna de la choisir dans ces familles dont le nom historique réveille de grands souvenirs;-car, me disoit-il, si ses parents n'ont point conservé les nobles vertus de leurs ancêtres, au moins par orgueil elle entretiendra ses enfants de leurs hauts faits d'armes, de leurs sentiments généreux; et la grandeur qui vient des belles actions élèvera leur jeune courage. Puissent-ils savoir dès le berceau que les vertus ordinaires ne sont pas le but, mais le commencement de leur carrière !

"La succession de mon père me força

de venir à Paris. J'allai voir madame d'Estouteville. Sa maison étoit alors, comme elle l'est aujourd'hui, une sorte de tribunal où tout ce qui prétendoit à quelque distinction se croyoit obligé de comparoître. Je m'aperçus trop tard que tous les sentiments vrais et simples n'existoient plus chez madame d'Estouteville, et que tout ce qui est convention étoit devenu pour elle une seconde

nature.

"Lemaréchal d'Estouteville, presque aussi ambitieux que sa femme, avoit encore plus d'orgueil. Parlant à peine, saluant à demi, tenant tout à distance, on disoit de lui que sa lunette ne regardoit les hommes que par le côté qui éloigne: ses enfants, sa femme même ne l'ont jamais approché sans crainte. Malgré cet insupportable orgueil, monsieur

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