Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

monsieur d'Estouteville me dit devant lui: Amélie a regagné mon estime; "elle m'a écrit ce matin qu'elle consen"toit à se faire religieuse, plutôt que "de porter le trouble dans ma famille." Il nous quitta sans attendre de réponse: Dès qu'il fut sorti, Alfred se jeta à mes pieds. "Voilà ce que je redoutois, s'é"cria-t-il ma mère, mon excellente

mère, sauvez Amélie d'elle-même; "elle est douce, craintive: mon père “lui aura persuadé qu'elle feroit notre "malheur à tous; et elle se sacrifie "pour moi ! Sa douleur, son inquiétude ne connoissoient plus de bornes.. Le lendemain matin, il vint trouver son père, et lui déclara devant moi qu'il consentoit à partir le jour même pour Malte, s'il lui promettoit de rappeler Sophie et Amélie ; qu'il y prononceroit

ses vœux, à condition qu'Amélie n'en fit jamais.

"Monsieur d'Estouteville fut indigné que son fils osât lui prescrire des conditions; cependant il me permit de lui faire espérer qu'elles seroient accep tées, mais seulement lorsqu'il auroit obéi.

"Mon pauvre enfant plus tranquille partit, s'engagea dans l'ordre, et Amélie revint chez moi.

Elle n'avoit pas seize ans. Alfred en avoit dix-neuf; je me persuadois que cet amour d'enfance se dissiperoit avec les distractions de la jeunesse.

Qui ne l'auroit pensé comme moir Amélie pieuse, résignée, ne témoignoit que le désir d'éloigner le sentiment dont elle étoit occupée. Alfred m'écrivoit sans cesse pour me recommander

le bonheur d'Amélie; il sembloit avoir renoncé au sien, et ne me parloit plus de son amour.

[ocr errors]

Quoique soumis, mon Alfred ne pouvoit obtenir la permission de quitter Malte. Plusieurs fois j'avois sollicité son retour; monsieur d'Estouteville m'avoit toujours refusée. Enfin il me signifia que tant que mademoiselle d'Estaing ne seroit pas mariée ou religieuse, il ne permettroit point à son fils de venir près d'elle entretenir une passion que l'honneur ne lui permet toit pas d'encourager.

"Alfred avoit prononcé ses vœux, pour sauver Amélie de l'horreur du cloître;. Amélie promit de se marier, pour rendre Alfred à sa famille.

"Le comte de Rothelin se présenta; son rang, sa fortune le rendoient un

parti trop brillant pour ne pas flatter l'orgueil de monsieur d'Estouteville; il consentit donc avec joie à cet établissement.

"Chacune des lettres d'Alfred me conjuroit de marier Amélie, d'assurer son indépendance et sa liberté ; chaque jour elle me voyoit malheureuse, et pleurant l'absence d'Alfred. Séduite par l'espérance de rendre un fils à sa mère, elle promit à son oncle, sans me consulter, d'épouser le comte de Rothelin.

que

"Dès que monsieur d'Estouteville eut obtenu ce consentement, il craignit la sincère Amélie n'avouât à votre père les sentiments qu'Alfred lui avoit inspirés. Quoique monsieur d'Estoute ville les traitât de folie, il sentoit cependant que cet aveu pourroit rendre

cette union malheureuse. Ce fut lur qui exigea que jamais sa nièce ne verroit le comte seul avant son mariage. Votre père approuva cette mesure, parce que n'étant point contraire à nos mœurs, elle entroit dans la sévérité de ses principes.

66

Lorsque votre père me demanda la main d'Amélie, je ne doutai pas que monsieur d'Estouteville ne fût séduit par la proposition d'un mariage si désirable. Voulant laisser à ma pauvre Amélie le temps de rassurer son cœur, je confiai à monsieur de Rothelin ledésir que j'avois de ne pas l'établir avant deux ans. Hélas! il n'aperçut dans cette résolution que le regret de la lui voir préférer à ma fille. Enfin, cette destinée qui semble favoriser les évènements dont il ne doit résulter que des suites

« PreviousContinue »