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"premier instant?"-Il ne me répondit point, hâta sa marche; je ne le quittai pas." Mon père, par pitié, rassurez mon cœur; dites-moi qui resta

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près de vous dans ce premier mo"ment?"-Il évitoit de me répondre. Enfin, poursuivi par mes questions, il me dit en baissant les yeux: "Sophie. "Ah! je respire, m'écriai-je; So"phie se placera donc entre madame "d'Estouteville et Athénais !" - Si Sophie eût vécu, peut-être serois-je "moins sévère, reprit-il; mais ma"dame de Rieux a été élevée par sa "grand'mère; elle l'aime; Dieu pré

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serve que vous lui fassiez oublier ce

premier devoir. Athénaïs a dû con"tracter la légèreté cruelle de madame "d'Estouteville, son égoïsme froide"ment barbare; je vous empêcherai,

"mon fils, d'être aussi malheureux que "l'a été votre père. Jamais Athénaïs ટ ne sera ma fiile.”—Il s'éloigna avec précipitation; je n'avois plus la forcé de le suivre.

Le voilà donc prononcé cet arrêt que je voulois éviter! Serai-je condamné à être un fils ingrat ou un ami perfide, parjure? Et quand je voudrois choisir, le pourrois-je? Mon père, c'est ma religion. Athénaïs, c'est ma vie.

J'errois dans ses jardins, sans savoir où j'étois. Après avoir envisagé l'horreur de ma situation, j'en reprenois une nouvelle, pour en épuiser de même tous les côtés douloureux.

Il étoit onze heures lorsque je m'éntendis appeler; mon père étoit à table. "J'ai craint, me dit-il, que vous ne fus"siez souffrant, car c'est la première

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fois que

que vous me faites attendre." Il mangea peu, me regardoit souvent, ét détournoit promptement les yeux ; it sembloit qu'avec la volonté de m'affliger, il craignoit d'en envisager l'effet. Les jours suivants, même silence, même chagrin.

J'écrivis à Athénaïs pour lui peindre ma douleur, mon affectión plus vive encore. Que de sérments de lui appartenir un jour! avec quelle anxiété je lui répétois que nous étions éloignés, sans être séparés ! Cependant je me crus obligé de lui apprendre cette terrible résolution, et je frémissois en écrivant: Jamais Athénaïs ne sera ma fille !

On me remit la réponse de madame de Rieux devant mon père. J'étois si ému, que je m'assis pour la lire, et puis je sortis de la chambre pour la relire

encore. Ma douce amie trembloit à l'idée de m'affliger, comme à l'aspect d'un malheur." Je prévoyois depuis

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long-temps la décision de votre père, "m'écrivoit-elle; je vous conjure de ne vous préparer aucun remords: "qu'il voie toujours en vous un fils "tendre et respectueux."-Elle m'avouoit qu'elle n'avoit pas eu le courage de parler de ma mère à madame d'Estouteville, mais qu'involontairement elle ne se sentoit plus la même pour elle.

Voilà donc encore un intérieur trouble! Avant de me connoître elles étoient heureuses......

CHAPITRE X.

QUE la vie m'est importune! et ce

pendant il n'y a personne, pas même moi, que je puisse entièrement blâmer; personne que je voulusse haïr, ou don't j'aie un droit certain de me plaindre.

Avec des sentiments que je crois purs et bons, je suis malheureux. J'estime mon père comme la vertu, la morale elle-même, et il me rend malheureux. Madame d'Estouteville, qui me paroissoit si aimable, si indulgente; madame d'Estouteville, par ses qualités, et, osérois-je le prononcer, par ses fautes, me rend aussi malheureux. Athénaïs, que

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