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qu'elle soit lue."-" Non, m'a-t-il 'répondu, éloignez même son écriture "de mes yeux; cette femme a fait toute "la peine de ma vie."-" Mon père, "ayez cette bonté, cette seule complai<< sance; lisez la lettre de madame d'Es"touteville."-" Vous êtes donc bien "sûr de ce qu'elle contient? a-t-il re"pris avec amertume."-Et ce moyen que je croyois infaillible, puisque je lui donnois une lettre que je ne connoissois pas encore; ce moyen qui me sembloit fait pour vaincre sa défiance l'a augmentée; il a cru que c'étoit un projet imaginé par elle, pour le convaincre malgré lui. Enfin il accuse cette malheureuse femme de tout ce qui peut lui déplaire; et ce qu'il eût approuvé jadis, aujourd'hui lui paroît un piège le ramener. S'il m'accorde encore

pour

des intentions pures, il ne me suppose plus une action simple. Hélas! il est malheureux, et presqu'aussi malheureux que moi.

Je le répète, si je pouvois cesser, pour un moment, de l'aimer, secouer le joug, disposer de mon sort, je serois moins à plaindre: mais les bontés de mon père me sont présentes pour commander à ma passion; ses peines sont là, pour m'excuser son injustice. Non, non, quatre mois d'amour n'effaceront point vingt années de respect, d'attachement et de soins. Mon père, vous resterez dans mon cœur: cependant combien vous me détachez de tout avenir!

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roître à ce tribunal de deux têtes de vingt ans, de deux cœurs aux premiers jours de leur passion! Quand, à mon âge, je me vois prête à me soumettre à ce jugement, je me crois insensée, et trouve que la seconde enfance est encore plus déraisonnable que la première. N'importe, j'ai aussi ma passion qui me domine. Mon Athénaïs souffre, et son chagrin m'empêche d'exa

miner ses torts.

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Cependant, combien elle est coupable envers moi! Elle se renferme pour

VOL. II.

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pleurer seule, m'abandonne tout le jour; et le soir, j'aperçois trop la violence qu'elle se fait pour venir m'ac corder quelques instants. J'aurois droit de nie plaindre, mais ne puis que m'affliger: qu'il faut qu'Athénaïs soit malheureuse pour être si différente d'ellemême!

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"Aussitôt après mon mariage, je m'étois si tendrement attachée à la sœur de monsieur d'Estouteville, que nous étions devenues inséparables. A sa mort, je me chargeai de sa fille et l'ai toujours regardée comme la mienne.

Monsieur d'Estouteville n'aimoit que son fils aîné; lui seul, dès l'âge le plus tendre, étoit admis près de lui dans le salon. Alfred, Sophie, Amélie res toient dans leur appartement, et ne venoient dans le mien que lorsque leur père étoit absent.

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"Il s'établit entre eux une espèce de famille à part. Si Alfred, Amélie eussent été seuls, leur extrême affec tion auroit éveillé ma prudence; mais Sophie étoit avec eux, Sophie les chérissoit autant qu'ils s'aimoient; et sa présence jetoit une couleur égale et fraternelle sur leur liaison.

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La préférence, si hautement avouée, de monsieur d'Estouteville pour son fils aîné in'indignoit. Hélas! croyant seulement dédommager mon second fils, je me laissois aller à la même injustice, et ne pensois qu'à mon Alfred. Il venoit d'avoir dix-neuf ans, lorsque son père me déclara qu'il devoit prononcer ses vœux. Son entrée dans l'ordre de Mal te étoit une chose convenue, déci dée depuis sa naissance; il portoit même la croix dès le berceau: aussi,

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